Métissages transsahariens

D’album en album, la production africaine se décline au gré des rencontres entre artistes du nord et du sud du continent.

Publié le 27 mars 2006 Lecture : 5 minutes.

L’année 2005 a été celle de tous les métissages musicaux panafricains. D’Abidjan à Oran, de Rabat à Conakry, nombreux sont les artistes à avoir tenté des fusions de genres. Exemple au Sénégal, où deux monuments nationaux ont sorti presque simultanément de magnifiques albums tout en arabesques et à la ressemblance troublante. Qui, de Thione Seck, le roi du mbalax, ou de Youssou Ndour, le premier ambassadeur de la musique sénégalaise dans le monde, a inspiré l’autre ? Toujours est-il qu’Orientissimo de Seck et Égypte de Ndour doivent leur succès à la même recette : une fusion des musiques sacrées sur fond de tablas indiennes et de violons égyptiens.
Tous deux disent avoir travaillé sur leur album depuis l’année 2000, mais Youssou Ndour explique avoir retardé la sortie du sien suite aux attentats du 11 septembre 2001. La pochette blanche porte en effet pour seule inscription Allah en calligraphie arabe. Il n’aura pas attendu en vain puisque l’uvre qu’il a réalisée en collaboration avec l’Égyptien Fathi Salama lui a valu en février 2005 à Los Angeles le Grammy Awards du meilleur album contemporain de world music, le premier de sa carrière.
Loin, bien loin du soufisme et des musiques mystiques, la fusion a gagné aussi le style festif. Trois ans après sa sortie, le single Un Gaou à Oran ne s’est toujours pas essoufflé. Un véritable tube international qui est resté en tête des charts de Paris à Ouaga en passant par Tunis deux étés de suite grâce à ses nombreuses versions et ses multiples remix. Le secret de la réussite ? Des refrains de raï sur un fond de zouglou, mais surtout une grande complicité entre les Ivoiriens du groupe Magic System et l’Algérien Mohamed Lamine. Une révélation pour le grand public. Pourtant, l’expérience n’a rien d’inédit. L’histoire de la musique africaine est riche de rencontres artistiques transsahariennes.
Ici comme ailleurs, le hasard fait souvent bien les choses. C’est à lui qu’on doit la rencontre explosive entre Rachid Taha, le sulfureux rockeur algérien, inventeur du funk arabo-gaulois, et de Femi Kuti, le prince de l’afro-beat nigérian, fils du king Fela : « Je connaissais déjà son père, raconte Taha. J’ai fini par rencontrer Femi parce qu’on a les mêmes éditeurs, le même manager. » S’ensuivra une belle amitié artistique. En 2000, Taha invite Kuti sur son album Made in Medina pour chanter en duo « Alajalkoum » (« Pour vous »). Les deux artistes se produiront plusieurs fois ensemble sur scène, au gré des concerts et des festivals internationaux.

Il n’est en effet pas de lieux plus propices aux fusions musicales que ce type d’événements. Le continent compte des centaines de festivals en tout genre, et leur nombre ne cesse d’augmenter. Même si peu ont l’envergure du regretté Masa (Marché des arts du spectacle africain) organisé à Abidjan jusqu’en 2003, certains sortent du lot comme le tout nouveau Festival des musiques nomades à Nouakchott ou le Festival du désert à Essakane, près de Tombouctou.
C’est le Masa, justement, qui avait abrité en 1997 les premières amours guinéennes de l’artiste marocaine Touria Hadrioui. Cette figure atypique de la musique classique, dite malhoun, tour à tour journaliste, poète et chanteuse lyrique, était littéralement tombée sous le charme du groupe guinéen Boté Percussions. Grâce à l’association Afric’Arts, la chanteuse se rendra quelques années plus tard à Conakry pour enregistrer l’album Maghribiates Ifriqya. Arabesques sur rythmes africains sorti en décembre 2003.
Un autre festival a lui aussi été le théâtre de bien des unions artistiques : celui d’Essaouira. Voilà huit ans que l’ancienne Mogador prend chaque été des allures de Woodstock africain. Des artistes internationaux de tous horizons viennent y partager la scène avec les plus grands mâalems (maîtres) et musiciens gnawas du Maroc. Leur musique se prête plus qu’aucune autre aux brassages puisqu’elle en est elle-même le produit. Ces confréries mystiques qui fascinaient déjà Jimi Hendrix dans les années 1970 jouent une musique théâtralisée qui mène non pas à la danse mais à la transe. Des cauris qui décorent leurs tarbouches aux « fils de Bambara » ou « fils de Haoussa » qu’ils invoquent dans leurs litanies, tout dans leur culture témoigne de leurs racines subsahariennes.
En 2000, le pianiste congolais Ray Lema est l’un des invités du festival. Il y fait la rencontre du mâalem Abdelslam Alikane et de ses Tyours Gnawas, l’un des groupes les plus connus d’Essaouira. Le jazzman est fasciné par la liberté donnée aux notes et par la subtilité de ces nuances arabo-africaines. « Ce n’est pas un métissage, mais un retour aux sources », dira-t-il en parlant de son expérience avec les Tyours Gnawas, qui donnera l’album Safi, sorti en 2001.
La même année, le festival d’Essaouira accueille de nouveau des dizaines d’artistes de tous les pays. Parmi eux, l’un des plus grands maîtres gnawas du Maroc, le mâalem Brahim el-Belkani, qui assiste à la prestation des chasseurs maliens de Sébénikoro et de leur griot Sibiri Samaké. Naîtra entre les deux hommes une grande amitié. Belkani invite la troupe malienne à venir le voir chez lui, à Marrakech. Ils travailleront par la suite à un projet nommé Wijdan qui sera mis sur pellicule par le réalisateur américain John Allen. Il règne incontestablement sur ce festival une atmosphère spéciale… Même son nouveau directeur artistique n’a pu résister à la tentation fusionnelle. Après un premier album intitulé Ifrikya (« L’Afrique », en arabe), Karim Zyad sort en 2004 Chabiba (« Jeunesse »), dans lequel se retrouvent des invités de marque. Ce musicien algérien de talent, qui a été le batteur de stars avant de monter son propre groupe, a ainsi l’honneur d’accueillir la diva malienne Oumou Sangaré qui l’accompagne sur un morceau aux consonances gnawas intitulé « Marhba » (« Bienvenue »).

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Bien d’autres artistes se sont inspirés de la musique gnawa, à l’instar de Mokhtar Samba dans son premier album Dounia (« La vie », en arabe), sorti en 2004. Ce batteur et percussionniste maroco-sénégalais qui a accompagné les plus grands, de Salif Keita à Manu Dibango en passant par le Brésilien Carlinhos Brown, a su tirer parti de ses rencontres pour créer une musique apatride. Dans Dounia, Mokhtar Samba chante en wolof, en arabe et en français, accompagné d’artistes comme le pianiste martiniquais Mario Canonge, l’accordéoniste malgache Régis Gizavo ou le gnawa marocain Mâalem Abdelslam.
Autre création afro-gnawa, celle de Nuru Kane, artiste sénégalais appartenant à la « caste » mouride des Bayfall. Il a travaillé autour du guembri, l’instrument à trois cordes, proche cousin du n’goni et du xalam. Après avoir créé le projet Bayfall Gnawa avec le Malien Makan Sissoko et le Français Thierry Fournel, il s’apprête à sortir en 2006 un tout nouvel album, Sigili. De Dakar à Marrakech : « Une subtile alchimie entre les rythmes et les couleurs des musiques traditionnelles africaines, orientales et européennes. »
Le terme d’alchimie semble en effet mieux approprié que celui de « fusion ». Awal Mohamadou a d’ailleurs ce dernier mot en horreur. Ce journaliste et artiste d’origine camerounaise a grandi en Centrafrique avant de venir s’installer en France. Il y est connu sous le nom de DJ Awal et électrise les soirées « world » parisiennes avec le collectif New Bled Vibration. En mai 2005, il sort son tout premier album, Just on Night, qu’il présente ainsi : « J’ai travaillé sur des musiques électro-orientales modernes dans lesquelles j’ai insufflé des nuances d’Afrique noire, ou plutôt d’Afriques noires. » C’est Guem, percussionniste algérien d’origine nigérienne, qui apporte cette touche. Pour Awal Mohamadou, « il ne s’agit pas de fusion. C’est un processus naturel qui ne se décrète pas. C’est de la musique tout simplement ».

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