Haditha : le temps des représailles

Publié le 27 mars 2006 Lecture : 3 minutes.

Le 19 novembre 2005 à l’aube, un véhicule d’une patrouille de marines est touché par un engin explosif artisanal près du village de Haditha, à l’ouest de l’Irak, dans une région hostile aux forces d’occupation et mal sécurisée. Un communiqué publié le lendemain précise que un marine et quinze civils irakiens sont décédés des suites de l’explosion, tandis que huit insurgés ont été tués dans la fusillade qui a suivi. Or des témoignages concordants recueillis par Time Magazine et corroborés par un enregistrement vidéo d’un étudiant irakien rapportent une version tout autre. Les quinze civils n’auraient pas été tués dans l’explosion, mais froidement abattus par des marines, à l’intérieur de leur maison, dans un acte de fureur vengeresse. Les autorités militaires américaines, auxquelles Time a communiqué ces témoignages, ont ouvert une enquête qui les a largement confirmés. L’affaire a été confiée au Service des enquêtes criminelles de la marine (NCIS) pour déterminer si, dans cette affaire, les troupes américaines avaient fait un usage légitime ou abusif de la force.
Les événements se seraient déroulés de la manière suivante. Après l’explosion de leur véhicule, les marines se seraient dirigés vers une maison située à environ 150 mètres pour répondre à des coups de feu venant de cette direction. Dans cette maison habitait une famille de onze personnes, dont Iman Walid, une petite fille de 9 ans que l’équipe de Time Magazine a pu interroger. Le fracas de l’explosion en cette heure très matinale avait tiré de leur sommeil tous les occupants. Pris de peur, ils s’étaient terrés dans la pièce principale, sauf le père d’Iman, qui s’était retiré dans sa chambre pour prier. Selon le témoignage de l’enfant, les soldats américains ont fait irruption dans la maison, pénétrant d’abord dans la chambre de son père, où des coups de feu sont partis, puis dans la pièce principale, où ils ont abattu successivement sept autres membres de la famille. Les corps des victimes ont protégé des balles Iman et son petit frère de 8 ans, Abdul Rahman. Les deux enfants, blessés, auraient été évacués plus tard par des soldats irakiens. Les marines disent avoir cru à un guet-apens et réagi à des bruits suspects. Ils auraient ensuite investi une seconde maison, tuant de la même manière huit civils non armés. Enfin deux autres maisons furent le théâtre d’une ultime attaque qui coûta la vie à huit Irakiens, que l’armée américaine a classés comme insurgés, car deux AK-47 ont été découverts sur les lieux. L’engagement aurait duré plus de cinq heures et, selon l’enquête, aurait fait au moins vingt-trois morts, dont quinze civils.
Selon le directeur de l’hôpital de Haditha, où les corps des victimes ont été déposés par les marines, les blessures des civils ont été provoquées par des balles tirées à bout portant et non par des éclats de bombe. L’enregistrement vidéo montre les murs intérieurs de la première maison maculés de sang et criblés de balles. En revanche, les murs extérieurs ne portent aucune marque de coups de feu, ce qui accrédite la thèse d’une action de représailles.
La désinvolture avec laquelle l’armée américaine a d’abord classé l’affaire, sans chercher à en établir les circonstances, n’est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, le massacre de My Lai, en 1968, quand plusieurs centaines de civils vietnamiens furent abattus dans une expédition punitive que les autorités américaines s’ingénièrent à cacher puis à déformer pendant dix-huit mois. Recevant les doléances d’une délégation d’habitants de Haditha, le commandant de l’unité de marines aurait reconnu l’erreur de ses hommes.
Un officier supérieur a recoupé et confirmé les preuves apportées par Time Magazine, mais sa conclusion préliminaire serait que les décès des civils relèvent du « dommage collatéral » plutôt que d’une intention criminelle des marines. En attendant, les autorités américaines ont versé une indemnité de 2 500 dollars à chacune des familles des quinze victimes. Selon un rapport de la police irakienne, communiqué à l’agence de presse Knight Ridder et contesté par les forces américaines, une opération de représailles très semblable aurait eu lieu le 15 mars 2006 près de la ville de Balad, causant la mort de onze civils, dont cinq enfants et quatre femmes.

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