Embargos pour rien

Les mesures d’interdiction de livraisons d’armes dans les pays en conflit sont rarement respectées. Au grand dam de l’ONU.

Publié le 27 mars 2006 Lecture : 3 minutes.

Entre le 1er juin et le 31 août 2002, six avions-cargos atterrissent à l’aéroport international Roberts de Monrovia, chargés d’environ 200 tonnes d’armement recyclé du conflit yougoslave : 5 millions de munitions, 5 160 fusils d’assaut ou mitraillettes, 4 500 grenades à main, 6 500 mines et 350 lance-missiles. De quoi tuer à peu près tout ce que le pays compte encore d’âmes vivantes. Venus de Belgrade, en passant par Lagos, les pilotes annoncent le transport de matériel d’extraction minière. Il n’en est rien, bien sûr. Ils contreviennent en fait à l’embargo du Conseil de sécurité de l’ONU frappant le Liberia en guerre civile.
« Pas un seul des embargos juridiquement contraignants décrétés par les Nations unies n’est parvenu à stopper les livraisons d’armes », dénonce un rapport publié à la mi-mars par Amnesty International (AI), Oxfam et le Réseau d’action international sur les armes légères (Raial). Dans leur document qui fait « un tour d’horizon des dix dernières années », les trois ONG soulignent la faillite du système international de prévention des conflits. Pour l’Afrique, l’échec des mesures d’embargo, souvent décidées en dernier recours et considérées comme particulièrement coercitives, est dramatique. Car les six pays aujourd’hui sous le coup d’un embargo imposé par la communauté internationale se trouvent tous sur le continent : Côte d’Ivoire, Somalie, Liberia, RD Congo, Sierra Leone et Soudan.
Depuis dix ans, à l’exception de celles sur l’Irak et l’ex-Yougoslavie, les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU visant à stopper la fourniture d’armes à des groupes belligérants ont toujours concerné l’Afrique. Sans grand succès. Ni la mise en place de comités ad hoc d’application des sanctions, ni la présence de Casques bleus sur le terrain, ni les rapports fouillés régulièrement élaborés par des experts onusiens rien ne dissuade les négociants d’armes de faire parvenir munitions, mitrailleuses, grenades à propulsion et autres AK-47 dans les pays d’Afrique sous embargo.
Selon le rapport d’Amnesty, d’Oxfam et du Raial, les réseaux de trafiquants d’armes opèrent depuis une trentaine de pays, dont la Belgique, le Burkina Faso, la Guinée, Israël, le Nigeria, le Rwanda, l’Afrique du Sud, les Émirats arabes unis, le Togo ou encore le Royaume-Uni. En interceptant parfois des cargaisons d’armes illicites, les Nations unies parviennent à déterminer l’origine des matériels de guerre. Ils proviennent de Belgique, de Bulgarie, de Chine, d’Allemagne, d’Égypte, de Roumanie, de Russie, de Serbie et d’Ukraine. Des individus ont été clairement identifiés et le rapport cite notamment l’homme d’affaires russe Victor Bout ou l’Ukrainien Leonid Minin.
« L’approvisionnement en armes de l’Angola, de la RD Congo, du Liberia et de la Sierra Leone par le réseau Bout est notoirement connu, peut-on lire dans le document des trois ONG. Bout n’a toutefois jamais été inculpé de trafic d’armes parce que, dans la plupart des pays, la législation ne punit pas les activités de courtage et de transport d’armes. » Même s’ils ont été identifiés et parfois arrêtés, ces deux hommes courent toujours.
En cause : le manque de temps pour mener des enquêtes exhaustives, le manque de moyens et la faiblesse des contrôles internationaux, mais, surtout, l’absence de volonté des États membres de l’ONU d’appliquer réellement les sanctions. De fait, indique le rapport, « dans beaucoup de pays, les compagnies aériennes ou de fret qui ont régulièrement enfreint les embargos onusiens sont rarement frappées de fermetures définitives. Les intérêts commerciaux, politiques ou stratégiques se liguent souvent contre l’application de mesures d’embargo prises à l’encontre d’un régime ou d’un groupe de particuliers. »
Seul moyen de contourner ces déficiences : la création d’un Traité sur le commerce des armes que les trois ONG réclament avec force, à quelques mois de la Conférence mondiale des Nations unies sur les armes légères qui doit se tenir à la fin de juin prochain. « Il n’existe aucun accord international global régissant le transfert des armes. En revanche, un traité mondial juridiquement contraignant réglemente le commerce de produits tels que les os de dinosaures ou les timbres postaux de collection », précise le document. Sans commentaire.

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