Jeu de dupes

Publié le 27 mars 2006 Lecture : 2 minutes.

La première erreur, considérable, de l’administration Bush en Irak a été d’occuper un pays de 25 millions d’habitants avec seulement 140 000 hommes. Quand la sécurité n’est pas garantie, les populations se replient sur leurs groupes ethniques, religieux ou tribaux. Elles se méfient de tous ceux qui n’appartiennent pas à leur clan. Si les autorités restent faibles, elles se chargent elles-mêmes de leur sécurité, créent ou renforcent des milices. Ce processus s’est répété des dizaines de fois, notamment dans les Balkans et aujourd’hui, bien entendu, en Irak.

La seconde faute a été de plus grande ampleur. Washington s’est fait une vision de l’Irak qui n’avait rien à voir avec la réalité. On s’est imaginé que l’Irak était une société laïque, avec un bon niveau d’éducation, plutôt qu’un ensemble composé de trois communautés distinctes. Pour voir les choses comme elles sont, il suffit de consulter un sondage qui détaille les résultats de chacune des trois régions de l’Irak. Quand on demande aux Irakiens, par exemple, si l’élimination de Saddam Hussein a été une bonne chose, les Kurdes répondent oui à 91 %, les chiites à 98 % et les sunnites à 13 %.
Lorsque l’insurrection a commencé à se manifester, la plupart des dirigeants de l’administration américaine ont cru qu’elle ne représentait qu’une petite bande de jusqu’au-boutistes, soutenus par un grand nombre d’étrangers, sans comprendre ce qu’elle était : un mouvement largement appuyé sur la population sunnite (même s’il ne représente évidemment qu’une minorité de cette population). Quand les États-Unis ont licencié l’armée et « débaasifié » les responsables, ils ont cru qu’ils liquidaient l’appareil du totalitarisme. Mais les sunnites ont considéré que ces mesures étaient une purge massive dirigée contre eux. Dans le dernier numéro de Foreign Affairs, l’expert militaire Stephen Biddle se livre à une critique vigoureuse et convaincante de la politique de l’administration, centrée sur l’irakisation. « Les sunnites irakiens, écrit-il, considèrent l’armée et la police nationales comme une milice chiito-kurde surdopée Plus les sunnites se sentiront menacés, plus ils auront envie de se battre. Plus les forces irakiennes se renforceront et mieux elles seront entraînées, et plus les tensions communautaires qui sont à la base du conflit s’exacerberont. » La thèse de Biddle est que l’idée directrice de l’administration – « mettre sur pied » une armée irakienne – non seulement est vouée à l’échec, mais contribue activement à aggraver la spirale négative à laquelle nous assistons.

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Biddle souligne à juste titre que les Américains espèrent se ménager le soutien de toutes les communautés, y compris les sunnites, en reconstruisant l’infrastructure de l’Irak et en relançant le développement économique. Mais si vous craignez un avenir où vous risquez d’être embarqué dans une rafle, torturé ou massacré, une nouvelle école et quelques heures de courant électrique supplémentaires ne vous feront pas changer d’avis. La sécurité passera avant tout. Biddle estime qu’un accord national de partage du pouvoir doit avoir la priorité sur la création d’une armée irakienne.

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