[Tribune] En RDC, élections ne doit pas rimer avec levée des sanctions

L’Union européenne ne doit pas lever les sanctions qui pèsent sur Emmanuel Ramazani Shadary, candidat à la présidentielle du 23 décembre et dauphin de Joesph Kabila. C’est l’appel que lance un collectif d’organisations congolaises affiliées à la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH).

Emmanuel Ramazani Shadary, le 19 novembre 2018 à Kinshasa, lors de la présentation de son programme pour la présidentielle. © REUTERS/Kenny Katombe

Emmanuel Ramazani Shadary, le 19 novembre 2018 à Kinshasa, lors de la présentation de son programme pour la présidentielle. © REUTERS/Kenny Katombe

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  • Paul Nsapu

    Paul Nsapu est président de la Ligue des électeurs en RDC, et secrétaire général adjoint de la FIDH.

Publié le 29 novembre 2018 Lecture : 4 minutes.

Félix Tshisekedi, quelques instants après la proclamation de sa victoire par la Ceni, dans la nuit du 9 au 10 janvier 2019. © REUTERS/Olivia Acland
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Présidentielle en RDC : l’alternance, et après ?

Après deux années d’une crise politique ouverte en décembre 2016, la RDC a renoué avec les urnes. Félix Tshisekedi a été proclamé vainqueur par la Ceni, devant Martin Fayulu et Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin de Joseph Kabila. Une victoire accueillie entre joie et contestations.

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À quelques semaines des élections présidentielle, législatives et provinciales du 23 décembre en RDC, l’Union européenne discute de la reconduction des sanctions – gel des avoirs et des visas – qui visent une quinzaine de membres du régime, dont le candidat désigné par Joseph Kabila pour lui succéder : Emmanuel Ramazani Shadary.

Depuis le terme officiel du mandat présidentiel de Kabila, il y a deux ans, ces hauts responsables ont été les principaux piliers de l’appareil sécuritaire congolais qui a organisé la répression de l’opposition tout en attisant les tensions dans plusieurs régions du pays. C’est pourquoi nous appelons l’Union européenne à ne pas lever ces sanctions.

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Pour beaucoup, le candidat désigné par le Front commun pour le Congo (FCC) pour mener la campagne de la présidentielle n’est qu’un pion entre les mains de l’actuel président Joseph Kabila.

Coincé par la Constitution, qui lui interdisait de briguer un troisième mandat, et pressé par la communauté internationale de mettre en place des élections au plus tôt – l’échéance initialement prévue datant de 2016 -, celui-ci s’est en effet résolu à désigner un « dauphin », pour la présidentielle du 23 décembre, et son choix s’est porté sur Emmanuel Ramazani Shadary.

Shadary est, de longue date, un cadre du PPRD, le parti au pouvoir. Peu connu du grand public, il pourrait permettre à Joseph Kabila de conserver dans l’ombre les rênes du pouvoir, en bénéficiant en outre de l’appui du parti présidentiel et des divisions de l’opposition. Pour le plus grand bénéfice de son clan.

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Le passif en question

Un policier congolais dans les rues de Kinshasa, lors de la répression du 31 décembre 2017. © John Bompengo/AP/SIPA

Un policier congolais dans les rues de Kinshasa, lors de la répression du 31 décembre 2017. © John Bompengo/AP/SIPA

Shadary fut également à la manœuvre lors de la répression meurtrière des marches pacifistes de janvier 2018 à Kinshasa

Pourtant, la personnalité et le passif de Shadary posent question. Le fait que l’ancien ministre de l’Intérieur ait été en fonction lors des massacres au Kasaï au début de l’année 2017 lui a valu des sanctions de l’Union européenne.

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Selon l’Église catholique congolaise, au moins 3 000 personnes sont mortes depuis 2016 au Kasaï, la plupart tuées par des forces de sécurité. La place qu’occupait Shadary dans la chaîne de commandement et ses menaces contre l’opposition ou les populations, en font l’un des potentiels responsables de ces crimes.

>>> À LIRE – RDC : récit de la répression policière du 31 décembre dans l’une des paroisses de Kinshasa

Il était également en poste le 12 mars 2017, lorsque deux experts de l’ONU, Zaida Catalan et Michael Sharp, ont été assassinés dans des circonstances floues et très suspectes. Loin d’avoir fait profil bas depuis, il fut également à la manœuvre lors de la répression meurtrière des marches pacifistes de janvier 2018 à Kinshasa. Les forces de sécurité y firent usage de tirs à balles réelles, tuant au moins huit personnes et en blessant des dizaines d’autres.

Fidèle parmi les fidèles du président Kabila, ce « dauphin » nageant dans les eaux troubles du pouvoir depuis si longtemps, ne doit pas pouvoir espérer gagner une quelconque tranquillité grâce à l’élection qui se profile. Ainsi, il nous est inconcevable qu’il puisse accéder au plus haut poste de l’État sans avoir répondu de ses actes, ou qu’il puisse être blanchi par l’Union européenne à travers une levée de ses sanctions. Leur reconduction doit être décidée au plus tard le 10 décembre prochain, soit moins de deux semaines avant le scrutin.

Quatorze autres personnalités dans le collimateur européen

Emmanuel Ramazani Shadary, en 2018, lorsqu'il était ministre de l'Intérieur et de la Sécurité. © Ministère congolais de l’Intérieur et de la Sécurité.

Emmanuel Ramazani Shadary, en 2018, lorsqu'il était ministre de l'Intérieur et de la Sécurité. © Ministère congolais de l’Intérieur et de la Sécurité.

Et il n’est pas le seul dans ce cas. Parmi la quinzaine de fidèles du régime visés figure l’intransigeant ministre de la Communication et des Médias, Lambert Mende, connu pour ses messages de haine et les restrictions qu’il impose aux médias et journalistes indépendants.

Ou encore John Numbi Banze, Inspecteur général des Forces armées congolaises (FARDC). Très actif au Katanga durant la répression des manifestations anti-Kabila, nous le soupçonnons d’être impliqué dans la mort de notre ami et confrère, le défenseur des droits humains Floribert Chebeya.

On peut également citer Alex Kande Mupompa, gouverneur du Kasaï oriental, épinglé pour sa responsabilité dans les massacres commis dans sa province (exécutions sommaires, répression de manifestations).

Ou encore Kalev Mutondo, directeur de l’Agence nationale de renseignements (ANR), véritable police politique à la solde du régime de Kabila, menant à la fois des activités de surveillance et de répression de l’opposition et de défenseur.es des droits humains.

>>> À LIRE – Présidentielle en RDC : l’UA demande à l’UE de lever les sanctions contre Ramazani Shadary

Lorsque ces sanctions furent adoptées, la RDC se caractérisait par sa violence extrême et la tentative d’étouffement de sa société civile. Presque deux ans après, ce contexte n’a malheureusement guère évolué. Les médias sont toujours muselés, des défenseurs des droits humains sont emprisonnés et les manifestations interdites. L’impunité règne en maître. Le scrutin s’annonce des plus tendus.

Un message de l’UE à Kabila

Beaucoup des responsables politiques et militaires touchés par les sanctions ont été directement promus ces derniers mois par Joseph Kabila. Leur sort est désormais inextricablement lié à celui de leur mentor, et au résultat du scrutin du 23 décembre.

En décidant de maintenir les sanctions contre ces individus haut-placés dans l’appareil répressif et sécuritaire congolais, l’Union européenne et ses États membres enverraient deux messages clairs aux caciques du régime.

Le premier est qu’elle sera extrêmement vigilante sur la manière dont seront organisées les élections de décembre, et donc la manière dont seront gérés les rassemblements et manifestations.

Le second est qu’elle continuera de sanctionner les responsables de crimes gravitant dans l’entourage du président Kabila, y compris lorsque celui-ci aura (officiellement) quitté ses fonctions.

Une tribune cosignée par

Paul Nsapu, président de la Ligue des Électeurs et Secrétaire Général adjoint de la FIDH

Me Jean-Claude Katende, président de l’ASADHO / FIDH

Dismas Kitenge, président du groupe Lotus / FIDH

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