[Tribune] Préparer sa succession, un défi pour les entrepreneurs

La question de la succession à la tête de l’entreprise a longtemps été – et elle le reste encore aujourd’hui – un tabou en Afrique. Il n’est pas rare de voir des sociétés se déchirer et mettre la clé sous la porte, faute d’avoir anticipé la situation.

Le quartier du Plateau, à Dakar © Youri Lenquette/J.A.

Le quartier du Plateau, à Dakar © Youri Lenquette/J.A.

Ehoumann Kassi, Mossadeck Bally, Ade Ayeyemi, Evelyne Tall et X Ehoumann Kassi (Ecobank Group), Mossadeck Bally (PDG d’Azalaï Hôtels), Ade Ayeyemi (DG d’Ecobank), Evelyne Tall (DG adjointe d’Ecobank) et X Cocktail de bienvenue du Africa Ceo Forum, Hôtel Sofitel Ivoire, Abidjan, Côte d’Ivoire, mars 2016 © Eric Larrayadieu/AFRICA CEO FORUM/J.A.

Publié le 30 novembre 2018 Lecture : 4 minutes.

Si le processus administratif et juridique de création d’entreprise a été considérablement simplifié dans l’écrasante majorité des États africains, les entrepreneurs du continent restent souvent confrontés, après avoir passé les difficiles premières années, à la question de la pérennisation et de la transmission de leur entreprise.

En effet, tandis que les outils juridiques permettent de créer une entreprise avec une durée de vie de quatre-vingt-dix-neuf ans renouvelables, très peu atteignent leur dixième anniversaire. L’une des principales causes de ce phénomène vient de la confusion entre l’entreprise et les personnes qui la composent, notamment son ou ses fondateurs.

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Or, le cauchemar de beaucoup d’entrepreneurs est de voir son projet, son œuvre, sa vision à laquelle il a souvent consacré toute son énergie et ses plus belles années, disparaître un jour. Il convient donc de traiter la question de la succession sans complaisance. L’entrepreneur doit constamment partager sa vision et faire en sorte que ses collaborateurs et partenaires se l’approprient.

Des procès interminables sur des questions successorales

Qui va prendre la place du patron ? Y a-t-il pensé ? Qui pourrait lui en parler ? Autant de questions qui restent un tabou en Afrique. L’idée d’un successeur éveille un sentiment de drame et certains n’hésitent pas à mettre en garde quiconque oserait effleurer la question. Il convient alors de trouver les moyens pour que l’idée vienne de l’entrepreneur lui-même, sans qu’il ne se sente bousculé.

Il n’est pas interdit, ni même immoral, de se faire remplacer par un membre de sa famille dans une entreprise privée

L’une des qualités d’un entrepreneur est sa capacité à gérer les difficultés rencontrées tout au long de la vie de l’entreprise. Il doit donc savoir anticiper les questions nouvelles qui pourraient être un obstacle aux activés de l’entreprise ou à sa pérennité. Dans certaines entreprises africaines, après le décès du « père fondateur » et patron, il n’est pas rare de voir les ayants droits devant les tribunaux dans des procès interminables sur des questions successorales. Chacun estime mériter la plus grande part et accorde peu d’importance à la continuité de l’affaire, dont la dissolution ne saurait tarder. Un programme de succession déroulé par étape permet d’estomper ce phénomène.

Certains entrepreneurs arrivent à prévoir leur succession en se basant sur le lien familial, sans s’assurer de la capacité du successeur à gérer les questions complexes qu’impose l’entrepreneuriat. Il existe aussi le cas où les ayants droits manœuvrent pour révoquer le successeur institutionnel et « placer » leur représentant, qui manque le plus souvent de savoir-faire et de vision, conduisant ainsi à la dissolution de l’entreprise.

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Chaque entreprise est un cas d’école

Il n’est pas interdit, ni même immoral, de se faire remplacer par un membre de sa famille dans une entreprise privée. Cependant, cela doit se faire sous réserve que le choix de cette succession soit strictement basé sur des critères objectifs : essentiellement la compétence.
Que faire pour éviter la disparition d’une entreprise économiquement viable mais qui risque de subir les affres d’une succession chaotique ? Il n’y a pas de formule magique. Chaque entrepreneur est différent, chaque entreprise est un cas d’école. Mais il est possible d’émettre certaines hypothèses qui semblent avoir relativement bien fonctionné sous d’autres cieux

Tout d’abord, une succession réussie se prépare bien à l’avance et peut prendre plusieurs années, en fonction de la taille de l’entreprise. Le sujet ne doit nullement être un tabou et doit au contraire être traité comme un sujet stratégique. Cela afin de ne pas lancer, prématurément, une guerre de succession qui aura, à son tour, des effets très néfastes sur les activités de l’entreprise (attentisme, équipes inquiètes, créanciers et fournisseurs inquiets, etc.).

Il est absolument nécessaire que la possession du patrimoine soit dissociée de la gestion du patrimoine

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Si le fondateur mène le processus, il sera judicieux pour lui d’identifier la personne et de la mettre en situation assez tôt, afin de tester ses capacités managériales et, surtout, son leadership. Il est aussi recommandé, autant que faire se peut, de ne faire savoir ni à la personne en vue ni aux équipes de l’entreprise que ladite personne est pressentie pour reprendre le flambeau.

Critères strictement professionnels et de compétences

Dans les entreprises de moyenne et grande taille, la tâche qui consiste à tester et désigner un successeur pourrait être confiée à un comité stratégique restreint, composé de personnes indépendantes et expérimentées, qui ne rendra compte qu’au fondateur. Une succession familiale est parfaitement envisageable à condition que la personne choisie dans la famille ait scrupuleusement suivi un processus impartial de sélection et de mise à l’épreuve.

Il est également absolument nécessaire que la possession du patrimoine (actionnaire majoritaire) soit dissociée de la gestion du patrimoine. En d’autres termes, il est possible de posséder l’entreprise sans la gérer ; et lorsque l’on gère celle-ci, c’est que l’on a été choisi sur la base de critères strictement professionnels et de compétences.

Enfin, pour qu’une succession se déroule correctement, le fondateur doit, pendant qu’il est en activité, s’ouvrir et ouvrir son entreprise à des compétences externes (administrateurs indépendants, comités du CA indépendants, audits et conseils externes, etc.). S’ouvrir permet de corriger les défauts d’une gestion paternaliste et permet de préparer les managers à prendre davantage de responsabilités et à s’assumer. Une équipe de managers bien formée, bien encadrée par un conseil d’administration indépendant et compétent facilite grandement la transmission d’une entreprise.

Ce texte est adapté d’une analyse publiée dans le hors-série consacré à la gouvernance d’entreprise de la revue trimestrielle « Secteur privé & développement » éditée par Proparco, filiale de l’Agence française de développement. Il est repris ici avec l’autorisation expresse de SP&D.

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