Vive la « démocratie de papa » !

Hosni Moubarak s’efforce de placer son fils sur orbite présidentielle. Le report des élections municipales est un élément de cette stratégie.

Publié le 28 février 2006 Lecture : 3 minutes.

Ceux qui, bien naïfs, croyaient possible que Hosni Moubarak accepte d’engager un quelconque processus démocratique en sont pour leurs frais. L’approbation, le 14 février, par un Parlement égyptien dominé par le Parti national démocrate (PND), le parti au pouvoir, d’un décret présidentiel reportant à 2008 les élections municipales les a ramenés à la réalité. Le scrutin aurait dû avoir lieu deux mois avant l’expiration, le 15 avril, du mandat des actuels conseils municipaux. L’opposition s’indigne et « l’ami américain », par la voix de Condoleezza Rice, la secrétaire d’État, de passage au Caire le 21 février, ne cache pas sa « déception ».
La décision était apparemment à l’étude depuis la percée des Frères musulmans lors des élections législatives de l’automne dernier. « Pour l’annoncer, Moubarak n’attendait qu’une occasion favorable, afin d’amortir le choc en Égypte et à l’étranger », commente un analyste égyptien.
Cette occasion, le raïs a cru l’avoir trouvée avec l’éclatante victoire du Hamas, la branche palestinienne des « Frères », lors des législatives du mois de janvier, qui a alerté les Occidentaux sur les « dangers » d’une concurrence électorale vraiment ouverte dans le monde arabo-musulman. Mais aussi avec le triomphe de l’équipe nationale lors de la Coupe d’Afrique des nations, le 10 février, qui a suscité un indescriptible accès de ferveur nationaliste chez les 73 millions d’Égyptiens, leur faisant oublier, un moment, la crise multiforme qu’ils subissent depuis des décennies.
La « ruse honteuse » de Moubarak, comme dit Georges Ishaq, l’un des leaders de Kefeya (« Ça suffit ! »), un mouvement d’opposition laïc, n’a pourtant échappé à personne. Les députés d’opposition, toutes tendances confondues, ont voté contre le décret présidentiel, qui ne vise selon eux qu’à empêcher une candidature indépendante lors de la prochaine présidentielle, en 2011. Comment ? Pour le comprendre, il faut remonter à mai 2005, quand Moubarak a fait adopter par référendum un amendement constitutionnel définissant les nouvelles conditions de candidature à la magistrature suprême. Le texte stipule qu’un parti légal doit disposer d’au moins 5 % des sièges au Parlement pour présenter un candidat. Et que tout candidat indépendant doit recueillir le parrainage de 250 élus : 110 parlementaires et 140 conseillers municipaux. Or aucune formation officiellement reconnue ne remplit cette condition. Reste les Frères musulmans. Non reconnue mais tolérée, l’association compte quatre-vingt-huit députés, soit 20 % des sièges à l’Assemblée du peuple (Chambre basse). Avec le soutien de quelques députés membres d’autres partis, et, surtout, en remportant un certain nombre de conseils municipaux (aujourd’hui tous contrôlés par le PND), les Frères avaient une chance sérieuse de satisfaire aux conditions légales d’une candidature indépendante. Il fallait, donc, parer à cette éventualité.
Au pouvoir depuis 1981, Moubarak, dont la santé est désormais fragile, entend en effet faire de son fils Gamal l’unique candidat à la prochaine présidentielle. Laquelle, selon l’opposition, pourrait être avancée à l’année prochaine. Le report des municipales équivaut à « l’officialisation d’une transmission héréditaire du pouvoir », commente un porte-parole de Kefaya, relayé par Mohamed Habib, le numéro deux des Frères musulmans. Une succession « à la syrienne » apparaît d’autant plus vraisemblable que Gamal Moubarak gravit allègrement les échelons du pouvoir au sein du PND : longtemps président de la « commission des politiques », il a été nommé, le 31 janvier, secrétaire général adjoint.
Selon certains, c’est lui qui aurait choisi la plupart des membres de l’actuel gouvernement. Lui également qui aurait « géré » l’affaire de l’opposant libéral Aymen Nour, principal challengeur de son père lors de la dernière présidentielle. À l’issue d’une parodie de procès, Nour, qui préside le parti al-Ghad (« Demain »), a été condamné le 24 décembre à cinq ans de prison ferme.
C’est enfin ce même Gamal qui s’efforce aujourd’hui de semer la zizanie dans l’opposition en invitant les laïcs à se dresser à ses côtés contre les islamistes, désormais le seul obstacle sérieux à ses ambitions présidentielles. Vive la « démocratie de papa » !

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