L’odyssée du « Palace »

Khartoum avait acheté un luxueux yacht pour le sommet de l’Union africaine. Mais le navire est arrivé en retard au rendez-vous… Récit d’une galère.

Publié le 28 février 2006 Lecture : 3 minutes.

Difficile de le rater. Long de trente-six mètres, large de dix, doté d’une suite présidentielle ultramoderne, de cuisines pouvant nourrir jusqu’à soixante-seize convives et d’un système de communication par satellite très sophistiqué, le yacht acheté par le Soudan pour le VIe Sommet de l’Union africaine (UA), qui s’est déroulé les 23 et 24 janvier, à Khartoum, mouille enfin dans le port de la capitale. Initialement annoncée pour le début du grand raout panafricain, sa mise à l’eau n’a eu lieu que près de deux semaines après la clôture de l’événement pendant lequel il est resté coincé entre deux immeubles, à une centaine de mètres des eaux du Nil…
Pourtant, le luxueux navire aurait dû être l’atout de charme du président Omar el-Béchir, qui briguait la présidence de l’UA. La carte qu’il avait prévu d’abattre pour emporter la conviction de ses pairs. Une inauguration en fanfare du bateau était même prévue. Mais hélas ! telle l’Arlésienne, le yacht présidentiel, rebaptisé le Palace ou Al-Qasr, n’a pas été au rendez-vous.
Du côté des autorités, ce n’est pas faute d’avoir tout fait pour être prêt en temps et en heure. Mais le convoi exceptionnel chargé d’acheminer le mastodonte acheté l’an dernier en Slovénie pour 4,5 millions de dollars et arrivé par la mer à Port-Soudan a eu les plus grandes difficultés à rejoindre Karthoum par la route. Sur les 1 200 km du parcours, des immeubles entiers ont dû être rabotés, des arbres coupés et des fils électriques sectionnés pour permettre au navire de passer, plongeant au passage nombre de villages proches de la capitale dans l’obscurité.
Censé montrer une autre image que celle traditionnellement véhiculée à propos du Soudan – celle d’un pays rongé par les guerres civiles -, attirer les investisseurs et rompre avec la réputation d’État paria qui poursuit le plus vaste pays d’Afrique, le Palace a malheureusement perdu de sa superbe. De nombreuses rayures entaillent ses flancs à cause des chocs qu’il a endurés pendant son périple vers la capitale. Au cours de sa lente avancée, le bateau a heurté plusieurs bâtiments et traversé 4 ponts, non sans mal, du fait de ses 172 tonnes. Selon Ibrahim Khalfalla, en charge du transport du navire et responsable de la compagnie de fret Ryckman, « le voyage a été difficile… très difficile ». Mais il est confiant : une simple couche de peinture devrait suffire à redonner son lustre à l’embarcation…
Il lui restera alors à faire oublier l’autre tempête qu’a soulevée son arrivée à Khartoum : son exorbitant prix d’achat. Les journaux, toutes tendances confondues, n’ont pas particulièrement goûté ce qu’ils ont qualifié, non sans perfidie, de « jouet à 1 million de dollars ». Et n’ont pas manqué de signaler que le yacht présidentiel n’était rien d’autre que le signe du fossé béant qui s’est creusé entre le peuple et son gouvernement. Certains ont même pris soin de ranger le bateau au sein du patrimoine personnel d’Omar el-Béchir : « Le bateau du président », l’ont-ils ainsi rebaptisé.
Le Juba Post, un quotidien indépendant, a enjoint au gouvernement de faire don du Palace à la Croix-Rouge. À charge ensuite pour celle-ci de le transformer en hôpital itinérant, explique le quotidien, qui ne manque pas de souligner que « des enfants se prostituent pour pouvoir manger au nord de Karthoum, au moment où le président se livre à un naufrage financier ». Le Karthoum Monitor, quant à lui, a déploré l’importation d’un luxueux vaisseau pour « ripailler », alors que de simples péniches avaient été utilisées pour ramener dans le Sud les populations déplacées par la longue guerre civile.
Pour l’heure, des incertitudes planent sur l’usage qui sera fait du Palace. A-t-il seulement un avenir ? Une insistante rumeur rapporte en effet qu’un second yacht présidentiel, encore plus gros et plus luxueux, serait actuellement fabriqué par les Chinois…
À court terme, le navire devrait, en tout cas, abriter les agapes du prochain sommet des chefs d’État de la Ligue arabe prévu au mois de mars à Khartoum, comme le laisse entendre Ibrahim Khalfalla : « Le pays est en train de se développer, et nous souhaitons que tous les décideurs qui viennent au Soudan soient aux petits soins. Ce bateau est destiné à nos invités de marque. »

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