Les protéines de la mer

Vieillissement de la flotte, diminution des prises, baisse de la consommation locale… La filière attend un plan de relance.

Publié le 27 mars 2006 Lecture : 4 minutes.

Difficile de s’intéresser à la Mauritanie sans se pencher sur la pêche. Avec 750 km de littoral, le pays dispose d’une longue façade maritime que beaucoup de pays africains enclavés, le Mali voisin le premier, lui envient. Ses eaux territoriales, encore épargnées par la pollution, n’ont pas volé leur réputation de poissonneuses. Les ressources halieutiques mauritaniennes, de l’ordre de 1,6 million de tonnes par an, ne sont pas intégralement exploitées. Les pêcheurs, toutes catégories confondues, capturent chaque année 700 000 tonnes de poissons en tout genre. Benthiques (en profondeur) ou pélagiques (en surface), les espèces sont variées : poulpes, seiches, calamars, dorades ou mérous pour les premières ; sabres, courbines, maquereaux ou anchois pour les secondes.
Comme le montre l’avant-projet de stratégie de développement durable du secteur (janvier 2006) présenté en Conseil des ministres le 9 mars, la pêche est vitale pour le pays. Parce qu’entre 30 000 et 36 000 personnes travaillent dans le secteur, qu’il rapporte 40 % des recettes d’exportation et crée un dixième de la richesse nationale. Le Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP), un document au titre explicite établi de concert avec le FMI et la Banque mondiale, en fait une priorité. Il va même dans le détail et précise qu’entre tous l’impératif est de préserver la rente provenant des pêcheries. Sur le papier, le pays est armé pour être un « État pêcheur » hors pair. La pratique se révèle moins évidente.
Jusqu’à la sédentarisation massive au lendemain de l’indépendance, la population n’avait pas coutume de consommer du poisson. L’habitude commence à prendre petit à petit à Nouakchott et Nouadhibou, mais la consommation annuelle reste modeste, 4,3 kg par habitant en moyenne. À titre de comparaison, à l’autre extrémité, les Japonais engloutissent chaque année 65 kg à 70 kg chacun. L’essentiel de la pêche mauritanienne (95 % des captures) est destiné à l’exportation.
Alors que les Occidentaux se piquent de diététique, on pourrait croire que le poisson mauritanien constitue un créneau porteur. Au grand dam de l’État, dont le budget est alimenté par la pêche à hauteur de 25 % à 30 % tous les ans depuis vingt ans, la filière est loin d’être à son optimum.
La flotte mauritanienne vieillit. Le quart de l’armement national est immobilisé en rade et près de la moitié le restera, souligne l’avant-projet. Il y avait 215 navires en activité en 1996, contre 143 aujourd’hui, précise-t-il. À cela s’ajoute la nécessaire répercussion de l’augmentation des prix du pétrole, particulièrement sensible en 2005, sur les coûts d’exploitation. Bref, la rentabilité diminue. Sans compter que les espèces les plus lucratives, les ressources dites benthiques, sont surexploitées. Le poulpe notamment a souffert d’un « effort de pêche excédentaire » de 30 % en 2002. À côté de la pêche industrielle, le versant artisanal et côtier reste modeste. Il contribue à 15 % environ de la capture totale (700 000 tonnes). En revanche, comme il cible les espèces les plus lucratives, son chiffre d’affaires dépasse 20 % des recettes totales du secteur.
La Mauritanie est loin de bénéficier pleinement de ses réserves halieutiques. Seulement 10 % des poissons débarqués sur ses côtes subissent une transformation avant d’être exportés. C’est pourtant dans cette étape intermédiaire, entre la pêche et la vente, que se créent la valeur ajoutée et la marge. Ce sont les clients de la Mauritanie qui en profitent Car si le nombre d’usines a augmenté à Nouakchott et à Nouadhibou ces dix dernières années, plus de la moitié d’entre elles ont perdu leur agrément, provisoirement ou définitivement, pour des questions de non-respect des normes sanitaires. Nombreuses sont celles, également, qui sont sous-utilisées à cause des coûts de l’énergie. Cinquante pour cent des devises en provenance de la pêche filent tout droit à l’importation des intrants : matériel, emballage, etc. Autre source d’inquiétude, les risques environnementaux liés à l’exploitation pétrolière offshore.
Dans l’ensemble, les indicateurs révèlent un déclin du secteur : en volume, les exportations sont passées de 286 000 tonnes en 1996 à 100 000 en 2003, elles représentent 40 % des recettes en 2005, contre 65 % en 1997. Aujourd’hui, l’essentiel des recettes provient de la vente de droits de pêche. L’accord de pêche signé le 1er août 2001 avec l’Union européenne (UE) prévoit qu’une redevance annuelle de 86 millions d’euros sera versée à la Mauritanie. Si l’on exclut l’accord des calculs, la contribution de la pêche au PIB est de 4 % en 2003, contre 10 % si l’on en tient compte. En d’autres mots : la filière est dépendante de l’Union européenne, qui dispose d’un large accès aux eaux mauritaniennes. Le texte signé par l’État et l’UE va jusque dans les moindres détails : de la taille des bateaux au tonnage autorisé pour chaque espèce en passant par la redevance versée pour chacune des catégories de produits. L’accord, qui arrive à échéance le 31 juillet prochain, est en cours de renégociation. Après quatre rounds, on ne sait toujours pas dans quel sens, à la hausse ou à la baisse, il sera révisé. « Nous souhaitons que la redevance soit en rapport avec ce que nous donnons », déclare sans plus de commentaires Sidi Mohamed Ould Sidina, ministre de la Pêche. Faut-il comprendre que les termes actuels de l’accord lèsent la Mauritanie ? Ce n’est en tout cas pas l’avis de l’Union européenne.
Que faire ? Au ministère de la Pêche, on est bien conscient des lacunes de la filière. Les idées, consignées dans l’avant-projet de Stratégie de développement, ne manquent pas pour y remédier : amélioration des connaissances des ressources halieutiques, renforcement de la surveillance, développement des filières industrielles, promotion des produits La première phase a déjà commencé, puisque les équipes du ministère se sont attelées aux demandes de financement. « L’argent est le nerf de la guerre », reconnaît Sidi Mohamed Ould Sidina. Les ressources à mobiliser pour relancer le secteur sont évaluées à 55 milliards d’ouguiyas (173 millions d’euros) sur trois ans (2006-2008). À côté de l’État, dont la participation est espérée à 30 %, les partenaires traditionnels tels que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement ou l’Agence française de développement ont fait des promesses, sans compter l’Allemagne et les Pays-Bas.

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