[Tribune] Côte d’Ivoire : les violences à Duékoué et la spirale de l’impunité

La violence s’est une fois encore invitée à Duékoué, dans le centre-ouest de la Côte d’Ivoire. Au cœur de cette nouvelle déflagration : une curieuse vendetta, conduite lundi 26 novembre par un gang de syndicats de transporteurs contre des élèves, dans le lycée de la ville.

A Duékoué, en juillet 2015 (illustration). © Philippe Guionie/Myop pour J.A.

A Duékoué, en juillet 2015 (illustration). © Philippe Guionie/Myop pour J.A.

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  • André Silver Konan

    Journaliste et éditorialiste ivoirien, collaborateur de Jeune Afrique depuis Abidjan.

Publié le 28 novembre 2018 Lecture : 4 minutes.

La ville martyre de Duékoué n’en finit pas de panser ses plaies depuis près de deux décennies, secouée qu’elle est tantôt par des violences communautaires ou foncières, tantôt par des crimes politiques ou crapuleux.

Cette fois, le mode opératoire du raid lancé sur le lycée moderne de l’agglomération exclut toute spontanéité. Un gang, formé par des membres de syndicats de transporteurs, s’y est rendu pour se venger de la destruction, quelques jours plus tôt, de deux véhicules appartenant à des transporteurs, en marge d’un mouvement de grève des élèves de ce lycée. Les agresseurs sont arrivés aux portes de l’établissement avec en main divers objets contondants…

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Les syndicalistes ont, de toute évidence, prémédité leur expédition punitive pendant plusieurs jours. Et lorsqu’ils sont sont passés à l’action, ils n’ont rencontré aucune opposition de la part des forces de l’ordre, pourtant présentes en nombre important dans la ville. En pleine journée, pendant plusieurs dizaines de minutes, ces hommes se sont attaqués – à visage découvert – à des élèves et à plusieurs bâtiments du lycée, pillant, saccageant et brûlant du matériel informatique.

Confiance perdue

Et si ce raid a été mené avec « succès », c’est bien parce que les auteurs étaient poussés par une violente force qui alimente presque tous les conflits en Côte d’Ivoire : l’impunité, ou, à tout le moins, le sentiment d’impunité. Au cours de ces trois dernières années, les violences impliquant des groupes d’individus ont éclaté aux quatre coins de la Côte d’Ivoire.

En mars 2018, après des violences meurtrières à Bloléquin (centre-ouest), le président Alassane Ouattara avait lui-même noté que « les comportements inciviques de ces derniers mois nous interpellent tous. Ils sont contraires à l’idéal de société que nous voulons bâtir et aux antipodes des valeurs de la République, de notre République. » Il avait alors annoncé avoir « instruit les forces de sécurité pour qu’elles ne tolèrent plus les attitudes contraires aux lois et règlements de notre République, ainsi qu’à la quiétude des populations ».

Les autorités préfèrent des actions de communication sur les dons plutôt que sur le déroulement des enquêtes

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En dépit de cette mise en garde, les violences ne se sont pas arrêtées. Le 21 septembre 2018, un conflit communautaire a éclaté à Zouan-Hounien, dans l’extrême ouest montagneux du pays. Le conducteur d’un camion, auteur présumé de la bastonnade mortelle d’un élève – incident qui a été à l’origine des violences -, a été mis aux arrêts. Mais les auteurs des violences qui ont suivi, qui ont notamment provoqué la mort d’un enfant, n’ont pour leur part toujours pas été interpellés.

Après ces violences, les autorités ont toujours préféré communiquer sur les dons faits par le gouvernement aux victimes, plutôt que sur le déroulement des enquêtes. « Cette faille de la justice a fini par développer chez de nombreux Ivoiriens un sentiment d’impunité. Ils disent ne pas avoir confiance dans l’équité de la justice, et préfèrent se faire justice eux-mêmes », commente l’analyste politique Innocent Gnelbin. Un sentiment d’impunité qui a, sans aucun doute, animé les auteurs du raid violent sur le lycée de Duékoué.

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Une occasion de « faire avancer la lutte contre l’impunité » ?

Dans cette ville qui a été le théâtre de graves affrontements entre milices favorables à l’ancien président Laurent Gbagbo et forces loyales au président Alassane Ouattara, en février et mars 2011, lors de la crise postélectorale, les autorités ont manqué l’occasion de faire montre de fermeté, ce qui aurait pu permettre de mettre un terme à la spirale infernale de l’impunité. L’attaque meurtrière du camp de réfugiés pro-Gbagbo de Nahibly, non loin de Duékoué, attribuée par la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) à, notamment, des éléments des ex-Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, fidèles à Ouattara) n’a jamais connu de suites.

« Cette affaire, hautement symbolique, est une occasion de faire avancer la lutte contre l’impunité en Côte d’Ivoire et de faire comprendre aux gens en armes, particulièrement les agents de l’État, que les violations graves des droits de l’homme ne resteront pas impunies », avait alors plaidé René Hokou Légré, président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (LIDHO). Celui-ci avait rappelé que « pour que ce message soit totalement compris, il faut cependant que les procédures judiciaires aillent jusqu’à leur terme et que les auteurs de ces crimes soient jugés ».

Le défenseur des droits de l’homme n’avait pas été suivi à Duékoué, comme dans de nombreuses villes de Côte d’Ivoire où des violences ont éclaté au cours de ces six dernières années. Ainsi, l’histoire de l’impunité a continué à s’écrire…

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