Ennemis intimes

Rien ne parvient à troubler la sérénité des deux constructeurs automobiles allemands, pas même leur rivalité. Bien au contraire.

Publié le 29 mars 2006 Lecture : 5 minutes.

L’année 2005 a failli être excellente pour Mercedes. Car les bonnes nouvelles n’ont pas manqué. À commencer par les ventes : 1,08 million de véhicules, 2 % de plus qu’en 2004. De surcroît, Dieter Zetsche, nommé président le 1er janvier, a remis de l’ordre dans la maison : fin du partenariat avec Hyundai, séparation d’avec Mitsubishi. Bref, c’en est fini d’une politique d’expansion à tous crins fort onéreuse. Enfin, la Volkswagen Phaeton, censée rivaliser avec la luxueuse Classe S, s’est retirée du marché américain. Ce qui annonce sa fin à court terme, et l’échec de Volkswagen (VW) dans le haut de gamme.
Oui, vraiment, l’année aurait été excellente si BMW n’avait fait encore mieux et dépassé Mercedes pour la première fois : 1,13 million d’exemplaires en 2005 (+ 10 %). Certes, BMW a bénéficié d’un courant porteur, avec le renouvellement de la Série 3 en mars et la montée en puissance des deux véhicules qui ont enrichi sa gamme en 2004, la Série 1 et le X3. Une telle conjonction était la garantie de résultats en hausse. Tout comme Mercedes fera un bond en 2007, quand sortira sa nouvelle Classe C. Il convient donc de prendre un peu de recul pour mesurer le chemin accompli par BMW. En l’an 2000, Mercedes avait diffusé 1,06 million de voitures dans le monde et BMW 822 000. Depuis, tous deux ont suivi une courbe ascendante. Mais pas au même rythme : BMW a progressé de 300 000 véhicules, quand Mercedes en gagnait 20 000
La comparaison de groupe à groupe fait apparaître une différence encore plus nette. Car BMW gagne de l’argent avec Mini (204 000 unités en 2005, + 9 %), quand Mercedes en perd avec Smart (143 000 unités, + 2 %). Ce qui explique que BMW ait dégagé un profit de 2,2 milliards d’euros en 2005, alors que Mercedes avouait un déficit de 500 millions d’euros, imputable à sa filiale Smart. Dieter Zetsche n’a pas attendu la publication des comptes pour envoyer un message aux milieux boursiers : Smart est à vendre, et Mercedes supprimera 22 000 postes d’ici à 2008, soit 7 % de ses effectifs !
En vérité, et quoi qu’en laissent apparaître les chiffres, Mercedes a parfaitement réussi à la fois le redéploiement et le changement d’image de sa marque ces dernières années. Voilà deux décennies, une Mercedes, pour simplifier le trait, était solide, mais pas franchement gaie. Depuis, Mercedes a rompu avec sa monoculture des berlines. En modernisant, avec le Classe M en 1998, le genre 4×4 routier inventé par Range Rover ; en séduisant une clientèle féminine, jusqu’alors réfractaire, avec le petit monospace Classe A (1997), décliné en Classe B de taille familiale (2005). Qui aurait cru une marque réputée conservatrice capable d’une telle révolution ? Surtout que les fées du design se sont enfin penchées sur le berceau des dernières Mercedes, ont allégé leur ligne, tendu leurs courbes. En témoigne la CLS, peut-être la plus belle voiture du monde. Là encore, qui aurait cru qu’une Mercedes serait un jour sexy ?
Ce n’est donc pas le talent qui a manqué à Mercedes. C’est l’argent. Car la politique de croissance externe menée dans les années 1990 s’est révélée ruineuse : Mitsubishi était un puits sans fond, Chrysler un géant perclus de dettes, Smart une fausse bonne idée. Du coup, faute d’investissements, Mercedes a cédé à BMW le leadership sur le plan de l’innovation technique (vision tête haute, direction à démultiplication active), perdu du terrain en matière de fiabilité (problèmes électroniques) et rogné sur sa stratégie commerciale. D’où une quasi-stagnation des ventes en dépit d’un élargissement de gamme.
BMW est tombé, lui aussi, dans le piège des acquisitions douteuses en achetant le groupe Rover. Mais s’est bien tiré du guêpier en se débarrassant de Rover, en revendant Land Rover et surtout en conservant Mini, une vraie pépite. Dès lors, BMW a continué à tracer son sillon : les berlines à propulsion arrière et moteurs en ligne. Soit l’architecture la plus noble de l’automobile. Avec ce pedigree, un monospace BMW, du genre Classe A, aurait été malvenu. BMW a contourné la difficulté en descendant d’un cran, avec sa petite berline Série 1. Et, pour être arrivé après Mercedes sur le segment des 4×4 routiers, a progressé plus vite en doublant son offre : X5 en 1999, puis X3.
Comme Mercedes, BMW a donc accru sa gamme. Mais en profitant des bénéfices accumulés pour bâtir une politique commerciale agressive. L’exemple du continent africain est édifiant. En 2005, BMW a également devancé pour la première fois son éternel rival en Afrique. Mercedes avait diffusé 24 168 véhicules sur le continent en 2004, BMW 23 615. Un an plus tard, le rapport s’est inversé : 29 811 ventes pour BMW, 28 704 pour Mercedes. BMW a ainsi augmenté son avance sur Mercedes en Afrique du Sud (25 473 ventes, contre 24 915). Et pris ses distances en Égypte (1 683 ventes, contre 1 498), grâce sa nouvelle usine, dans la banlieue du Caire.
Parallèlement, BMW a réduit l’écart en Algérie : 260 ventes en 2005 (+ 51 %), contre 381 pour Mercedes. Idem au Maroc : 501 ventes (+ 25 %), contre 625. Il a accru son avance en Tunisie : 320 ventes, contre 197. Et enregistré des résultats significatifs au Nigeria (386 ventes), en Libye (79), au Sénégal (75) ou en Côte d’Ivoire (64).
Bien sûr, l’Afrique ne représente qu’une goutte d’eau dans les ventes mondiales des deux constructeurs : 3 %. Et moins encore déduction faite de l’Afrique du Sud, de très loin le premier marché du continent. Mais le mérite de BMW est d’avoir bâti en une décennie un véritable réseau commercial en Afrique pour compenser le déficit dont la marque souffrait vis-à-vis de Mercedes, présent depuis longtemps sur le continent grâce à son activité poids lourds. BMW a ainsi ouvert, en 2005, trois nouveaux show-rooms en Afrique : en Tunisie (Sfax), au Nigeria (Port-Harcourt) et en Libye. Et va à la rencontre de ses futurs clients : fourniture de voitures pour le festival de pêche d’Argungu, au Nigeria ; même structure lors des salons automobiles, comme celui de Casablanca en mai, que pour les salons européens. BMW a vendu 23 Mini au Maroc et 73 en Égypte. Ce ne sont que des petites graines. Mais elles préparent les récoltes de demain.
Dans l’immédiat, BMW et Mercedes entendent diversifier encore leur gamme. Une fois de plus, c’est Mercedes qui va tirer le premier, avec la Classe R. L’idée est dans l’air depuis l’échec de la Renault Vel Satis : une berline à position haute de conduite. Mercedes y a ajouté quatre roues motrices et une banquette pour accueillir sept personnes à bord. BMW répliquera, en 2008, avec un véhicule de la même farine et un coupé 4 places à position haute de conduite. Avant que la famille des 4×4 BMW ne s’enrichisse d’un petit X1.
BMW et Mercedes se préparent donc des lendemains heureux. Dieter Zetsche en est le premier convaincu : « Mercedes et BMW sont des marques solides, parce qu’elles rivalisent en permanence. » Et parce que Audi, le troisième larron allemand spécialisé dans le haut de gamme, ne parvient pas à troubler leur sérénité : 830 000 ventes en 2005.

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