La sale guerre de Bush

Dès l’invasion, voilà trois ans, les Américains ont accumulé les erreurs stratégiques et politiques. Les fautes morales ont suivi : sévices d’Abou Ghraib, centres de torture, massacres de civils.

Publié le 27 mars 2006 Lecture : 4 minutes.

Mille cinq cents hommes, deux cents véhicules blindés, soixante hélicoptères de combat et autant d’avions de tout type – de l’observation au bombardement : trois ans après l’invasion de l’Irak, l’armée américaine a déclenché, à la mi-mars, sa énième opération de ratissage du « Territoire indien » (surnom donné au triangle sunnite par l’US Army) dans la région de Samarra, au nord de Bagdad. Nom de code de ce déploiement aéroporté, l’un des plus importants depuis avril 2003 : « opération Swarmer », en référence à une longue et sanglante bataille de la guerre de Corée pendant les années 1950. Pour ceux qui douteraient encore de l’état de belligérance dans lequel s’enlise la superpuissance mondiale, il suffit de lire la lettre introductive, signée George W. Bush, à la dernière livraison du document annuel sur la « Stratégie de sécurité nationale des États-Unis ». « L’Amérique est en guerre, écrit le président, des rues de Fallouja au métro de Londres, le combat contre les terroristes est le même, et il est loin d’être achevé. » Antienne reprise, le 18 mars, lors de son allocution radiodiffusée hebdomadaire, par un chef d’État qui ne semble même plus maîtriser sa propre propagande : « Il peut sembler difficile parfois de comprendre pourquoi nous pouvons dire qu’il y a des progrès », a reconnu George W. Bush, avant d’annoncer « plus de combats et de sacrifices », puis de confier, malgré tout, son optimisme « parce que lentement, mais sûrement, notre stratégie donne des résultats ».
Beaucoup de choses ont été dites sur le pourquoi d’une « vietnamisation » du conflit irakien et sur la genèse d’un engagement qui n’est plus soutenu désormais par une majorité d’Américains. Pour la plupart des observateurs, l’origine de ce dérapage incontrôlé est à rechercher du côté des décisions désastreuses prises lors de son passage à Bagdad en 2003-2004 par le proconsul américain Paul Bremer : dissolution de l’armée irakienne, « débaasification » massive de l’administration, refus d’organiser des élections locales, etc. S’il fut objectivement catastrophique du point de vue des intérêts américains, le mandat de ce protégé du tandem Donald Rumsfeld-Dick Cheney, dont on se demande encore pourquoi il fut choisi à l’époque de préférence à Zalmay Khalilzad (si ce n’est que ce dernier, un vrai spécialiste de l’Irak, était apprécié de Colin Powell), n’est pourtant que la prolongation d’erreurs antérieures. Publié en cette fin mars à New York, le remarquable Cobra II, livre d’investigation sur la guerre en Irak – à propos des liens entre les services secrets allemands et la CIA (voir J.A. n° 2356) – démontre en effet que, dès le début de l’invasion, le 20 mars 2003, un homme, le général Tommy Franks, patron de l’armée américaine, va porter une lourde part de responsabilité dans l’enlisement de ses propres troupes.
Rumsfeld, Cheney, Wolfowitz (l’actuel président de la Banque mondiale) et donc Franks, qui est à leurs ordres, ont alors une double obsession : aller le plus vite possible (jusqu’à la prise de Bagdad et la chute de Saddam Hussein) avec le moins d’hommes possible (150 000 au lieu des 380 000 prévus initialement). À leurs yeux, seules comptent les divisions blindées de la Garde républicaine massées autour de la capitale avec lesquelles il faut très rapidement entrer en contact afin de les détruire, quitte à laisser derrière soi des poches de résistance qu’il sera toujours temps ensuite de réduire. Le problème est que, ce faisant, l’armée américaine va contourner plutôt que les affronter des unités plus ou moins cohérentes, mais très déterminées, qui constitueront, dès avril, les premiers noyaux de moudjahidine. Formés au début des années 1990 pour quadriller (et réprimer) le pays chiite, ces « Fedayins de Saddam » et autres milices du parti Baas, armés de lance-roquettes et de kalachnikovs, représentent une force d’environ vingt mille hommes qui harcèlent l’armée d’invasion. En réalité, les seuls vrais combats menés par les Américains au cours de leur marche sur Bagdad l’ont été contre ces bandes de partisans – notamment à Nassiriya, Samawa et Nadjaf. Plusieurs officiers supérieurs américains, tels le général Wallace du 5e corps des marines et le colonel Apodaca du renseignement militaire, se sont à l’époque rendu compte du danger que représentaient ces supplétifs que l’on se contentait de disperser sans chercher à les désarmer. L’un et l’autre en ont averti Tommy Franks. Une initiative qui a bien failli entraîner leur limogeage.
Le 31 mars 2003, c’est un général Franks hors de lui qui débarque au quartier général des forces d’invasion, au Koweït. Aux officiers qui évoquent devant lui la nécessité de ralentir l’offensive sur Bagdad, afin de « nettoyer le terrain » au fur et à mesure de la progression, le commandant en chef rétorque en substance : « Je ne me laisserai pas intimider par des généraux dont l’obsession est de minimiser les pertes. Je ne suis pas Colin Powell. » Il ordonne alors d’accélérer la marche sur la capitale – dont les faubourgs sont atteints le 2 avril. Quant à la nécessité de donner à l’invasion un « visage irakien », afin de couper l’herbe sous le pied à une éventuelle résistance, Tommy Franks a son plan – chaudement recommandé par Rumsfeld. Mettre en scène – et en selle – Ahmed Chalabi, l’ineffable et très retors chouchou irakien du Pentagone. Un pont aérien est aussitôt organisé depuis le Nord-Kurdistan jusqu’à la base de Tallil, non loin de Nassiriya. Débarqué avec cinq cents de ses hommes, Chalabi plastronne, fait son show et exhorte le peuple irakien à accueillir ses libérateurs avec des fleurs, un appel dont on connaît l’écho.
Lorsque Bagdad tombe, le 9 avril, Franks exulte et Donald Rumsfeld triomphe. Dans l’euphorie, ce dernier annule le déploiement prévu de la première division de cavalerie, soit seize mille hommes destinés à renforcer le contrôle du pays, au moment où il était peut-être encore temps d’étouffer une résistance dont les Fedayins de Saddam et les milices du Baas formeront l’ossature initiale. Il reviendra ensuite à Paul Bremer, arrivé le 12 mai sur l’aéroport de Bagdad en « costume rangers », de « finir le travail ». Et de quelle manière

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