La solution Somparé

Aux termes de la Constitution, c’est le président de l’Assemblée nationale qui assure l’intérim du chef de l’État. Une disposition qui est loin de faire l’unanimité.

Publié le 27 mars 2006 Lecture : 5 minutes.

Lansana Conté reviendra de Genève, si Dieu le veut. Et un jour, comme il l’a dit lui-même avec un grand bon sens, il s’en ira pour de bon. Il y a vingt-deux ans presque jour pour jour, le 26 mars 1984, son prédécesseur Ahmed Sékou Touré décédait aux États-Unis au cours d’une opération cardiaque. La disparition de l’homme qui avait gouverné la Guinée pendant un bon quart de siècle était subite. Mais la Constitution adoptée le 14 mai 1982 était sans ambiguïté : le Premier ministre, Louis Lansana Béavogui, devait assurer l’intérim. C’est à ce schéma conforme à la Loi fondamentale que les querelles intestines entre les dignitaires du régime, le mécontentement, la soif de changement et le désir de liberté de la population, et, finalement, la prise du pouvoir par l’armée mirent un terme.

Aujourd’hui, les spéculations sur la disparition de Conté fleurissent de plus belle. Aussi, contrairement à la fin de la Ire République, les principaux leaders de l’opposition sont-ils aujourd’hui sur place. Ils espèrent profiter de l’atmosphère de fin de règne, et, dans la foulée de la grève générale de début mars, ont concocté un rapport issu d’une « Concertation nationale des forces vives ». Celle-ci ne les unit qu’en en apparence. En fait, elle les amène à se neutraliser les uns les autres. Élaboré au cours de ces dernières semaines, le schéma de l’opposition apparaît lui aussi comme une formule habile pour faire avancer les choses en donnant une place éminente à la société civile. Tous s’accordent sur une période de transition d’une durée maximale de dix-huit mois.
L’architecture pré- sente une faille majeure : elle est contraire à la Loi fondamentale que les organisations internationales, européennes ou africaines considéreront comme la charte d’une succession qu’elles surveilleront et contrôleront avec vigilance.
La solution intérimaire prévue par la Constitution actuelle désigne clairement celui qui devra être investi de la responsabilité de préparer la prochaine élection présidentielle : El-Hadj Aboubacar Somparé, le président de l’Assemblée nationale depuis 2002. Du coup, c’est lui qui est devenu l’obstacle qu’il faut éliminer. Tous les arguments sont bons, y compris celui qui en fait un tortionnaire au camp Boiro du temps de Sékou Touré ! C’est bien mal le connaître.
Somparé, il est vrai, a commencé sa carrière du temps de Sékou. Après de brillantes études, le jeune universitaire hérite du poste de directeur régional de l’éducation à Labé. Il y noue d’excellentes relations avec les intellectuels peuls ; beaucoup sont ses étudiants. Il y gagne aussi l’estime de la population. Ainsi, le père de l’actuel Premier ministre, Cellou Dalein Diallo, lui dira peu avant sa mort « je te confie mon fils ».

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Après Labé, Somparé « monte » à Conakry, où il est nommé directeur des 2e et 3e cycles au ministère de l’enseignement pré-universitaire, avant d’être nommé directeur de l’information. C’est là que Sékou Touré le remarque et en fait en 1978 son ambassadeur en France, quelques mois avant la visite en Guinée du président Valéry Giscard d’Estaing. Il y donne la mesure de sa personnalité calme et détendue, y noue de nombreuses amitiés, et parvient à faire oublier à François Mitterrand, élu président en 1981, les avanies que Sékou lui a fait subir quatre ans auparavant, lorsque le Parti socialiste le critiquait au nom des droits de l’homme. Il réussit également à convaincre le maître de Conakry de venir, en 1982, en France, alors que plusieurs ministres cherchaient à l’en dissuader. La visite, qui aurait pu être un désastre, se passe très bien, au point que Sékou revient en France en 1983 pour la conférence franco-africaine de Vittel.
L’ambassadeur restera à Paris jusqu’en 1985. Et ce n’est qu’à la suite d’une divergence avec le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Faciné Touré, qu’il quittera la capitale française. Mais à Conakry, cet homme brillant au comportement modeste connaît une traversée du désert que la fidélité de quelques amis ainsi que l’appui de son épouse l’aident à surmonter. Pendant un temps, il est gouverneur du palais de l’OUA, puis recteur de l’université de Conakry. Il retrouve avec plaisir l’atmosphère académique et l’admiration de ses étudiants. Lesquels se mettront en grève lorsque « leur recteur » est nommé au ministère de l’Administration du territoire.
À l’avènement du multipartisme, Somparé crée un parti qui se réclame de la mouvance présidentielle, avant de fusionner avec d’autres formations pour donner le Parti de l’unité et du progrès (PUP), dont il devient secrétaire général adjoint derrière Biro Diallo. En 1995, au lendemain des législatives, quand Biro Diallo est élu au perchoir, Somparé prend la tête du PUP. En 2002, lors de la deuxième législature, et après de nombreuses tractations, Somparé est élu président de la nouvelle Assemblée. Au grand dam de Conté qui, précisent certains initiés, ne le souhaitait pas.

À plusieurs reprises, face aux desiderata du chef de l’État, Somparé fera d’ailleurs preuve de fermeté, mais aura toujours l’habileté de ne pas heurter ce dernier de front. Il n’a jamais, non plus, voulu de poste au gouvernement, ni de la charge de Premier ministre. Bien au contraire, c’est lui qui conseilla à Lansana Conté de faire appel à Sidya Touré, alors peu connu en Guinée, et acquis à l’opinion publique (ou ce qui en tient lieu en Guinée) pour lui confier la primature.
Somparé est en fait un adepte du dialogue. Il est ainsi intervenu comme facilitateur entre le gouvernement et les syndicats lors de la grève générale du début de mars. Cette approche sage et prudente lui permet d’avoir des soutiens dans toutes les régions du pays, de rester lié avec nombre de ses anciens étudiants (dont plusieurs ont été ou sont ministres). Mais de tous ces atouts, le plus évident est la légalité constitutionnelle, qui conditionne largement l’attitude de l’étranger. Il est donc devenu l’homme à mettre hors jeu, celui qu’il faut à tout prix discréditer. Au risque de faire le lit de l’armée, qui n’a pas l’habitude, elle non plus, de s’embarrasser de la Constitution. Et qui pourrait mettre tout le monde d’accord.

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