[Tribune] L’UE va-t-elle enfin se débarrasser de ses tendances paternalistes ?

Selon Carlos Lopes, les relations entre l’Afrique et l’Europe doivent évoluer pour prendre en compte les évolutions qui ont eu lieu en Afrique au cours des vingt dernières années, et permettre de construire un partenariat diversifié, au-delà d’une relation de dépendance fondée presque exclusivement sur l’aide au développement.

Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz, le président français Emmanuel Macron, le président tchadien Idriss Deby, le président nigérien Mahamadou Issoufou et le président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré, à la sortie du sommet de l’Union africaine le lundi 2 juillet 2018, à Nouakchott. © Ludovic Marin/AP/SIPA

Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz, le président français Emmanuel Macron, le président tchadien Idriss Deby, le président nigérien Mahamadou Issoufou et le président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré, à la sortie du sommet de l’Union africaine le lundi 2 juillet 2018, à Nouakchott. © Ludovic Marin/AP/SIPA

Carlos Lopes Carlos Lopes (Guinée-Bissau),  enseignant à l’université d’Oxford, ex-secrétaire général adjoint de l’ONU et secrétaire général de la commission économique pour l’Afrique des Nations Unies (CEA). © Vincent Fournier/JA
  • Carlos Lopes

    Professeur à l’École de gouvernance publique Mandela de l’université du Cap, président du conseil de la Fondation africaine du climat.

Publié le 5 décembre 2018 Lecture : 4 minutes.

Si de nombreux événements ont marqué le début du XXIe siècle, la signature de la « Déclaration du millénaire » et l’accord de Cotonou comptent parmi les plus importants pour l’Afrique. Ils ont un point commun : tous deux offrent une vision paternaliste d’un continent pas encore totalement intégré à l’économie mondiale. Est-ce que cette vision a vraiment changé depuis ?

Les relations entre l’Afrique et l’Europe ne peuvent pas rester figées comme elles l’étaient à la fin du siècle dernier. La bonne nouvelle est que la conjoncture actuelle – qui incite tant aux questionnements qu’aux réformes sur chacun des deux continents – nous permet d’amorcer un dialogue qui devrait nous guider vers un nouveau paradigme.

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Ce dernier devra prendre en compte les évolutions qui ont eu lieu en Afrique au cours des vingt dernières années sur les plans économique, social, politique et institutionnel, et ainsi permettre de construire un partenariat diversifié, au-delà d’une relation de dépendance fondée presque exclusivement sur l’aide au développement.

La Zone de libre-échange continentale (Zlec)

Quand l’Union européenne (UE) a signé son accord de partenariat avec les pays des ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) en 2000, deux mois après le sommet UE-Afrique au Caire, le continent était en pleine transformation. Entre-temps, l’Union africaine (UA) a succédé à l’Organisation de l’unité africaine (OUA).

Cette institution a depuis montré qu’elle pouvait faciliter l’émergence d’initiatives – telles que son Agenda 2063 ou son rôle dans le maintien de la paix – avec lesquelles ses partenaires peuvent s’engager pour construire une coopération équitable, dans le respect des principes d’appropriation et de redevabilité.

>>> À LIRE – [Tribune] La Zlec, une chance de transformer l’Afrique

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L’instauration de la Zone de libre-échange continentale (Zlec) fait partie de ces opportunités permettant d’insuffler une bouffée d’air frais dans les relations économiques entre les deux continents.

En effet, le blocage des négociations des accords de partenariat économique (APE) – perçus par beaucoup comme une entrave à l’intégration économique du continent et sujet de pressions invraisemblables –, qui n’ont abouti jusque-là qu’à la signature d’un seul accord (avec la région Afrique australe, mais n’incluant même pas l’ensemble de la CDAA – Communauté de développement de l’Afrique australe) montre qu’un autre chemin doit être emprunté pour exploiter pleinement le potentiel du commerce entre les deux continents.

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Maintien de la paix

Certes, l’UE a exprimé son soutien à la Zlec en augmentant sa contribution à sa mise en œuvre de 7 millions d’euros, entre 2014 et 2017, à 50 millions d’euros pour la période courant de 2018 à 2020. On espère toutefois que ce soutien assoira la Zlec comme cadre africain pour la promotion simultanée des échanges commerciaux intra-africains et extérieurs, plutôt que de s’enferrer davantage en reprenant l’esprit des négociations ratées des APE.

Le rôle de l’UA dans le domaine de la paix et de la sécurité fournit également un autre espace privilégié de partenariat gagnant-gagnant intercontinental dont l’Europe doit davantage se saisir. En effet, l’UE soutient, depuis 2004, l’Architecture africaine de paix et de sécurité (Apsa) et a contribué, à ce jour, à hauteur de 2,4 milliards d’euros pour soutenir les troupes déployées par les États africains.

Dans le domaine des migrations les non-dits entre UA et UE dictent des attitudes de méfiance réciproque

Ainsi, l’UE, avec l’ONU, reste un partenaire clé de l’UA. Il n’en demeure pas moins que cette coopération pourrait s’étendre à d’autres domaines, comme la diplomatie préventive ou la lutte contre le terrorisme.

Le temps est aussi venu de se pencher sur les sujets qui fâchent. Dans le domaine des migrations, par exemple, où les non-dits dictent des attitudes de méfiance réciproque. En ce qui concerne le cadre institutionnel pour arriver à des accords post-2020, la confusion règne du côté européen.

Recherche de l’équilibre

Au sein de l’UA, la décision du sommet des 17 et 18 novembre clarifie autant qu’il se peut le cadre des négociations entre les deux continents. D’une part, l’UA respecte l’engagement existant à travers le schéma ACP, entériné à Cotonou il y a dix-huit ans. D’autre part, l’UA indique que ce dernier cadre de négociations se limite aux 48 pays africains ACP.

>>> À LIRE – Réforme de l’Union africaine : les propositions choc de Paul Kagame et Moussa Faki Mahamat

En effet, des accords d’association entre l’UE et les pays d’Afrique du Nord existent déjà, et il n’est pas nécessaire de modifier ce cadre, fondé sur la politique de voisinage de l’Europe. Il est plutôt préférable d’élargir de tels privilèges aux autres pays du continent.

Sans vouloir minimiser le poids de l’aide au développement, qui continue d’être nécessaire dans certains contextes, il est important d’enrichir, de renforcer et de construire une autre coopération à l’échelle continentale qui sera conduite, côté africain, par les instances de l’UA.

« L’Afrique n’a pas besoin de charité, elle a besoin de partenariat équilibré, d’un vrai partenariat » affirme Jean-Claude Junker

À cet égard, le récent sommet a identifié les domaines où la coopération entre l’Afrique et l’Europe est non seulement primordiale pour les deux continents, mais où elle peut également agir comme catalyseur d’un changement de paradigme : la paix et la sécurité, les migrations, le développement et les changements climatiques, et le commerce, en particulier à travers la mise en œuvre de la Zlec. Il ne faut jamais oublier que l’Afrique est le troisième partenaire commercial de l’UE, après les États-Unis et la Chine.

Dans sa déclaration, en septembre 2018, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Junker, soulignait que « L’Afrique n’a pas besoin de charité, elle a besoin de partenariat équilibré, d’un vrai partenariat. Et nous, Européens, avons besoin au même titre de ce partenariat ». Par ces décisions, l’UA a montré qu’elle partageait ce même souhait.

Le moment des changements est-il venu ? On ose l’espérer, tout en se souvenant que parfois « plus ça change, plus c’est la même chose ».

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