Alain Deloche, à cur ouvert

Du Burkina au Vietnam, de Médecins sans frontières à la Chaîne de l’espoir, de la chirurgie cardiaque à la médecine humanitaire, un parcours exceptionnel.

Publié le 27 mars 2006 Lecture : 4 minutes.

Lorsque Alain Deloche raconte sa première participation à une opération chirurgicale, en mai 1960, à l’âge de 20 ans, en tant qu’externe auprès d’un interne nommé Mallot, le lecteur a droit à tous les détails de l’hystérectomie, jusqu’aux prénoms des infirmières et aux propos échangés. Quarante ans après, c’est évidemment une reconstitution. Mais c’est aussi une manière de faire sentir ce qu’étaient « les hôpitaux des années 1960 », quand il n’y avait ni électronique ni scanner, au temps où « il fallait ouvrir pour voir ». Ce jour-là, la patiente meurt. « Ce souvenir, écrit-il, réveille en moi une angoisse profonde de la mort, une angoisse qui ne m’a plus jamais quitté. »
C’est avec cette volonté de faire parler les détails concrets (« Dieu est dans les détails », rappelle-t-il au passage) que Deloche retrace son double et exceptionnel parcours sur le chemin d’une « chirurgie cardiaque encore balbutiante » et celui d’une « médecine humanitaire à ses débuts » (voir encadré).
Au départ, il est issu d’une grande famille protestante, liée aux Monod, ce qui « revenait un peu à sortir de la cuisse de Jupiter ». Elle comptait dans ses rangs rien de moins que le Prix Nobel de la paix Albert Schweitzer, fondateur de l’hôpital de Lambaréné, au Gabon. Lui, enfant, admirait tout autant les champions cyclistes Anquetil et Coppi. « J’étais, dit-il, « le vilain petit canard de ma famille comme il faut, une famille où j’étais le seul à ne pas l’être. »
Mais il avait une grand-mère qui sut reconnaître en lui l’éléphant blanc, celui qui « repousse les limites de son destin », et persuader le père du garçon de l’orienter vers la médecine. Interne de recherche à Broussais, Deloche travaillera avec les plus grands, tels Charles Dubost et, surtout, Alain Carpentier.
Au cours de sa première année de faculté, cependant, il rencontre un « gandin distingué », « un véritable éléphant blanc qui affichait fièrement sa différence » : Bernard Kouchner.
En 1967, le Biafra, province de l’est du Nigeria, fait sécession. Terrible guerre civile, un million de morts. Kouchner y travaille pour la Croix-Rouge. Il propose à Deloche de venir le rejoindre. Ce dernier hésite, mais la Croix-Rouge interrompt ses missions. Deloche ne part pas. Toujours Kouchner : en 1971, il fonde Médecins sans frontières et y invite Deloche. Lequel ne voit à ce moment-là dans ces idéalistes qu’« une belle bande de rêveurs éveillés ». Pour lui, « sa carrière, c’est-à-dire son ambition personnelle, s’était imposée comme une maîtresse jalouse ».
C’est un peu plus tard, cette même année 1971, qu’il reçoit de Frères des hommes un coup de téléphone qui bouleverse sa vie : l’association recherche un chirurgien pour l’hôpital de Fata N’Gourma, en Haute-Volta (aujourd’hui Burkina Faso). Il y va. L’Afrique le gagne, « s’instille par les pores de sa peau ». Au moment du retour, il perçoit en lui un profond changement. « J’éprouve, dit-il, le sentiment vertigineux de marcher sur les pas de mon grand-oncle Albert Schweitzer. »
Autre grande étape, à la fin des années 1970 : le drame des boat people, au Vietnam. Kouchner fait alors de Deloche un participant actif de l’équipe du navire-hôpital L’Île de Lumière. La « loi du tapage » appliquée par Kouchner (et approuvée par Deloche, à qui « il paraissait évident qu’en ce siècle cathodique il fallait mêler médecine humanitaire et médias ») provoque à Médecins sans frontières une cassure, sur laquelle Deloche n’est pas tendre, et la création, dans la foulée, de Médecins du monde. Pour Deloche, c’est l’occasion de prolonger l’expérience à la frontière de la Thaïlande et du Cambodge et de rencontrer un jésuite qui officie au Loyola College de Madras, en Inde, le père Ceyrac, « le troisième éléphant blanc qui devait marquer durablement sa vie », avec Alain Carpentier et Bernard Kouchner. « Le père Ceyrac, écrit-il, m’ouvre l’Asie, me démontre qu’il faut faire, certes, mais que faire rayonner est plus important encore Il m’a appris qu’une goutte d’eau dans l’océan n’est pas vaine : si petite soit-elle, elle a son rôle à jouer. »
De goutte d’eau en goutte d’eau, la Chaîne de l’espoir sauve des vies. Dix-sept ans après la première guérison, elle « accueille en France une moyenne de deux enfants par semaine, venus d’Europe de l’Est, d’Afrique, d’Asie. L’idée a essaimé en Espagne, au Portugal, en Grande-Bretagne, en Belgique, en Israël, aux États-Unis. Quand un enfant atterrit à Roissy, d’autres arrivent au même moment à Lisbonne, Londres ou Bruxelles »
« Je voudrais, écrit Deloche, que l’Afrique soit mon prochain chantier. » Il y travaille, notamment avec le professeur Edmond Bertrand, qui « mérite le titre de Grand Africain ». Mais il veut des projets médicaux « bien menés », pas des « monstres inadaptés et quasi impossibles à gérer » comme le grand hôpital de Brazzaville et ses huit étages, ou l’hôpital de la mère et l’enfant « quasi déserté » de Ouagadougou. Il rêve d’un « antireportage » sur l’Afrique : il y ferait « découvrir une Afrique où l’on ne parlerait ni du sida, ni des luttes internes, ni de l’insécurité, ni de la corruption. On y verrait seulement des médecins de haut niveau, des étudiants enthousiastes et, même si elles sont trop rares, des réalisations qui durent ».

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