Renaissance juive

Ils viennent d’Amérique, d’Australie, de Russie et même d’Israël. Leur but : assurer un avenir à leurs enfants et renouer avec le passé.

Publié le 27 mars 2006 Lecture : 4 minutes.

La France est toujours le pays d’Europe où les Juifs sont les plus nombreux : environ 600 000. Mais – le fait est peu connu – de tous les pays du monde, c’est en Allemagne qu’en ce début de XXIe siècle, la population juive augmente le plus rapidement. En 2005, 20 000 Juifs sont venus s’y installer, deux fois plus qu’en Israël. Les années ayant passé, il ne saurait être question de retour. Et la plupart viennent se fixer en Allemagne pour des raisons économiques et pour assurer un avenir à leurs enfants. Mais ils veulent aussi renouer avec un passé déjà ancien, par-dessus le gouffre qui a pour nom la Shoah.
Lorsque Adolf Hitler fut élu chancelier du Reich en janvier 1933, la population juive d’Europe comptait 9,5 millions de personnes. En 1950, elle n’était plus que de 3,5 millions. Entre les deux, Auschwitz, Treblinka et autres camps de la mort. En Allemagne, selon le recensement du 16 juin 1933, il y avait 502 799 Juifs sur 67 millions d’habitants. C’était déjà moins que les 523 000 Juifs qui vivaient en Allemagne en janvier 1933. Cette année-là, on estime que 37 000 personnes émigrèrent de ce qui était devenu le IIIe Reich. Le mouvement de fuite se poursuivit. Au recensement du 19 mai 1939, les Juifs n’étaient plus que 330 892. Dix villes en regroupaient les deux tiers, dont 91 480 à Vienne (germanisée par l’Anschluss de mai 1938) et 82 788 à Berlin. En 1941, lorsque commencèrent les déportations, il n’y avait plus que 163 696 « Juifs allemands ». En 1943, les nazis déclarèrent l’Allemagne Judenfrei, « nettoyée des Juifs ». En fait, une enquête publiée le 1er avril 1943 en totalisait 31 897.
Ces derniers chiffres sont fournis par le Conseil central des Juifs en Allemagne, fondé le 19 juillet 1950 à Francfort-sur-le-Main par des délégués venus des quatre zones occupées : américaine, britannique, française et soviétique. À cette époque, il y avait environ 25 000 Juifs en Allemagne de l’Ouest. Le siège a déménagé par la suite à Düsseldorf et à Bonn. Il est installé à Berlin depuis le 1er avril 1999.
L’un des problèmes à résoudre dans l’Allemagne d’après-guerre fut celui de l’indemnisation des « personnes qui avaient subi des dommages matériels ou des préjudices corporels par suite de persécution national-socialiste ». Le problème n’était pas simple avec le partage de l’Allemagne et la dispersion des survivants. Il fut réglé par la loi fédérale d’indemnisation du 19 septembre 1953. En outre, le pays n’était pas seulement découpé en zones d’occupation : il était aussi partagé en une République fédérale (RFA) et une République démocratique (RDA). Jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989, les migrants venus de l’Est furent peu nombreux et accueillis individuellement sur une base humanitaire. On ne comptait ainsi, en RFA, fin 1989, qu’environ 26 000 Juifs. En décembre 1990, les cinq communautés qui existaient auparavant en RDA furent admises au Conseil central. Avec les nouveaux arrivants, le Conseil regroupe désormais 87 communautés pour un total d’environ 103 000 membres. La communauté la plus importante se trouve à Berlin : elle compte plus de 11 200 membres. Il y en a 7 200 dans celle de Munich. S’y ajoutent entre 40 000 et 80 000 Juifs qui n’en font pas partie.
Ce retour des Juifs en Allemagne a été officialisé. En janvier 2003, le jour de la commémoration de l’Holocauste, un accord a été signé entre le chancelier Gerhard Schröder et le président du Conseil central, Paul Spiegel. Né le 31 décembre 1937 à Warendorf, en Westphalie, Spiegel avait fui l’Allemagne avec sa famille à l’âge de 2 ans. Sa sur, de dix ans son aînée, est morte dans les camps. Lui-même a passé la guerre caché chez des fermiers catholiques en Belgique. Rentré à Düsseldorf, il y a fondé une agence artistique. Le « Traité sur la coopération continue et fiable » se propose de préserver et d’entretenir l’héritage culturel germano-juif (avec notamment la formation de rabbins, qui n’étaient alors qu’une trentaine), de structurer la communauté juive et de faciliter son travail d’intégration politique et sociale. Le Conseil central reçoit dans ce but une subvention de l’État de 3 millions d’euros par an. Parmi ses missions figurent également la promotion de la tolérance et la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
Les nouveaux arrivants viennent des États-Unis, du Canada, d’Australie et même d’Israël, mais surtout des pays de l’ex-Union soviétique. À ces « Juifs russes », les autorités allemandes, quand même prudentes, n’accordent des permis de séjour que s’ils peuvent prouver qu’ils seront admis dans une communauté et qu’ils parlent couramment l’allemand, et démontrent qu’ils auront d’autres moyens d’existence que l’aide sociale.
Beaucoup rêvent d’une renaissance de la culture juive. On en a déjà quelques signes :
– À Leipzig, le rabbin canadien-américain Joshua Spinner a célébré récemment le premier mariage selon le rituel juif que l’on y ait vu depuis 1938.
– À Potsdam, des immigrants ukrainiens ont acheté un terrain et réunissent des fonds pour y construire une synagogue.
– À Cologne, à Francfort et à Hambourg, de petites écoles enseignent l’hébreu et font étudier la Torah.
– Mais c’est évidemment à Berlin que la « renaissance » est la plus active. Une yeshiva consacrée à la lecture du Talmud est financée par la Fondation [américaine] Ronald-Lauder. On y trouve de petits théâtres en yiddish, des librairies et des galeries spécialisées dans les uvres juives. Le nouveau Musée juif, inauguré en 2001, rappelle les longues années, du XVIIe siècle jusqu’au début des années 1930, où Berlin était l’un des plus importants centres culturels juifs du monde. La nouvelle synagogue au dôme doré est l’une des visites à ne pas manquer recommandée par les guides que l’on trouve dans la plupart des kiosques, à côté des deux journaux juifs concurrents (en allemand).

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