Charles Taylor, de Calabar au tribunal

Sous la pression internationale, Ellen Johnson-Sirleaf a dû changer ses priorités et demander à ses pairs africains de revoir le cas de son prédécesseur.

Publié le 27 mars 2006 Lecture : 3 minutes.

Charles Taylor, en exil à Calabar (sud-est du Nigeria), se ferait-il rattraper par son passé et serait-il en passe de devenir l’ennemi public numéro un de la sous-région ? L’ancien chef de l’État libérien commence, quoi qu’il en soit, à être encombrant pour Olusegun Obasanjo. Le président nigérian, qui s’était engagé à l’accueillir en exil, est aujourd’hui prié de le livrer à la justice internationale. La situation n’en est que plus embarrassante pour la présidente libérienne nouvellement élue, Ellen Johnson-Sirleaf, qui n’avait pas inscrit ce dossier dans ses priorités. Sous la pression internationale, elle se voit contrainte de pousser son homologue Obasanjo à trouver une solution rapide, acceptable par toutes les parties.
C’est ce qu’elle a déclaré, le 17 mars, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, en affirmant sa volonté de voir débuter les consultations des principaux leaders africains signataires de l’accord qui a permis à Charles Taylor de trouver refuge au Nigeria. À charge pour ces derniers de déterminer de quelle façon l’ancien président, qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) depuis le 4 juillet 2003, doit être envoyé devant les juges. Signe que l’affaire est délicate : le jour où leur présidente s’exprimait à New York, les Libériens se sont émus à l’annonce, par la porte-parole du président Obasanjo, Remi Oyo, de l’existence d’une « demande officielle d’extradition », information démentie le jour même par le ministre libérien de l’Information, Johnny McClain, avant d’être reconfirmée plus tard dans la soirée par Johnson-Sirleaf, lors d’une conférence de presse à New York. La demande a pris, en réalité, la forme d’un long mémo échangé entre les deux chefs d’État, qui résume l’essentiel de l’accord concernant l’exilé de Calabar et énumère les conséquences possibles d’un retour de l’intéressé au Liberia, alors même qu’il ne fait l’objet d’aucune poursuite dans le pays.
Dans la foulée du cessez-le-feu signé en juin 2003 entre le gouvernement de Taylor et la rébellion, le médiateur de la crise, le général Abdulsalami Abubakar, ancien président nigérian, appuyé par Mohamed Ibn Chambas, secrétaire exécutif de la Communauté économique des État de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), avait mis au point un document garantissant à Taylor sa sécurité, à condition qu’il abandonne le pouvoir et n’intervienne plus dans la politique de son pays. Tous les signataires de l’époque (les représentants des Nations unies, de l’Union africaine (UA) et du Groupe de contact international pour le Liberia (ICGL) auquel participaient les États-Unis) vont être à nouveau consultés par Olusegun Obasanjo.
Charles Taylor doit répondre devant le TSSL aux quatorze chefs d’inculpation qui pèsent sur lui, dont ceux – imprescriptibles – de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Selon l’acte d’accusation, il est responsable d’avoir encouragé et soutenu financièrement les activités du Front révolutionnaire uni (RUF), mouvement rebelle sierra-léonais alors dirigé par Foday Sankoh, sanguinaire notoire. S’il est extradé vers Monrovia, puis transféré à Freetown devant le TSSL, qui garantit qu’il ne pourra, entre-temps, nuire à la jeune paix libérienne ? D’autant que le TSSL, bientôt à cours de budget, est censé mettre fin à ses procédures d’ici à 2007…
Le jour même de l’intervention de Johnson-Sirleaf devant le Conseil de sécurité, des partisans de Taylor (dont son ancien aide de camp) qui manifestaient contre les pressions internationales étaient arrêtés à Monrovia. L’intéressé lui-même se fait menaçant. Il a confié à l’un de ses conseillers que son extradition replongerait le pays dans le chaos. Simple baroud d’honneur sans lendemain d’un homme aux abois ou réaction d’un « condamné » qui entend vendre chèrement sa peau ? Il reste que des milliers de Libériens, dont beaucoup de jeunes ex-combattants, lui sont toujours fidèles. Il compte également de nombreux partisans dans l’administration, au Parlement et dans les rouages économiques du pays.
Ellen Johnson-Sirleaf est consciente de la capacité de nuisance de son prédécesseur et des risques de déstabilisation que ce dernier est susceptible de faire peser sur le pays, où la paix, malgré deux ans de transition et le retour de la démocratie, reste fragile. C’est pourquoi elle ne s’est pas précipitée pour déposer une quelconque demande d’extradition. Elle est convaincue qu’aucun des crimes commis par Taylor ne doit et ne peut rester impuni. Il faudra donc que, tôt ou tard, justice soit faite. Mais la route de Calabar à Freetown est encore longue.

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