Bob Collymore : « Inévitablement, les données remplaceront un jour la voix »
Paiement sans contact, smartphones à bas coût, réseaux sociaux… L’opérateur télécoms kényan Safaricom s’ouvre de nouveaux horizons. Son patron envisage même de se lancer dans la production de contenus.
Précurseur dans le domaine du transfert d’argent par mobile, via M-Pesa, l’opérateur télécoms kényan est rattrapé par la concurrence. Alors que le service est désormais proposé par la plupart des groupes de téléphonie et les établissements bancaires comme Equity Bank, le PDG de Safaricom affirme travailler sur de nouveaux produits.
Propos recueillis par Nicholas Norbrook, The African Report
Jeune Afrique : Pouvez-nous nous parler des moyens de paiement innovants que vous cherchez actuellement à développer ?
Bob Collymore : Nous avons lancé l’année dernière « Lipa Na M-Pesa »(« payer avec M-Pesa », pesa signifiant argent en swahili). Un produit qui vise à aider les commerçants à gérer leur trésorerie de façon sécurisée. Étant donné qu’au Kenya 97 % des transactions s’effectuent en liquide, il y a un énorme potentiel de croissance sur ce créneau. Le phénomène est tel que le gouvernement kényan a interdit en juillet le paiement en espèces pour certaines activités, comme les transports en commun.
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Nous proposons aux commerçants d’effectuer leurs transactions par mobile contre une commission très faible, d’environ 1 % du montant. Notre objectif initial pour ce produit était d’obtenir 100 000 clients à la fin de notre exercice, le 31 mars. Nous l’avons atteint et même dépassé.
Le marché a donc favorablement réagi à cette évolution…
Nous rencontrons encore beaucoup de résistance. De la part des opérateurs, des vendeurs ambulants ou même des automobilistes qui utilisent l’argent liquide pour soudoyer les policiers. C’est d’ailleurs pour cette raison que le gouvernement veut l’éliminer. Dans un tel contexte, le tap-and-pay (paiement sans contact) peut être une bonne alternative.
La technologie progresse dans le monde, et nous devons nous en inspirer. J’espère que nous serons en mesure de proposer une solution compétitive dès cette année, aussi bien pour les matatu (minibus) que pour les vendeurs en kiosque. Nous cherchons une solution adaptée à la plupart des téléphones, car n’oubliez pas qu’il y a moins de 2 millions de smartphones sur le marché.
Soit à peu près 10 % du marché…
Moins de 10 %. Mais c’est un marché qui connaît une croissance rapide ! Sur environ 1,8 million de smartphones, probablement un peu plus de la moitié ont été vendus sur la seule année 2013. Nous avons obtenu ces résultats en proposant des smartphones à bas prix. Les moins chers coûtent aujourd’hui 55 dollars.
Le projet de commercialisation d’un smartphone à 25 dollars développé par Firefox est donc une bonne initiative ?
Ce serait fantastique ! Mais je ne pense pas que ce téléphone sera disponible rapidement, pas l’année prochaine en tout cas. Cependant, je pense que des smartphones à moins de 50 dollars vont apparaître dans les douze prochains mois.
Il y a sept ou huit ans, les gens affirmaient que la voix deviendrait un produit de base et que les opérateurs réaliseraient l’essentiel de leurs marges grâce aux données. Cela s’est-il confirmé ?
Non. En tout cas, pas pour nous. Pour de nombreux opérateurs européens et pour certains africains, la voix est en effet sur le déclin, mais chez nous, elle est en pleine croissance. Le chiffre d’affaires de cette activité a augmenté d’environ 17 % au dernier semestre.
Cela pour deux raisons : une augmentation d’environ 8 % du nombre de clients et l’investissement dans le réseau. S’il y a moins de coupures lors des appels, les gens restent plus longtemps au téléphone. Mais inévitablement, les données remplaceront un jour la voix, et des outils comme Viber (téléphonie et visioconférence via internet) vont prendre la relève.
Côté messagerie, alors que beaucoup de gens craignent que les applications comme WhatsApp sapent les revenus tirés des SMS, nous n’observons rien de tel. Nous avons au contraire enregistré une croissance de 45 % du chiffre d’affaires semestriel. Les gens veulent utiliser la messagerie instantanée mais WhatsApp n’est qu’un des moyens disponibles.
Le SMS n’est certes pas aussi riche – vous ne pouvez pas envoyer de photos ni de vidéos – mais il reste très pratique pour chatter. Nous avons donc fixé des prix qui incitent les gens à l’utiliser, avec par exemple des offres de 200 SMS par jour pour 10 shillings (8 centimes d’euro). Nous ne vendons pas de la technologie, nous répondons à la demande.
En une année, au Kenya, le nombre de smartphones a doublé.
En matière de données, qu’est-ce qui rencontre le plus grand succès chez Safaricom ?
Incontestablement, les réseaux sociaux. Ils sont relativement importants au Kenya. Par exemple, YouTube occupe une place prépondérante dans le pays. Nous essayons de pousser les moteurs de recherche et nous venons de lancer un accès libre à Google.
Nous encourageons les gens à « filmer et partager ». Nous faisons des expériences, comme le lancement de concours où l’on peut faire noter ses vidéos par ses amis. Mais tous ces projets en sont encore à leurs balbutiements.
Vous recherchez donc du contenu local ?
Le contenu local est très important. Nous en entendons beaucoup parler aujourd’hui, et je pense qu’il reste sous-exploité. Pas seulement pour les téléphones mobiles, mais aussi pour la télévision. La production de contenus est très pauvre. C’est donc une opportunité que nous pouvons saisir.
La dernière fois que j’ai fait une telle déclaration, certains médias comme Bloomberg l’ont mal interprétée, et les gens ont cru que nous étions sur le point de nous lancer sur le marché du contenu. Pour l’instant, je n’ai pas de plans établis, mais c’est quelque chose que nous pourrions explorer, en développant un partenariat ou en nous lançant nous-mêmes dans la production de contenu.
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