Le patron, der Chef et the Boss

Selon une enquête menée auprès de deux cents grands dirigeants européens, les règles du « leadership » diffèrent d’un pays à l’autre.

Publié le 28 février 2006 Lecture : 4 minutes.

Connaissez-vous l’histoire des trois capitaines d’industrie ? Le Britannique déclare qu’il est heureux que ses décisions soient contestées. L’Allemand souligne l’importance de l’humilité. Et le Français se réjouit d’exercer son autorité sans avoir à consulter qui que ce soit. Loin d’être une plaisanterie, ce sont les constatations qui ressortent d’une enquête menée auprès de 200 PDG, directeurs généraux et cadres supérieurs au Royaume-Uni, en Allemagne et en France. On suppose souvent que les règles qui s’appliquent au « leadership » et à l’autorité sont valables quelles que soient la culture ou la nationalité. L’enquête montre que c’est une simplification abusive. Il y a de grandes différences dans les attitudes nationales à l’égard de la responsabilité, du statut et de la prise de décision, et les grands groupes internationaux feraient bien de les méditer.
Selon l’étude, coordonnée par Mori pour DDI, un consultant en ressources humaines internationales, les capitaines d’industrie français seraient des « autocrates », les allemands des « démocrates » et les britanniques des « méritocrates ». Pour justifier ces généralisations, elle indique que moins de trois patrons français sur dix acceptent volontiers que l’on conteste leurs décisions, contre la moitié des Allemands et plus de neuf sur dix des dirigeants du Royaume-Uni.
Les Français apprécient vivement l’autonomie dont ils disposent dans leurs fonctions. Près des deux tiers considèrent « la liberté de prendre des décisions avec un minimum d’interférence » comme l’un des trois principaux avantages de leur métier. Quarante-six pour cent seulement des patrons allemands et 39 % des Britanniques trouvent que c’est important. La liberté de choisir eux-mêmes leur équipe est aussi un des aspects positifs pour les Français, mais qui compte beaucoup moins aux yeux des Allemands et des Britanniques. Pour ces derniers, le plus grand intérêt de leur poste est qu’il leur permet de développer leur talent à l’intérieur de l’entreprise. Soixante-dix pour cent des patrons britanniques et près de 50 % des patrons allemands – mais seulement 14 % des français – estiment que c’est l’un des trois principaux avantages de leur position.
Bien que quelques-uns seulement des 200 capitaines d’industrie pensent qu’être « en situation de pouvoir » est l’un des trois principaux avantages de leur métier, trois fois plus de Français que les Britanniques et huit fois plus que les Allemands trouvent que c’est important. « En Allemagne, vous acceptez la responsabilité de l’autorité, mais vous n’en parlez pas, explique Steve Newhall, directeur de DDI pour l’Europe, alors qu’en France, si vous êtes aux échelons supérieurs du management, ou si vous êtes propriétaire d’une entreprise, c’est un signe de réussite qui vous auréole dans tous les aspects de votre vie. » La reconnaissance publique est plus importante en France et confirme le prestige qui s’attache à un poste de responsabilité élevé. Un peu plus de 30 % des PDG et des directeurs généraux y voient l’un des trois principaux avantages d’être un boss, contre 16 % en Allemagne et seulement 2 % au Royaume-Uni.
Est-il possible que ces différences de point de vue relèvent simplement d’une plus grande franchise des Français à reconnaître le plaisir que leur offre l’exercice du pouvoir, alors que Britanniques et Allemands jugent que ce ne serait pas politiquement correct ? Newhall admet qu’il est difficile d’avoir une certitude, mais ajoute que l’anonymat des entretiens donne à penser que ce sont de réelles différences. « Notre objectif était d’obtenir une réponse aussi sincère que possible et de la vérifier au mieux, explique-t-il. Les Français ont plus de chances de faire ce genre de réponses parce qu’elles sont acceptables selon leurs normes culturelles. Le système des grandes écoles met les élites en valeur. Au Royaume-Uni, le terme d’establishment est plus péjoratif que positif. »
Newhall ne cherche aucunement à démontrer que tel type d’exercice de l’autorité est meilleur que tel autre. Mais, pour lui, les dirigeants des groupes internationaux doivent être des caméléons capables de s’adapter à la culture de l’entreprise et du pays où ils travaillent, sans renoncer à leur personnalité propre.
Les patrons allemands se signalent par leur conscience sociale et leur sens de la responsabilité qui va avec le pouvoir. Près de la moitié d’entre eux expliquent que l’une de leurs trois principales préoccupations est qu’ils doivent prendre des décisions qui affecteront l’avenir d’autres personnes – contre 28 % au Royaume-Uni et 20 % en France. Pourtant, c’est en Allemagne que le respect des décisions patronales est le plus fort : près de 60 % des dirigeants d’entreprise déclarent que leurs décisions seront appliquées sans un murmure.
Quatre patrons allemands sur dix indiquent que la peur de l’échec est une de leurs préoccupations dominantes, contre deux sur dix au Royaume-Uni. Newhall considère que cela renvoie à la honte de l’échec en Allemagne, alors que les Anglo-Saxons voient plutôt dans l’échec une occasion de se perfectionner et de repartir du bon pied. Les patrons les plus optimistes sont les Britanniques, peut-être à cause d’un environnement économique plus favorable. Ce qui les empêche de dormir, ce sont les pressions extérieures, telles que les nouvelles dispositions légales et les modifications du droit des sociétés. Pour les dirigeants français, les susceptibilités individuelles sont une forte préoccupation. Malgré ces différences, les trois pays partagent certains soucis et certaines convictions. Dans les trois, les patrons regrettent de n’avoir pas assez de temps libre. L’importance du travail d’équipe est aussi unanimement reconnue. « Dans les entretiens personnalisés, dit Newhall, que ce soit en tête à tête ou au téléphone, les capitaines d’industrie insistent sur leur responsabilité plus que sur leur pouvoir, et sur le succès de leur équipe plus que sur le leur. »
Autre point sur lequel se rejoignent les patrons interrogés : plus vous vous élevez dans la hiérarchie, plus le risque est grand, et rien ne peut vous préparer à diriger une entreprise. Profitez-en pendant que ça dure. Ou bien, comme le dit un patron allemand : « Le chemin est long pour arriver au sommet de la montagne. Là-haut, la vue est belle, mais le vent souffle très fort. »

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