Le documentaire en accusation

Publié le 27 mars 2006 Lecture : 2 minutes.

Un documentaire qui a failli avoir un oscar à Hollywood il y a moins d’un mois et qui est accusé d’être mensonger, le cas n’est pas banal. La polémique qui se développe depuis quelques semaines à propos du Cauchemar de Darwin est cependant intéressante indépendamment du petit scandale suscité par les accusations de « bidonnage » émises contre son auteur.
Ce film de l’Autrichien Hubert Sauper se présente comme le récit d’une enquête sur un désastre écologique – l’introduction malencontreuse de la perche du Nil dans le lac Victoria dans les années 1960 a eu pour conséquence la disparition de la plupart des autres espèces de poisson – qui aurait conduit à une catastrophe économique et sociale – le commerce de la perche du Nil, essentiellement à destination des marchés riches d’Europe, ne profiterait pas à la majorité de la population -et même morale – il semblerait que les avions qui servent à l’exportation du poisson sont utilisés à l’aller pour acheminer des armes vers les régions troublées de l’Afrique centrale.
Le film étant formellement très bien réalisé, son impact a été énorme dans les pays occidentaux. Ici même, dans cette rubrique (J.A.I. n° 2304), nous avions salué à l’époque de sa sortie ce « témoignage [] au montage serré et dynamique » qui « ne saurait laisser le spectateur indemne ». Nous avions pourtant émis quelques réserves sur cette uvre de « dénonciation », qui, du fait même de son mode de réalisation – essentiellement des images « habilement volées » – et de son parti pris narratif – on pouvait suivre cette enquête quasiment « comme un polar » – n’encourageait guère « une réflexion un tant soit peu subtile sur les causes et les mécanismes de la situation ».
Bien nous en a pris d’être prudent car une contre-enquête réalisée en Afrique par des chercheurs et des journalistes a tout récemment fait apparaître que certaines « évidences » que semblait asséner le film n’étaient pas démontrées (par exemple le lien entre le trafic d’armes et le commerce du poisson), étaient fort contestables (notamment les méfaits économiques de la pêche « moderne »), voire, dans quelques cas, carrément fausses (en particulier l’assertion que la population locale consomme les seuls déchets de la perche).
On peut se rappeler que Farhenheit 9/11 de Michael Moore, le brûlot anti-Bush qui a amorcé il y a quelques années le renouveau du documentaire d’auteur, a subi les mêmes critiques. Dans les deux cas, en effet, on se trouve face à des films « idéologiques » qui entendent dénoncer par l’image, et en particulier par des images « volées » sur le vif, des situations que leurs auteurs estiment intolérables. Voilà pourquoi d’ailleurs le spectateur est convié à suivre le réalisateur dans son enquête et à découvrir ou croire découvrir en même temps que lui ces situations. Quitte à ce que ledit spectateur soit amené à se tromper sur l’interprétation de certains « faits » en même temps que le réalisateur, qui ne cache pas la subjectivité de sa démarche.
Reste, bien évidemment, que le succès actuel du genre ne durera pas si les auteurs ne sont pas d’autant plus rigoureux quant à la fiabilité de l’information proposée sur l’écran qu’ils se permettent de nous dire, fut-ce indirectement, ce qu’il faut penser de ce qu’ils montrent. Un auteur, même épris d’éthique, peut revendiquer le droit d’être de parti pris mais pas celui de tromper.

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