Le jeune sage

Publié le 28 février 2006 Lecture : 4 minutes.

Sur le très officiel site Internet de la présidence de la République du Congo, bureau du porte-parole (www.presidentrdc.cd), à la date du 26 janvier 2006, cinquième anniversaire de l’accession au pouvoir de Joseph Kabila, on pouvait lire ceci : « Puis, viendra un jeune homme sage. C’est lui qui sauvera ce pays et apportera au peuple le bonheur et la vraie indépendance. » Cette petite phrase, extraite d’une prophétie de Simon Kibangu prononcée, dit-on, en 1920, a été mise en exergue pour des raisons évidentes : référence mythique (et mystique) pour des millions de Congolais, le fondateur de l’Église kimbanguiste, mort dans une prison coloniale en 1951, aurait donc prévu l’avènement salvateur de ce président de 34 ans. En termes de légitimation d’un pouvoir venu de nulle part ou presque (« Il m’est tombé dessus », a confié un jour l’intéressé), le gain n’est pas négligeable – à condition d’y croire, bien sûr. À moins de quatre mois d’une élection présidentielle historique, la première véritablement libre depuis 1960, tous les arguments sont bons à prendre. Donné pour favori du scrutin, Joseph Kabila sait que ses points faibles relèvent avant tout de l’apparence : leadership hésitant, difficulté pour le commun des Congolais à lire le fond de sa pensée, impression d’un pays sous tutelle de la communauté internationale et donc déficit de nationalisme. D’où l’utilité symbolique du recours – fût-il apocryphe – à Simon Kimbangu.
En cinq années d’exercice du pouvoir au cours desquels rien ou presque, ni les tentatives de coup d’État, ni les attaques ad hominem, ne lui furent épargnées, le « petit » est devenu le « boss ». Celui qui fut le plus jeune chef d’État du monde (29 ans lors de sa prestation de serment), a pris du poids, ouvert son pays sur l’extérieur, misé à fond sur l’Occident, partagé son pouvoir sans céder l’essentiel et réalisé le plus gros de ses engagements solennels du 26 janvier 2001 – lesquels tenaient en trois points : départ des troupes d’occupation étrangères, réunification du pays, élections générales. Nul n’aurait parié 1 franc congolais sur ce militaire hâtivement formé en Chine et imposé par les « tontons flingueurs » de l’entourage de Laurent Désiré Kabila, son père assassiné. De ceux qui alors croyaient le manipuler, lui servir de mentors et de colonne vertébrale, seul le vice-président Abdoulaye Yérodia Ndombasi – gardien de l’héritage du « Mzee » – a survécu. Kakudji, Kongolo, Luetsha et les autres sont passés à la trappe de l’oubli. On ne dit plus aujourd’hui « le général major Joseph Kabila » avec un petit sourire de commisération au coin des lèvres, mais Joseph Kabila Kabange, chef de l’État, originaire du Katanga par son père et du Maniema par sa mère, Sifa Maanya, femme de tête et d’influence, toujours présente lors des grandes occasions. Réservé, très différent des présidents africains de cette région, Joseph Kabila s’est fait violence pour sortir de sa coquille autoprotectrice – une mue encore inachevée. Il a parcouru le Congo, prononcé des dizaines de discours en français et en swahili (son lingala est toujours problématique), conquis Bush et Chirac, séduit les Belges, avec l’application d’un étudiant studieux. L’une de ses qualités majeures est en effet d’apprendre vite. Du lycée français de Dar es-Salaam à l’université Makerere de Kampala, de l’Académie militaire de Pékin à cette formation permanente qu’est pour lui l’Internet, en passant par le maquis, les pêcheries de son père sur le lac Tanganyika et l’état-major du général James Kabarebe, le Rommel rwandais, Joseph Kabila a multiplié les écoles. Son entourage, la garde rapprochée avec laquelle il ira au combat électoral est composé d’intellectuels brillants qui lui doivent tout ou presque : Vital Kamerhe, secrétaire général du PPRD, Léonard She Okitundu, directeur de cabinet, Kandura Kasongo, porte-parole, Samba Kaputo, conseiller spécial, Kikaya Bin Karubi, secrétaire particulier, Antoine Ghonda, ambassadeur itinérant, Evariste Boshab et quelques autres encore. Sa sur jumelle Jaynet et son frère cadet Dieudonné seront aussi de la partie.
À moins de quinze semaines de l’échéance prévue, les couteaux sont tirés. À la clé de cette élection à deux tours : un mandat de cinq ans renouvelable une fois, autant dire le Saint-Graal dans un pays où le pouvoir est le lieu de tous les fantasmes. L’opposition, en particulier kinoise, tire à boulets rouges sur un Kabila « illégitime » dans tous les sens du terme puisqu’à l’entendre – vieille antienne – il ne serait pas le fils de son père. « Moi, je suis blindé », a répondu un jour le concerné, « mais pour ma mère, entendre ça, c’est horrible ». Il est vrai que ses propres partisans ne donnent pas non plus dans la dentelle. Le 6 janvier, lors du congrès du PPRD, c’est un Abdoulaye Yérodia Ndombasi en transe qui a traité Étienne Tshisekedi – principal rival potentiel de Kabila – de ndoki (« sorcier »), avant de s’en prendre à l’ex-gouverneur de la Banque centrale de l’époque Mobutu, Pierre Paye Paye : « Papaye, c’est un fruit que je déguste chaque matin avec du citron », a dit en substance l’ancien disciple de Jacques Lacan, « il a volé, il a mangé et il veut maintenant revenir ! » Amateur de boxe, de karaté et de moto cross, un Joseph Kabila pugnace s’apprête à monter sur le ring. Plus jeune que tous ses adversaires, beaucoup moins marqué régionalement qu’eux et disposant de ressources non négligeables, il a su avec habileté se tenir à l’écart de ceux qui, au sein de sa galaxie et de sa mouvance, ont poursuivi, parfois avec voracité, le pillage de l’État. Surtout, le fils du Mzee a eu l’intelligence de surfer sur une donnée géopolitique fondamentale depuis le 11 septembre 2001 : perçues comme autant de havres possibles pour les réseaux terroristes, les zones de non-droit, à l’instar d’une grande partie de la RDC, devaient impérativement être pacifiées et sécurisées. Aux yeux d’une communauté internationale, qui a investi 400 millions de dollars dans le processus électoral congolais et qui semble déterminée à ne pas perdre sa mise, Joseph Kabila apparaît comme l’outil indispensable de cette normalisation.

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