Dominique de Villepin

Animé par le sentiment d’être différent, voire supérieur, le Premier ministre français a toujours éprouvé le besoin de se démarquer des autres.

Publié le 27 mars 2006 Lecture : 6 minutes.

« Trois choses sont impossibles : le retrait, la suspension et la dénaturation [du Contrat première embauche]. » Cela fait près d’un mois que la France gronde contre le CPE, qualifié de contrat « au rabais », un mois que les manifestations d’étudiants et de syndicats se succèdent, un mois que nombre d’universités et de lycées sont bloqués. Dominique de Villepin, qui s’adresse aux parlementaires de sa majorité réunis à Matignon le 21 mars, ne veut rien lâcher. En déclarant toute modification du CPE « impossible », le Premier ministre français semble même en rajouter. Même si, depuis, il a mis un peu d’eau dans son vin à la demande de Jacques Chirac et qu’une négociation est à l’ordre du jour fin mars, tout Villepin est là : une opiniâtreté qui confine à l’entêtement, une assurance qui trahit l’orgueil et l’intransigeance du personnage.
Villepin, qui a ignoré l’appel à la prudence de ses ministres sur le CPE, n’a jamais fait les choses comme les autres. Il a toujours agi selon ses idées. Confiant dans son instinct comme il l’est dans son physique, le mètre quatre-vingt-douze affûté du marathonien (il court tous les jours), la mèche grise romantique au vent et le regard bleu azur.
En Mai 1968, quand la France se met en grève générale, le jeune Dominique, 14 ans, est élève dans une école privée catholique au Venezuela, où son père, Xavier, représente la firme Pont-à-Mousson. Chez les Bons Pères de Caracas, l’ambiance est plutôt conservatrice. Il est le seul de tout l’établissement à faire la grève.
Ce perpétuel besoin de se démarquer est profondément ancré dans la certitude qu’il a d’être différent. Peut-être parce qu’il n’est pas né – banalement – en France mais à Rabat (Maroc), et a grandi dans un environnement où il était toujours un étranger, au gré des expatriations successives de son père, qui deviendra plus tard sénateur. L’adolescent Villepin lit beaucoup. Et se passionne pour l’histoire de cette France, si loin de lui et, surtout, si différente de la « vraie » France. Une école désincarnée de la vie qui explique, sans aucun doute, son relatif décalage avec le pays qu’il gouverne. On raconte que le soir, autour de la table familiale, le père interroge ses quatre enfants. À l’un de prouver ses connaissances sur Austerlitz ; à l’autre de disserter sur l’aventurier-écrivain Henri de Monfreid ; au troisième de citer le poète Lamartine « J’ai rêvé de la France avant de la connaître. »
L’histoire de France est une histoire de guerres. Villepin a rassemblé ses récentes mesures de lutte contre le chômage sous le titre de « Bataille » pour l’emploi. Vu le contexte social actuel, il ne croyait pas si bien dire, même si là n’était pas l’intention initiale de son auteur. Quoique « J’ai un parcours, une éducation personnelle, qui ont toujours été ceux de la crise. » Jean-Eudes Rabut, loyal chef de cabinet de Chirac (1986-1995) avant d’être laminé puis écarté par Villepin, se souvient(*) : « À l’Hôtel de Ville [de Paris], Michel Roussin et moi gérions les emmerdements avant d’en rendre compte. Villepin, lui, fait monter les crises en neige avant de demander les pleins pouvoirs pour les gérer. » La guerre de tous les instants, c’est son truc. Les Balladuriens s’en souviennent, eux qui ont été victimes d’une impitoyable « purge » au sein de la nation de droite orchestrée par Villepin lui-même après la victoire de Chirac en 1995.
Entre Chirac et Villepin, la relation fusionnelle s’est construite entre 1994 et 1995, dans la préparation de l’élection présidentielle. Villepin est alors directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères Alain Juppé. Balladur caracole en tête des sondages. Il va entrer à l’Élysée, dont rêve Chirac depuis toujours. Un des rares à y croire encore, dans l’entourage chiraquien, c’est Villepin. Plus infatigable que l’infatigable Chirac. Plus insatiable que son insatiable maître. Chirac est finalement élu. Vingt ans après avoir rédigé pour lui des notes géostratégiques, et après un long détour par les ambassades (Washington et New Delhi notamment) avec sa femme et ses trois enfants, Villepin est récompensé par le poste de secrétaire général de l’Élysée. Un poste qu’il occupe pendant sept ans avant d’être nommé ministre des Affaires étrangères en 2002, ministre de l’Intérieur en 2004 puis Premier ministre le 31 mai 2005.
Pendant ces onze ans au plus haut niveau de l’État, Villepin fait des « boulettes », conséquences de son empressement et de son assurance. Mais Chirac ne le lâche jamais. Comme en juillet 2003 quand, ministre des Affaires étrangères, il monte une mission « perso » pour tenter de faire libérer Ingrid Betancourt, otage dans la forêt amazonienne. Les agents français mandatés par Villepin, qui n’a averti personne, pas même Chirac, sont piteusement arrêtés par la police brésilienne. Fiasco. « Ce diplomate aurait déclenché des guerres », prophétisait un de ses ennemis en mai 2002
Cela ne l’empêche pas d’être brillant lorsque les circonstances s’y prêtent. Comme lors de son discours à l’ONU contre la guerre en Irak, le 24 février 2003. Dans ce contexte particulier, son verbe fleuri et son panache très gaullien lui valent d’être applaudi par l’assemblée. Un hommage rarissime.
En plus de se sentir différent, Villepin est convaincu d’être meilleur que les autres. Il n’a pas attendu pour cela de faire l’École nationale d’administration (ENA), qui fournit à la France ses élites administratives et nombre de ses cadres politiques. Il y côtoyait notamment François Hollande et Ségolène Royal, qui pourraient être ses rivaux à la présidentielle de mai 2007. Et, fait aggravant, il ne cache pas son sentiment de supériorité. Morceaux choisis : « Je gère le cerveau de Chirac » ou encore « C’est moi qui ai préparé Alain Juppé pour le poste [de ministre des Affaires étrangères]. » Fraîchement nommé à Matignon, il annonce sans rire : « La politique modeste, ce n’est pas ce qu’attendent les Français. »
Cette morgue et cette langue bien pendue, ce sont ses deux talons d’Achille. La liberté de ton, tolérée bon gré mal gré chez le conseiller du Prince, ne l’est plus quand on est aux commandes. S’il a une haute idée de lui-même et de la France, Villepin méprise les politiques et il le fait savoir. Son mot préféré pour les qualifier ? « Connards ». Sarkozy ? Un « nabot ». Pas très élégant de la part de quelqu’un qui écrit des poèmes, admire Arthur Rimbaud (auquel il a emprunté le prénom – donné à son fils – et l’adjectif « abracadabrantesque » qui servit à Chirac de paravent face aux accusations de malversations dont il était l’objet) et préfère la compagnie d’intellectuels et d’artistes. La liste est longue de ceux qu’il a reçus à son bureau ou chez lui depuis plusieurs années. On y relève le nom du peintre marocain Mehdi Qotbi, qui a d’ailleurs illustré un des recueils de poèmes du Premier ministre (et pratique à ses heures la diplomatie parallèle).
Les politiques se vengent en rappelant souvent qu’il n’a jamais été élu. « Celui qui n’a pas été élu cinq fois et battu cinq fois ne peut rien comprendre à la politique », disait Edgar Faure, ancien Premier ministre. Et puis ils ne lui ont toujours pas pardonné d’avoir conseillé à Chirac de dissoudre en 1997 une Assemblée nationale où la droite jouissait pourtant d’une majorité exceptionnelle. Même s’il n’était pas le seul dans la pièce (il y avait aussi, outre Chirac, Jean-Louis Debré, Alain Juppé et son directeur de cabinet), c’est lui qui en portera la responsabilité dans le cur des élus de droite et de Bernadette Chirac, qui, depuis, le surnomme Néron, en référence à l’empereur romain qui brûla Rome. Seul un exalté comme lui pouvait jouer au pyromane, voilà ce que tout le monde pense. Sauf Chirac et sa fille Claude, avec laquelle Villepin a partagé un bureau pendant sept ans à l’Élysée, et dont l’influence est immense.
Aujourd’hui, les élus de droite n’ont qu’une peur, c’est que Villepin n’entraîne la maison UMP dans sa chute. En choisissant d’agir, d’innover, de réformer, le Premier ministre, fonction peu propice à la conquête de l’Élysée, prend tous les risques. Mais avait-il le choix ? Dans la bataille qui l’oppose à Sarkozy, l’immobilisme l’aurait de toute façon condamné…

* Cité par Franz-Olivier Giesbert dans son dernier livre, La Tragédie du président (Flammarion).

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