Assassinat des experts de l’ONU : les « Congo files » dévoilent les interrogations sur le rôle de Kinshasa

L’enquête de RFI, Le Monde, Foreign Policy, Süddeutsche Zeitung et la télévision suédoise SVT, après une fuite de documents internes de l’ONU, met en évidence les embûches placées sur le chemin des enquêteurs onusiens suite à la disparition de deux de leurs experts, l’Américain Michael Sharp et la Suédo-Chilienne Zaida Catalan.

Montage photo de deux experts onusiens, Zaida Catalan et Michael Sharp, tués en mars 2017 au Kasaï, dans le centre de la RDC. © Bertil Ericson et Timo Mueller/AFP

Montage photo de deux experts onusiens, Zaida Catalan et Michael Sharp, tués en mars 2017 au Kasaï, dans le centre de la RDC. © Bertil Ericson et Timo Mueller/AFP

Publié le 28 novembre 2018 Lecture : 4 minutes.

Michael Sharp et Zaida Catalan. Un an et demi après leur mort, les noms des deux experts de l’ONU, assassinés alors qu’ils enquêtaient sur les exactions des autorités congolaises et des miliciens Kamuina Nsapu, dans la province du Kasaï-central, continuent d’évoquer une affaire non résolue et le jeu trouble des autorités congolaises.

L’enquête « Congo files » menée par RFI, Le Monde, Foreign Policy, Süddeutsche Zeitung et la télévision suédoise SVT, sur la base d’une fuite de documents internes de l’ONU, et publiée mardi 27 novembre, montrent que les divers enquêteurs onusiens envoyés sur place s’interrogent sur le rôle de Kinshasa dans cette affaire. Leurs doutes naissent dès les premiers jours suivant la disparition des deux experts, le 12 mars 2017, alors que les casques bleus positionnés dans la région sont partis à leur recherche.

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« Dans les jours qui ont suivi, il y a eu un face-à-face sur la route de l’aéroport entre les FARDC et les casques bleus uruguayens qui voulaient enquêter dans la zone de disparition », indique un enquêteur onusien cité dans l’article de RFI et du Monde.  « Les conditions d’enquête sont difficiles : pas d’Internet, peu d’eau, un seul 4×4 et des militaires congolais qui restreignent leurs déplacements et nuisent à leur travail », peut-on lire dans les notes confidentielles.

Le mystérieux Jean-Bosco Mukanda

Les enquêteurs identifient rapidement un témoin au rôle trouble, qui semble avoir des liens avec les miliciens Kamuina Nsapu et les autorités : Jean-Bosco Mukanda. « Âgé de 36 ans, il n’est officiellement qu’un enseignant de la petite bourgade délaissée de Bunkonde et un bon père de six enfants. Mais il semble avoir tout vu, tout su. » Ils écrivent même rapidement un document à son sujet, intitulé « témoin ou participant ? ». C’est ce même Mukanda qui permettra aux enquêteurs de retrouver les corps des deux experts, le 27 mars 2017.

Mais l’enquête ne se termine pas là. Des agents de l’ONU vont essayer de découvrir l’identité des assassins et leurs motivations. « Deux agents du JMAC, le service de renseignement civil de la Monusco, sont dépêchés à Kananga à compter du 16 avril pour soutenir l’équipe de recherche de l’ONU. Dans leur rapport interne, ils disent d’emblée avoir rencontré le responsable local de l’Agence nationale de renseignement (ANR), soulignant sa « position extrêmement défensive et les griefs de ce dernier à l’encontre des experts » « .

À New York, le Département des affaires politiques des Nations unies redoute déjà les conséquences politiques

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Par ailleurs, le général djiboutien Abdounasir Awale, chef de la police de l’ONU (UNPOL), « constitue une « task force » composée de six enquêteurs. Ce militaire veut faire avancer le dossier alors qu’à New York, le Département des affaires politiques des Nations unies « redoute déjà les conséquences politiques ».

« Sans le savoir, ce haut gradé djiboutien lance, depuis Kinshasa, une enquête qui le mènera à questionner la version des autorités congolaises, lit-on encore dans l’article de RFI et du Monde. Ses policiers déployés sur le terrain retrouvent l’intriguant Jean-Bosco Mukanda. L’informateur a été arrêté par l’armée congolaise le 8 avril 2017 dans la matinée, à Bunkonde, accusé d’avoir menacé un prétendu milicien, selon ses dires. Quelques heures après, il est libéré, sans plus d’explications. Et il reprend contact avec l’ONU. »

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Le gouvernement impliqué ?

Les hommes d’Awale se heurtent à leur tour à des difficultés dans leurs relations avec les autorités. « L’information est de moins en moins accessible. Il y a de plus en plus de secret. L’équipe a aussi constaté un engagement faible de l’auditorat militaire de Kananga dans cette enquête », écrivent-ils.

Entre temps, une vidéo de l’exécution de Michael Sharp et Zaida Catalan a été obtenue par les enquêteurs, avant que les autorités congolaises se s’empressent de la diffuser à la presse à Kinshasa. Dans leurs notes confidentielles, les enquêteurs de l’ONU s’interrogent. « Jean-Bosco [Mukanda] n’est-il pas la même personne qui filme et parle sur la vidéo ? » Ils vont même jusqu’à poser des questions plus lourdes encore : « La vidéo a-t-elle été produite/arrangée pour faire porter la responsabilité du meurtre aux Kamuina Nsapu ? Le gouvernement est-il impliqué ? Est-ce que cette vidéo a été faite pour torpiller notre enquête et à des fins politiques ? »

La Task Force a le sentiment que le procureur militaire cache d’autres aspects qui pourraient impliquer l’influence du gouvernement

Dans une note confidentielle du 12 mai 2017, ils dressent un constat accablant sur l’enquête congolaise de l’auditorat militaire : « L’équipe de la Task Force a le sentiment que le procureur militaire se satisfait de la vidéo et des aveux sans autres détails de l’unique suspect, Ilunga Evariste. Et ce, afin de cacher d’autres aspects du meurtre qui pourraient impliquer l’influence cachée du gouvernement dans ce dossier. »

Contacté par RFI, le porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mendé, a déclaré : « si les Nations unies ont des informations qui indiquent qu’un agent de l’État s’est rendu coupable d’actes délictueux ou criminels, nous serions reconnaissants aux Nations unies de remettre ces informations […] pour que des poursuites soient engagées ». Il dit par ailleurs « n’avoir aucun élément qui indique des entraves » aux diverses enquêtes de l’ONU.

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