La démocratie à portée de main

Le colonel Ely Ould Mohamed Vall, chef des putschistes du 3 août dernier, s’est engagé à rendre le pouvoir aux civils à l’issue d’une période de transition qui s’achèvera en mars 2007.

Publié le 27 mars 2006 Lecture : 6 minutes.

L’ère de Maaouiya Ould Taya est révolue. Deux événements l’attestent en ce 16 mars. Blaise Compaoré est accueilli à Nouakchott avec les honneurs que l’on témoigne à un « grand ami ». L’ancien chef de l’État mauritanien, limogé le 3 août 2005, considérait le président burkinabè comme un « ennemi juré », lui reprochant notamment d’héberger et de soutenir ses opposants armés. Non loin du Palais Ocre où le colonel Ely Ould Mohamed Vall, successeur du président déchu, reçoit son illustre invité, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine, tient une conférence de presse. Entouré de membres de la Commission mise en place en octobre dernier, l’ancien officier et diplomate, connu pour ses « réserves » à l’égard de l’ancien régime, explique aux journalistes le fonctionnement de cette instance que l’ex-maître de Nouakchott avait toujours refusé de créer faisant ainsi fi des revendications de son opposition légale.
Aux yeux des Mauritaniens, qui avaient quasi unanimement applaudi le renversement d’Ould Taya, la Ceni représente un « signe fort de rupture » avec les pratiques du passé. Il est vrai que le pouvoir déchu fut, depuis le lancement du « processus démocratique » en 1991, souvent accusé de tripatouillages électoraux. La Ceni n’est pas l’unique gage de bonne foi donné par le Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD), qui s’est engagé, dès le premier jour, à rendre le pouvoir aux civils au bout d’une période transitoire de deux ans, ramenée plus tard à dix-neuf mois. Le 24 août, la junte adoptait en outre une ordonnance-loi interdisant à ses membres et à ceux du gouvernement de transition de prendre part aux futures échéances électorales, elles-mêmes fixées à l’issue d’une large concertation nationale. Cinq cents leaders d’opinion nationaux venus de la classe politique, de la sphère intellectuelle et des milieux d’affaires y ont été associés, fin octobre à Nouakchott, en présence de délégués de nombreuses organisations internationales telles l’ONU, l’Union africaine et l’Organisation internationale de la Francophonie.
Selon le calendrier annoncé, le corps électoral sera d’abord appelé aux urnes le 24 juin prochain pour voter de substantiels amendements à la Constitution de juillet 1991. Principal enjeu : réduire le mandat présidentiel à cinq ans au lieu de six et, surtout, le rendre renouvelable une seule fois. Des élections municipales et législatives auront ensuite lieu, le 19 novembre, mais le processus ne sera pas encore bouclé. D’autres scrutins seront organisés en 2007 : sénatoriales le 21 janvier et présidentielle le 11 mars. En cas de ballottage, un second tour de la présidentielle est prévu pour le 25 du même mois.
Leader du Front populaire (FP), une formation d’opposition à l’ancien régime, Ch’bih Ould Cheikh Melaïnine ne tarit pas d’éloges sur le CMJD. « Pour la première fois, les Mauritaniens ont une vision claire de leur avenir politique immédiat. » Mohamed Ould Mouloud, qui préside l’Union des forces du progrès (UFP), ne le dément pas. « La démocratie est enfin à portée de main dans ce pays », affirme-t-il. Leurs propos reflètent la confiance qu’accorde désormais l’ensemble de la classe politique aux tombeurs d’Ould Taya, qui se sont engagés, maintes fois, à observer une stricte neutralité vis-à-vis des protagonistes politiques. « Je le dis franchement : nous n’avons pas de candidat, et nous ne soutiendrons pas une partie contre une autre », répétait le colonel Vall, le 14 mars, au quotidien panarabe Al Hayat. L’homme fort de Nouakchott n’a jamais cessé, depuis son accession à la magistrature suprême, de défendre une thèse : seul un jeu électoral vraiment libre pourra permettre à la Mauritanie de s’en sortir.
Si le pays, soutient-il en substance, a connu un coup d’État militaire le 10 juillet 1978 mettant fin au pouvoir civil de feu Mokhtar Ould Daddah, père de l’indépendance mauritanienne, c’est parce qu’il y avait un régime de parti unique. Depuis, Nouakchott a été le théâtre d’une série de révolutions de palais – elles ont débouché, le 12 décembre 1984, sur le putsch qui amena le colonel Taya aux affaires -, et c’est le monolithisme qui a prévalu. Si, enfin, Maaouiya Ould Taya avait accepté de jouer franc jeu en lançant « le processus démocratique » en 1991, s’il n’avait pas fait de sa formation (le Parti républicain démocratique et social, PRDS) un véritable parti-État, une dangereuse « dérive totalitaire » aurait pu être évitée et le « changement » du 3 août 2005 n’aurait pas eu lieu.
« Ely », comme l’appellent ses concitoyens, affirme, donc, croire aux vertus de la démocratie. Depuis son avènement, les prisonniers politiques – à commencer par les leaders de la mouvance islamiste locale et les membres de l’organisation armée « Cavaliers du changement », à laquelle l’ancien régime impute au moins deux tentatives de putsch, en 2003 et 2004 – ont été libérés. Seuls une vingtaine d’islamistes arrêtés puis accusés d’appartenance au « salafisme djihadiste » par la police d’Ould Taya sont encore incarcérés à la prison centrale de Nouakchott. Leurs familles et leurs avocats ainsi que les organisations des droits de l’homme demandent sans cesse leur libération ou leur traduction devant la justice. Sans succès jusqu’ici.
En revanche, la liberté d’association n’est plus un vain mot. Des ONG de défense des droits de l’homme et plusieurs partis politiques ont été reconnus par les nouvelles autorités. Le CMJD s’est, toutefois, fermement opposé à la création d’une formation islamiste. Fondée sur sa lecture de loi qui interdit à tout courant politique de faire de l’islam, religion de tous les Mauritaniens, un « apanage exclusif », cette attitude de la junte n’a pas reçu la bénédiction de la classe politique, mais elle n’a suscité aucune réprobation de la part des partenaires étrangers. D’ailleurs, aujourd’hui, ceux-ci soutiennent tous la transition en cours. L’Union africaine, qui avait gelé la participation de Nouakchott à ses activités au lendemain de la révolution de palais du 3 août, a fini par prêter foi aux promesses démocratiques des nouveaux maîtres du pays. Tout comme les États-Unis, qui, un temps, avaient souhaité la restauration de l’ancien chef d’État perçu comme un allié de Washington. « Les Américains n’ont pu que se rendre à l’évidence, explique un diplomate maghrébin en poste à Nouakchott. La popularité de Ould Taya était très érodée, et la transition démocratique proposée par le CMJD bénéficiait de l’appui unanime de la classe politique. »
Huit mois après la chute d’Ould Taya, les rapports entre la junte et les partis restent plutôt cordiaux, en dépit de quelques désaccords. Certains reprochent au nouveau pouvoir de ne pas avoir engagé l’apurement du passif de l’ancien régime, ni accepté « le retour organisé » des dizaines de milliers de Noirs mauritaniens déportés, au début des années 1990, au Sénégal voisin. D’autres se plaignent de sa volonté d’imposer le principe de candidatures « libres », qui ne soient pas affiliées à un parti, aux prochaines élections. Mais dans l’ensemble, aucun des partis politiques ne met en doute la sincérité de l’engagement des militaires de rendre le pouvoir.
Du coup, on a tendance à ne pas chercher noise au CMJD. On préfère plutôt garder son énergie et son souffle pour les futures joutes électorales, qui animent déjà les conversations privées et le débat public. Que ce soit dans les salons, dans les colonnes des journaux ou sur les forums Internet, le débat est focalisé sur l’identité du successeur du colonel Vall. Président du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) et opposant constant au régime déchu, Ahmed Ould Daddah est au centre de tous les échanges. Raison principale : en termes de ralliements, l’homme devance, pour le moment, tous les candidats, qu’ils soient déclarés ou potentiels.

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