Le grand rapprochement ?

La multiplication des projets économiques communs témoignent d’une spectaculaire embellie des relations entre les deux pays.

Publié le 28 février 2006 Lecture : 6 minutes.

Tunis, 18 février. Dans un hôtel des Berges du Lac, le nouveau quartier des affaires, une cinquantaine de jeunes patrons maghrébins sont réunis à l’initiative du Centre des jeunes entrepreneurs (CJD). C’est une première Le Tunisien Abdelaziz Darghouth, qui a organisé ce rassemblement informel, ne décolère pas contre la non-application par les pays de l’Union du Maghreb arabe (UMA) des accords d’intégration économique qu’ils ont signés au cours de la dernière décennie. « On signe pour signer ! » s’insurge-t-il.
C’est vrai, bien sûr, mais seulement en partie, comme en ont témoigné, deux jours auparavant (15-16 février, à Tunis), les retrouvailles entre Ahmed Ouyahia et Mohamed Ghannouchi, les Premiers ministres algérien et tunisien, à l’occasion de la réunion annuelle de la Grande Commission mixte de coopération, qu’ils coprésidaient. Plusieurs accords de coopération ont été signés à cette occasion. Ouyahia a ensuite été reçu par le président Zine el-Abidine Ben Ali, lequel, faveur exceptionnelle, l’a gardé à déjeuner avant de téléphoner à Abdelaziz Bouteflika, son alter ego algérien. Les présidents ont évoqué les « perspectives de consolidation » des relations entre leurs deux pays, qu’il convient « de porter au plus haut niveau ». Ghannouchi et Ouyahia ont quant à eux parlé du « caractère stratégique et privilégié » desdites relations, ainsi que de l’intégration et de la complémentarité des économies maghrébines, censées permettre de « combler les retards » et d’« atténuer les effets de la mondialisation sur nos peuples ». Paroles en l’air ? Ou faut-il croire que Ben Ali et Bouteflika, qui s’apprécient, dit-on, de plus en plus, ont réellement engagé entre leurs deux pays le plus spectaculaire rapprochement depuis les indépendances ?
Plusieurs éléments incitent à prendre au sérieux la seconde hypothèse. Avec la prudence qui s’impose. D’abord, parce que Ghannouchi et Ouyahia ont fait état de résultats concrets, acquis ou prévisibles au cours des prochains mois, dans la promotion de l’investissement et le développement des relations commerciales. Mais ce n’est pas tout. Les accords signés au palais du gouvernement concernant la garantie des investissements réciproques et les relations entre Banques centrales, de même que les divers programmes mis au point, témoignent d’une audace sans précédent.
Il suffit pour s’en convaincre d’examiner les chiffres. En 2005, les échanges commerciaux entre les deux pays ont atteint 413 millions de dinars tunisiens (255,6 millions d’euros) pour les seules marchandises, soit une progression de 80 % par rapport à l’année précédente. Les exportations tunisiennes ont augmenté de 74 % et les algériennes de 87 %. Là encore, c’est sans précédent. La performance est d’autant plus remarquable que, jusqu’à présent, les produits tunisiens étaient taxés à leur entrée en Algérie – la réciproque n’étant point vraie. Une anomalie corrigée lors de la réunion de Tunis.
Mais l’événement, c’est le lancement au cours des prochains mois de vastes projets d’investissements. Apparemment, Algériens et Tunisiens sont résolus à faire les choses en grand. Selon nos informations, l’Algérie, dont une partie de la production d’hydrocarbures est acheminée du Sahara vers la Méditerranée via le territoire tunisien, envisage de devenir un investisseur stratégique dans le secteur énergétique de son voisin.
1. Naftal, filiale de la compagnie nationale algérienne Sonatrach dans le domaine de la distribution, paraît bien placée pour acquérir les 35 % du capital de la Société nationale de distribution du pétrole (SNDP-Agil), mise en vente dans le cadre du programme tunisien de privatisations. Les résultats de l’appel d’offres international devraient être rendus publics prochainement. Agil détient 45 % du marché local de la distribution (188 stations-service à travers tout le pays).
2. L’Algérie s’intéresse également à un projet de concession en vue de la construction d’une raffinerie dans la zone du terminal pétrolier de la Skhira, sur la côte méditerranéenne. Plusieurs responsables ont séjourné à Tunis au mois de janvier pour s’informer de la nature exacte du projet. Les candidats devraient être « préqualifiés » en avril.
3. L’Algérie pourrait par ailleurs entrer dans le capital de la Compagnie de transport pétrolier du Sahara (Trapsa), qui gère un pipeline de 775 km reliant le champ tunisien d’el-Borma et le Sud algérien à ce même port de la Skhira.
4. Le renforcement des capacités du Transmed (appelé aussi Enrico Mattei), le pipeline qui, depuis 1984, achemine le gaz algérien vers l’Italie, via la Tunisie et le canal de Sicile, est désormais assuré. Sonatrach et la compagnie italienne ENI se sont mis d’accord pour porter sa capacité annuelle de 27 milliards à 33,5 milliards de m3. L’opération se déroulera en deux phases, l’une étant censée s’achever en 2008 et l’autre en 2012. Elle se traduira par des royalties supplémentaires pour la Tunisie.
Ce redéploiement stratégique est naturellement facilité par le fait que l’Algérie a accumulé depuis deux ans, à la faveur de la flambée des prix des hydrocarbures, de très importantes réserves de devises. Les institutions financières internationales lui ont conseillé d’en investir une partie hors de ses frontières afin d’éviter une surchauffe de son économie. Les responsables tunisiens s’y montrent favorables, comme ils le sont à tout ce qui contribue à l’intégration maghrébine. En sens inverse, ils encouragent les investisseurs nationaux qui le souhaitent à s’installer en Algérie. « Une quarantaine de projets d’implantation d’entreprises tunisiennes en Algérie ont été recensés au cours des deux dernières années, révèle Taoufik Baccar, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie. Nous soutenons tous les projets crédibles d’investissement à l’étranger. Nous encourageons aussi les banques tunisiennes à s’implanter dans les pays voisins. »
Parmi les projets les plus importants, celui d’Alkimia, un producteur de détergents chimiques STPP (tripolyphosphate de sodium) dont l’actionnaire principal est le groupe chimique qui transforme les phosphates tunisiens. Après plus de trois ans de patience, Alkimia vient de prendre une participation de 55 % dans le capital de la société algérienne Alkimial (du group Asmidal), à Annaba. Ce qui permettra de moderniser cette ancienne entreprise publique aujourd’hui en difficulté et d’assurer la production de 60 000 t de STPP par an. Une partie de la production est destinée au marché algérien. L’autre doit être exportée au Maroc et, peut-être, en Tunisie.
Directeur général adjoint du bureau d’études tunisien Comète, qui travaille sur le marché algérien, Walid Belhadj Amor est convaincu de l’intérêt d’un partenariat avec des entreprises européennes pour investir en Algérie. C’est ainsi qu’un joint-venture a été constitué entre le groupe français Danone et Sotubi, filiale du groupe tunisien Mabrouk, qui construit actuellement à Alger une biscuiterie qui sera opérationnelle à la fin de l’année. De même, Tunisie Leasing et la banque privée Amen Bank, ont, en janvier, lancé Maghreb Leasing Algérie (MLA), en partenariat avec deux institutions de développement, FMO (Pays-Bas) et Proparco (France). La Banque européenne d’investissement a accordé à la MLA des quasi-fonds propres d’un montant de 10 millions d’euros pour financer les prêts-bails alloués aux PME algériennes.
Deux douzaines d’entreprises tunisiennes, notamment des bureaux d’études (industrie, bâtiment et travaux publics, informatique), sont actuellement présentes dans le pays voisin. Parmi elles, les groupes Poulina et Hachicha, qui ont implanté des unités industrielles, et les groupes de distribution Bayahi et Loukil. Installé en Algérie depuis deux ans, Sigma Conseil (études médias et publicité), que dirige Hassen Zargouni, est également présent au Maroc et en Libye – sans parler de la Tunisie – et peut aujourd’hui se vanter d’être l’une des rares entreprises authentiquement maghrébines.
Pour accompagner le mouvement, le gouvernement tunisien a décidé de faire de 2006 l’« Année de l’Algérie ». Outre diverses manifestations culturelles, le programme prévoit l’importante participation de Tunisiens aux foires organisées à Alger et dans plusieurs villes de province, frontalières notamment.
Tunisiens et Algériens ont les uns des autres une connaissance sensiblement différente. Les premiers sont plus nombreux à se rendre dans le pays voisin pour le business. Et c’est exactement l’inverse pour le tourisme : en 2005, 931 000 Algériens se sont rendus en Tunisie, par la route, pour y passer leurs vacances.
Pour anticiper le développement à moyen terme des échanges humains et matériels, on travaille, de part et d’autre de la frontière, au renforcement des moyens de transport. Le 20 février, le président Ben Ali a inauguré le premier tronçon de l’autoroute qui reliera Tunis à l’Algérie. Côté algérien, les pouvoirs publics ont fait de la prolongation de l’autoroute de l’Est jusqu’à la frontière tunisienne l’une de leurs priorités. Déjà, les avions entre Tunis et Alger sont mieux remplis qu’à l’accoutumée. Il est vrai que seul un vol quotidien relie les deux capitales

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