Quand Kadhafi vote Prodi

À l’approche des législatives italiennes, le « Guide » multiplie les attaques contre Berlusconi. Et affiche ses affinités avec le leader du centre-gauche.

Publié le 27 mars 2006 Lecture : 4 minutes.

L’Italie peut-elle échapper au nouveau « coup tordu » que mijote apparemment Mouammar Kadhafi ? Depuis que le 20 mars, sur la chaîne de télévision italienne Sky TG24, le « Guide » libyen a évoqué la menace de « nouvelles violences anti-italiennes » dans son pays, la question hante la classe politique. Silvio Berlusconi, qui croyait pourtant être parvenu à calmer le jeu, semble pris de court par la véhémence des déclarations Kadhafiennes.
Le 17 février, après que le consulat de Rome à Benghazi eut été pris pour cible par des manifestants rendus furieux – selon la version officielle – par le soutien publiquement apporté par Roberto Calderoli, le ministre italien des Réformes, aux caricatures danoises du prophète Mohammed, le président du Conseil s’était empressé de désavouer ce dernier avant de l’acculer à la démission. Quelques heures auparavant, Seif el-Islam, l’un des fils du « Guide », l’avait sommé de « prendre des mesures urgentes contre ce ministre haineux et raciste ». En pragmatique qu’il est, Il Cavaliere s’était exécuté. « Nous espérons avoir ainsi échappé à des mesures de rétorsion contre nos entreprises et contre nos militaires à l’étranger, avait-il commenté. Il est important d’éviter la rupture avec un pays fournisseur d’énergie. »
Pour l’Italie, la Jamahiriya est en effet un partenaire économique important. Une cinquantaine d’entreprises, parmi lesquelles le groupe pétrolier ENI, y travaillent. La Libye fournit à l’Italie le tiers de ses besoins en gaz naturel et importe, en retour, quantité de produits industriels et agricoles. Elle était en 2005 le quatrième client de l’industrie agroalimentaire italienne. Et le premier client arabe. Au cours des dernières années, les Italiens ont multiplié les projets d’investissement en Libye, notamment dans le tourisme. En sens inverse, la Libyan Arab Foreign Investment Company (Lafico), qui gère les pétrodollars de Tripoli, détient 7,5 % du capital de la Juventus de Turin, le célèbre club de football, et 10 % de celui d’une équipe de moindre importance, la Triestina. Entre 1976 et 1986, elle contrôlait 15 % du capital de Fiat, le géant automobile.
Berlusconi pensait donc avoir évité le pire. Il se trompait. Le 2 mars, soit vingt jours après les incidents de Benghazi, Kadhafi est revenu à la charge : « Je n’exclus pas une nouvelle explosion de colère populaire contre les biens et la vie des ressortissants italiens si les compensations promises à la Libye pour l’occupation coloniale ne sont pas versées. » N’hésitant pas à prendre le contre-pied de son fils et de ses ministres, qui avaient imputé les émeutes de Benghazi à l’affaire des caricatures, il a préféré évoquer « la rage » qu’éprouveraient ses compatriotes à l’égard des Italiens, coupables d’avoir occupé leur pays de 1911 à 1943.
Retour, donc, aux sempiternelles récriminations du « Guide » envers l’ex-puissance coloniale. Bien entendu, le réquisitoire n’est pas dépourvu de fondement : les Italiens ont bel et bien commis en Tripolitaine d’inqualifiables atrocités. Rome l’a reconnu et s’en est officiellement excusé. Quant aux compensations, Berlusconi en accepte le principe, mais, depuis 2002, date de sa première visite en Libye, un désaccord oppose les deux parties concernant leur nature et leur montant. Les Italiens ont proposé de débloquer 60 millions d’euros pour la construction d’hôpitaux (notamment). Kadhafi exige pour sa part la construction d’une route à quatre voies le long de la côte méditerranéenne, pour un coût compris entre 3 milliards et 6 milliards d’euros. On en est là.
Reste à savoir pourquoi le maître de Tripoli a choisi de relancer la polémique avec une telle virulence. Sans doute a-t-il été irrité par l’insistance des responsables italiens – de l’ambassadeur Francesco Trupiano à Marcello Pera, le président du Sénat, en passant par Gianfranco Fini, le ministre des Affaires étrangères – à voir dans « la révolte de Benghazi » l’expression d’une contestation du régime. L’hypothèse est pourtant étayée par d’autres témoignages Il est probable qu’il n’a pas davantage apprécié l’engagement pris par Rome, il y a quelques semaines, de collaborer avec les autorités libanaises à l’enquête toujours en cours sur les circonstances de la disparition de l’imam Moussa Sadr, un leader chiite libanais disparu depuis une visite en Libye, en août 1978. Tripoli a toujours prétendu que Sadr s’était envolé pour Rome où il se serait mystérieusement volatilisé.
Quoi qu’il en soit, la détérioration des relations entre Kadhafi et Berlusconi ne date pas d’aujourd’hui. Depuis octobre 2005, le premier ne cache pas la « déception » que lui inspire le refus du second de tenir sa promesse de « dédommagement ». Et pour que nul, à Rome, n’en ignore, il a rétabli la célébration de la « Journée de la vengeance », qui commémore l’expulsion, le 7 octobre 1970, de 20 000 Italiens installés dans son pays depuis l’époque coloniale. Coïncidence ? Au cours de la même année, les exportations italiennes à destination de la Libye ont baissé de 25 %, tandis que les échanges avec la France et l’Espagne progressaient sensiblement.
Le « Guide » n’a, en revanche, jamais fait mystère de ses affinités avec Romano Prodi, le leader de la coalition de centre-gauche que tous les sondages placent en tête des intentions de vote pour les législatives du 9 avril (voir aussi page 23). « Prodi est un homme clair, sérieux, très concerné par la Méditerranée et les rapports italo-libyens », a-t-il déclaré sur Sky TG24, tandis que Berlusconi est davantage « porté sur les blagues ». De là à estimer qu’il tente d’influencer le vote des Italiens, il n’y a qu’un pas, que certains analystes ont allègrement franchi.

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