Le piège de l’or noir

Prises d’otages, attaques armées, sabotages d’oléoducs Le sud du pays menace de prendre feu. Revendications politiques ou simple banditisme ?

Publié le 28 février 2006 Lecture : 4 minutes.

Janvier : quatre étrangers travaillant pour des compagnies pétrolières sont enlevés et maintenus en captivité pendant plus de deux semaines. 17 février : le Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (MEND) menace d’une guerre totale les pétroliers installés dans la zone. 18 février : neuf employés de la société anglo-néerlandaise, Royal Dutch Shell, sont à nouveau kidnappés. Dans le delta du Niger, l’une des plus grandes régions pétrolifères du monde, la situation est aujourd’hui au bord de l’explosion. Depuis plusieurs mois, les compagnies occidentales s’inquiètent davantage à chaque nouveau rapt, l’armée fédérale, qui semble dépassée par le phénomène, craint le pire face aux attaques des oléoducs, tandis que les cours du brut risquent à nouveau de flamber.
Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’emballe. Le 20 février, le MEND, qui s’est déjà attribué les enlèvements du début de l’année, annonce avoir attaqué une autre installation pétrolière de la région, ainsi qu’un navire militaire nigérian chargé d’en assurer la sécurité.
La veille, Efie Alari, l’un des leaders supposés du MEND, menaçait d’aller encore plus loin, et de tirer à la roquette sur les tankers qui viennent s’approvisionner en brut dans les terminaux pétroliers. Une extrémité jamais évoquée par les rebelles, qui se sont jusqu’ici contentés de s’en prendre à des plates-formes d’extraction et à des oléoducs. Du simple braquage à main armée au bunkering, une technique qui consiste à siphonner les pipelines pour recueillir le brut et le charger sur des navires de contrebande, la région a déjà décliné toute la gamme des crimes et délits.
Mais parce qu’elles se multiplient, les violences dirigées contre les installations des compagnies étrangères suscitent l’inquiétude. Et la thèse de simples actions isolées commises par quelques bandits de grand chemin ne tient plus. La Royal Dutch Shell a été contrainte, le 20 février, de réduire sa production de 455 000 barils par jour, contre environ 900 000 barils/jour à la fin 2005. Cette réduction drastique de la production du géant anglo-néerlandais représente une perte de 19 % des exportations totales d’hydrocarbures du Nigeria.
Les déclarations des membres du MEND, équipés de roquettes et d’armes lourdes, révèlent une crise plus profonde. Aux forfaits des groupes de gangsters appâtés par l’argent facile s’ajoutent des objectifs à caractère politique. Pour cesser ses attaques contre les étrangers, le Mouvement demande – outre une rançon – la remise en liberté de deux leaders de l’ethnie Ijaw emprisonnés à Abuja, la capitale fédérale. Il s’agit de Diepreye Alamieyeseigha, 53 ans, ex-gouverneur de l’État de Bayelsa, accusé de détournement de fonds et de blanchiment, et de Mujahid Dokubo-Asari, 41 ans. Ce dernier doit actuellement répondre devant la Haute Cour fédérale de cinq chefs d’inculpation, dont ceux de trahison, d’association de malfaiteurs et de conspiration en vue d’opérer un coup d’État.
En septembre 2005, son arrestation avait remis le feu aux poudres dans le delta du Niger. Mujahid Dokubo-Asari, dirigeant de la Force des volontaires du peuple du delta du Niger (NDPVF), brandit la menace du séparatisme – davantage pour s’ériger en contre-pouvoir face à Abuja que pour véritablement faire sécession. Il s’est également fait le porte-drapeau des revendications de l’ethnie Ijaw, la plus importante communauté qui peuple cette région de 25 millions d’habitants. Et entend bénéficier plus largement des recettes pétrolières. Depuis le milieu des années 1980, environ 90 % de la production du pays est extraite de la région. Ni la dictature militaire, ni la division administrative (qui, outre l’État du Delta, en compte six autres), ni le retour du pays à la démocratie avec l’arrivée au pouvoir d’Olusegun Obasanjo en 1999, n’ont résolu les problèmes.
L’ensemble de la région ne perçoit que 13 % des royalties engendrées par l’or noir. Une bien maigre quote-part par rapport aux 87 % qui reviennent à l’État central. Les projets de routes, d’écoles et d’hôpitaux traînent. Rien d’étonnant, dans un tel contexte, à ce que les revendications sécessionnistes se mettent à poindre, tant les populations ont le sentiment d’être abandonnées par Abuja Leur alliance objective avec des bandes armées comme le MEND procure aux organisations communautaires de l’argent et une notoriété, même discutable, eu égard aux moyens employés.
Un autre groupe, le Mouvement pour la survie du peuple ogoni (Mosop), a réussi à devenir célèbre dans le monde entier en 1995 sans recourir à de telles extrémités. Mais au prix de la vie de son fondateur, l’écrivain Ken Saro-Wiwa, condamné à mort et pendu pour avoir défendu sa cause. Ledun Mitee, l’actuel leader, a d’ailleurs été appelé par le pouvoir fédéral comme intermédiaire dans les négociations qui ont conduit à la libération de la première vague d’otages, le 30 janvier dernier. Une démarche exceptionnelle. Bien souvent, les mouvements n’ont d’autre réputation que locale, et leurs revendications parviennent avec peine jusqu’à Abuja. Ils ont pourtant une triple dimension politique : ils constituent des lobbies électoraux, ils défendent les intérêts locaux et offrent les services sociaux que l’État central est incapable de prendre en charge.
À quelques mois des élections législatives et présidentielle de 2007, quelle attitude Abuja va-t-elle adopter ? La fermeté, de peur de voir se rejouer le scénario de 2003, lorsque les compagnies pétrolières avaient dû réduire de 40 % leur production ? Le dialogue ? Une certitude : la tentation de récupération politique de ces boutefeux est réelle. C’est peut-être pour l’étouffer que la compagnie Royal Dutch Shell souhaite aider le gouvernement à ramener le calme dans le delta du Niger. Elle envisage ainsi de mettre en place un groupe de travail associant experts, actionnaires et représentants de l’industrie pétrolière. Cet aréopage serait chargé d’élaborer une « stratégie de paix et de sécurité ».

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires