La ronde des candidats

Des vingt-six postulants à l’élection présidentielle de mars, seuls quatre ou cinq poids lourds jouent la gagne. Les autres alimentent le débat et prennent date. Revue de détail.

Publié le 28 février 2006 Lecture : 6 minutes.

Vingt-six candidats pour un seul fauteuil, dans un pays de 7 millions d’habitants, cela fait beaucoup. La quatrième élection présidentielle au Bénin depuis l’avènement de la démocratie en 1991 a suscité de nombreuses vocations. Quelles que soient les ambitions légitimes de chacun, la « quantité des présents » s’explique essentiellement par la « qualité des absents ». Pour la première fois, les électeurs n’auront pas à choisir entre Mathieu Kérékou et Nicéphore Soglo. Après deux mandats successifs depuis 1996, le chef de l’État est contraint et forcé de se retirer, même si, dans son entourage, certains n’ont ménagé aucun effort pour le convaincre de rester. Quant à Soglo, le maire de Cotonou, il aura goûté aux délices de la magistrature suprême de 1991 à 1996, mais est aujourd’hui frappé par la limite d’âge fixée à 70 ans par la Constitution. Pas plus. Incontestablement, ces deux retraites forcées ont éveillé les appétits. Les poids lourds de l’échiquier politique espèrent pouvoir rafler la mise et assurer un nouveau leadership. Quant aux moins aguerris, il s’agit pour eux de prendre date pour franchir l’étape qui distingue un présidentiable d’un simple responsable politique. Le premier tour du 5 mars offre cette opportunité. Personne pour écraser de son poids la campagne électorale, pas de favori désigné, pas de vainqueur attendu. Il y a de la place pour tout le monde même s’il a fallu prévoir un bulletin unique au format double page pour imprimer les vingt-six photos des candidats et leurs logos de campagne.
En attendant, les Béninois sont soumis à un matraquage médiatique impressionnant. Affichages tous azimuts, spots télévisés, « meetings ambiancés », concerts « gracieusement offerts », réunions de quartier à la fréquentation inégale, visites de terrain… les principaux QG n’ont pas lésiné sur les moyens. Ce qui n’empêche pas les états-majors de s’interroger à voix haute. Qui sont les mieux placés pour récupérer les voix de Kérékou et Soglo ? Cette double absence va-t-elle remettre en cause la répartition géographique du vote entre le Nord et le Sud ? À ce petit jeu de la politique-fiction, sur les vingt-six candidats, quatre peuvent véritablement jouer les premiers rôles.
Le Nord, qui représente près de 30 % du corps électoral, a perdu sa figure emblématique et son leader historique avec le départ du chef de l’État. Natif de Tchaourou, dans la région de Parakou, Boni Yayi semble être le mieux placé pour capitaliser ce pactole de voix laissé en jachère. Président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) de 1995 à début 2006, âgé de 54 ans, ce nouveau venu en politique affiche un optimisme à toute épreuve malgré l’absence de machine électorale pour le soutenir. « La population veut des gens neufs, propres, compétents et jouissant d’une reconnaissance internationale », déclare-t-il. Avant d’ajouter : « Face au mécontentement général, le changement se fera avec des cadres de qualité, quelle que soit leur appartenance politique et toujours dans le respect de la bonne gouvernance. » Si le discours se veut volontairement novateur, en dénonçant au passage « le système de mercenariat pour constituer les majorités et les jeux politiciens qui consistent à diviser le Nord et le Sud », Boni Yayi trouve sur son chemin plusieurs candidats de diversion. On peut notamment citer l’actuel ministre de la Culture, Antoine Dayori et l’ancien ministre de l’Intérieur, un fidèle de Kérékou, Daniel Tawema. Sont-ils envoyés par la présidence pour brouiller les cartes ? Le Caméléon tolère-t-il l’arrivée d’un successeur potentiel dans sa région ? Autant de questions qui agitent le microcosme béninois.
« Le Nord détient la clé de ce scrutin, car dans le Sud, l’électorat sera très émietté », pronostique un observateur. De fait, la bagarre fait rage pour récupérer le stock de voix abandonné par Nicéphore Soglo. Le père parti, deux fils revendiquent l’héritage mais un seul a reçu l’imprimatur de la Renaissance du Bénin (RB). Au détriment de Galiou, Léhadi Soglo se présente comme le représentant d’une « dynastie ». Un terme qu’il ne renie pas, mais qu’il relativise en évoquant un « passage de témoin entre générations soumis au suffrage universel ». Premier adjoint au maire de Cotonou, l’homme âgé de 46 ans se veut proche des préoccupations des populations et n’hésite pas à se comparer à Marc Ravalomanana, devenu président malgache après avoir été maire d’Antananarivo. « Nous allons assister à un big bang politique et je compte bien ratisser au-delà de la Renaissance du Bénin », assure-t-il, tout en reconnaissant qu’il sera difficile d’obtenir plus de la moitié de l’électorat de l’ethnie fon sur lequel pouvait compter son père à chaque premier tour (36 % en 1991, 35 % en 1996 et 27 % en 2001). Un accent de sincérité qui confirme l’analyse le plus souvent entendue à Cotonou. En politique, il n’y a pas de « génération spontanée », mais 2006 doit permettre au fils de se faire un prénom. Avec, en ligne de mire, 2011.
Les « longs couteaux » que sont Bruno Amoussou et Adrien Houngbédji pourraient en revanche jouer la gagne. Amoussou, 65 ans, a livré toutes les batailles depuis 1991 mais n’a jamais dépassé les 17 %, son fief se limitant aux départements du Mono et du Couffo, le long de la frontière sud avec le Togo. Toujours habile à la manuvre pour constituer des majorités parlementaires au profit de Kérékou, il est, cette fois, bien décidé à travailler en solo. Au risque de froisser le chef ? « Mathieu Kérékou est en réserve de la République et s’est mis à l’écart de la campagne », déclare celui que l’on présente comme le candidat des grands électeurs et des milieux économiques. « Les accusations d’affairisme dont je suis l’objet sont des éléments de propagande », répond-il sans jamais se départir de son calme légendaire. Sur son bilan comme ministre d’État en charge du Plan jusqu’en février 2005, l’homme s’exerce, non sans talent, au grand écart. « Le médecin assistant est-il responsable des traitements prescrits ? » s’interroge-t-il, faussement ingénu. Avant de préciser : « La situation économique s’est dégradée ces deux dernières années lorsque j’ai quitté la coordination de l’action gouvernementale. » Le médecin chef qui a procédé aux différents remaniements ministériels appréciera !
« 100 % ensemble, on va gagner », se persuadent enfin les militants du Parti du renouveau démocratique (PRD) d’Houngbédji. Pour eux, cette fois, c’est sûr. Après avoir été de tous les combats électoraux, de plusieurs majorités depuis 1991, leur candidat doit faire rimer 2006 avec victoire. Âgé de 64 ans, le candidat originaire de l’Ouémé, dans le sud-est du pays, pense pouvoir étendre son réservoir de suffrages sur l’ensemble du territoire. Devenir le numéro un après avoir été systématiquement sur la troisième marche. Conquérir la magistrature suprême après avoir été le « faiseur de roi ». « Je suis un homme politique qui a vocation à arriver au pouvoir. Si je m’étais laissé annexer par Kérékou ou Soglo, je n’existerais plus », estime celui qui a permis le retour du Caméléon en 1996 après avoir été l’allié du second. Un revirement que la Renaissance du Bénin pourrait lui faire payer, dix ans plus tard. « En politique, il n’y a pas de rancune tenace », tranche-t-il, persuadé que sa campagne de terrain et que les nombreux ralliements en sa faveur feront la différence. Il lui faudra malgré tout compter sur la présence de son frère, Gatien, et passer avec succès l’épreuve du premier tour.
De ce point de vue, la pléthore de candidats rend l’issue du scrutin très indécise. Combat isolé, volonté d’apporter une valeur ajoutée au débat de société, ou positionnement tactique dans la course aux postes ministériels, le rendez-vous du 5 mars a fait des émules. Avec le président de l’Assemblée nationale, Antoine Kolawolé Idji, deux autres membres du gouvernement Zul-Kifl Salami (chargé du Plan) et Karamou Fassassi (Énergie), la dispersion des voix est assurée.
Dans ce monde d’hommes, deux femmes réussissent à faire entendre leur voix. Avec passion et sincérité. Avocate réputée, ancienne ministre du Commerce, présidente de l’Association des femmes juristes du Bénin, Marie-Élise Gbédo en appelle à la « justice, au développement social, et à la modernité dans le respect des traditions ». Moins médiatique mais observatrice avertie des arcanes du pouvoir pour avoir dirigé le cabinet de Mathieu Kérékou (1998-2001), Célestine Zanou parle en toute connaissance de cause quand elle demande une séparation claire entre dirigeants politiques et hommes d’affaires et lorsqu’elle dénonce une décadence morale. Au moins, durant cette campagne, on peut tout dire. Avec ses vertus et ses excès, la démocratie au Bénin se veut exemplaire.

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