Jour J

Le 7 mars, les candidats au rachat de 35 % de l’opérateur national tunisien devront avoir déposé leurs offres. Faites vos jeux !

Publié le 28 février 2006 Lecture : 8 minutes.

Le 7 mars, la Tunisie devrait vivre son plus grand événement économique de l’année 2006. Neuf opérateurs internationaux de télécommunications sont censés présenter leurs offres pour l’acquisition de 35 % du capital de l’opérateur national Tunisie Télécom (TT). Dans un contexte de boom des télécommunications et des nouvelles technologies de l’information, TT est l’entreprise la plus rentable du pays. Comme l’ensemble du secteur, elle a enregistré, au cours des cinq dernières années, un taux de croissance annuel moyen de 20 %.
En termes de revenus attendus, l’ouverture du capital de ce fleuron national est la plus grande opération de privatisation dans l’histoire du pays. Depuis 1987, les recettes générées par la cession partielle ou totale de 194 entreprises se sont élevées à 2,4 milliards de dinars (environ 1,5 milliard d’euros). La vente de 35 % de TT pourrait rapporter presque autant, sinon plus. « Ce sera la transaction du siècle » pour le pays, estime même un banquier de la place. Cette entrée massive de capitaux renflouera considérablement les caisses de l’État et, partant, profitera au financement du développement. Pour le marché international des télécommunications, la cession de TT est l’un des temps forts de l’année ?dans la bataille que se livrent les grands opérateurs pour la conquête de nouvelles parts de marché.
La cession se fera en deux temps. Selon des informations recueillies par Jeune Afrique, le gouvernement tunisien est d’accord pour que l’heureux gagnant acquière, dans une seconde phase, les 16 % nécessaires pour atteindre 51 % du capital. Les conditions et les délais de cette prise de contrôle majoritaire sont en cours de discussion. Nul doute que les candidats tiendront compte de cette perspective dans le prix qu’ils vont proposer pour la première tranche.
C’est là un scénario similaire à la prise de contrôle de Maroc Télécom par l’opérateur français Vivendi, qui a d’abord acquis 35 % en 2001, puis 16 % trois ans plus tard (voir encadré p. 86). Comme dans le cas du Maroc, les acteurs du marché financier à Tunis espèrent que, par la suite, l’État tunisien cédera, dans le cadre d’une offre publique de vente (OPV) à la Bourse, une partie de ses parts.

Transparence assurée
Les règles de la bonne gouvernance imposent que la cession se fasse, à chacune de ses étapes, dans la plus grande transparence et à travers une approche professionnelle tenant compte des contraintes et exigences des investisseurs. Plus l’opération est transparente, plus les offres seront avantageuses. Or, pour la première fois dans l’histoire des privatisations en Tunisie, la liste des candidats préqualifiés a été officiellement rendue publique, alors qu’auparavant on ne l’apprenait qu’à travers des fuites. Mieux : sur décision du chef de l’État, l’ouverture des plis contenant les offres financières se fera en public. Du jamais vu !
La première étape, en août 2005, a été « l’appel à manifestation d’intérêt » aux partenaires stratégiques désirant accompagner technologiquement et financièrement TT dans son développement. Quatorze candidats ont répondu. Treize d’entre eux, sélectionnés sur la base de critères de compétence technique et de solidité financière, ont été préqualifiés pour participer à l’appel d’offres international. Le seul qui n’a pas été retenu est un petit opérateur moyen-oriental dont la capitalisation boursière n’obéit pas aux critères fixés. Parmi les préqualifiés, on distingue deux catégories : des opérateurs européens de renom, engagés dans un développement à l’international, et des opérateurs issus des pays du Golfe. D’une part, des sociétés directement génératrices d’innovations de première main, avec leurs propres structures de « recherche et développement » ; de l’autre, des groupes disposant des moyens financiers pour faire appel aux meilleurs sur le plan de la compétence technique.
Entre décembre 2005 et janvier 2006, les préqualifiés se sont présentés aux deux data rooms organisées au siège de TT, à Tunis, pour obtenir la documentation la plus complète possible sur la gestion et interroger tous les responsables susceptibles de leur fournir les informations requises. Pendant la période allant du 27 décembre au 7 janvier, ils sont entrés dans une phase de questions-réponses avec le gouvernement tunisien, qui devait, pendant la troisième semaine de février, leur communiquer ses conditions. Là aussi, la transparence est de mise puisque, après anonymisation, la teneur des réponses faites aux uns et aux autres est communiquée à tous les candidats, respectant ainsi la règle de l’égalité de tous en matière d’accès à l’information. À la lumière de ces réponses, la documentation juridique et le projet d’acte de cession, ainsi que la convention d’actionnariat régissant les rapports entre l’actionnaire et l’État en matière de gestion de l’entreprise, sont mis à jour. C’est sur cette base que les candidats prennent la décision finale de présenter une offre à la date limite du 7 mars. L’ouverture publique des plis financiers devrait intervenir au moins une dizaine de jours après le 7 mars. Au cas où les prix proposés par certains candidats seraient proches les uns des autres dans une fourchette de 10 %, les intéressés auront la possibilité de surenchérir dans un second tour, qui devrait intervenir avant la fin de mars. La surenchère sera publique. Le candidat qui présentera l’offre financière la mieux-disante sera déclaré sur-le-champ adjudicataire provisoire, en attendant la finalisation des formalités d’usage. Une seule exception : si l’offre financière est en dessous des attentes de l’État (exprimées par une valorisation calculée par des experts et, théorie des enchères exige, gardées secrètes jusqu’à l’ouverture des plis), celui-ci peut déclarer l’appel d’offres « non concluant ». Auquel cas il sera renouvelé plus tard selon des conditions plus opportunes.

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Qui décide ?
L’opération de privatisation est coiffée par la primature et conduite, dans la pratique et au jour le jour, par le ministère des Télécommunications, qui s’appuie sur un comité de pilotage. Le ministère a choisi comme conseiller principal, à travers un appel d’offres international, le consortium formé par la Banque d’affaires de Tunisie (BAT) et Santander Investment. L’actionnariat de la BAT comprend trois banques tunisiennes (STB, BIAT, BNA) et cinq banques étrangères de référence (HSBC, Credito Emiliano, Banque commerciale du Maroc, British Arab Commercial Bank et Santander Central Hispano). C’est la deuxième fois que la BAT est coleader dans un grand marché de privatisation, après celui de la Banque du Sud. Santander est la première banque de la zone euro en termes de capitalisation boursière et la huitième mondiale.
Le comité de pilotage de la privatisation de TT est présidé par le ministre des Télécommunications, ou son délégué, et comprend des représentants de la primature (qui coiffe un secrétariat d’État à la Privatisation), du ministère des Finances, de la Banque centrale de Tunisie, du ministère du Développement économique et de TT. C’est ce comité qui prépare et suit toute la procédure de cession. La commission de dépouillement des offres est elle-même issue dudit comité, à ceci près qu’on y adjoint un contrôleur des marchés publics de l’État. Le rôle du comité est de déblayer le terrain pour les hautes instances de l’État, à qui appartient la décision formelle de cession, prise lors d’un conseil interministériel. Mais le vrai décisionnaire, c’est le chiffre qui sortira des plis contenant les offres financières.

Qui sont les favoris ?
Depuis plusieurs mois, chacun pousse méthodiquement ses pions dans le plus grand secret. On sait aussi que, étant donné les enjeux financiers et stratégiques, les États soutiennent leurs poulains. Par exemple, le calendrier de la procédure de privatisation a été modifié à la demande de certains gouvernements des pays du Golfe pour permettre à leurs opérateurs de se préparer. On a également noté que les ministres et hommes politiques français en visite en Tunisie au cours des derniers mois n’ont pas manqué, devant leurs interlocuteurs tunisiens, de parler des télécommunications comme d’un secteur où la coopération bilatérale pourrait se développer. La présence, au Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), à Tunis, du 16 au 18 novembre 2005, des principaux dirigeants de Vivendi (Jean-Bernard Lévy), Saudi Telecom (Khaled al-Melhem), Etisalat et Tecom n’est pas passée inaperçue. Ceux de Telecom Italia sont des familiers de la capitale tunisienne. Au début de janvier, Bahaeddine Hariri, fils de feu Rafic Hariri et l’un des principaux dirigeants du groupe saoudien Oger, a effectué une visite fort remarquée à Tunis, où il a rencontré plusieurs responsables et hommes d’affaires. Ce n’est peut-être pas non plus un hasard si Didier Lombard, président de France Télécom, profitant de quelques jours de vacances de fin d’année en Tunisie, a fait part à ceux qu’il a rencontrés de l’intérêt de sa compagnie pour TT.
De l’avis des experts, la partie va se jouer essentiellement sur les prix proposés. « Pour ce qui concerne les techniques, tous les candidats restés en lice se valent et ont, en tout cas, les moyens de se les payer auprès des équipementiers, estime un ingénieur. C’est donc sur le volet financier que tout va se jouer. » Contrairement à ce que l’on croit, les plans de développement du candidat acquéreur ne jouent qu’un rôle secondaire, dans la mesure où il ne s’agit que de promesses non contractuelles. D’ailleurs, les stratégies envisagées ne sont pas notées lors de l’évaluation des offres.
A priori, donc, le vainqueur sera celui qui fera la meilleure offre financière. Jusque-là, chacun des acteurs a bien caché son jeu, ce qui rend tout pronostic difficile. Et s’il faut quand même se hasarder à avancer les noms de quelques « favoris », on citera, par ordre alphabétique, Italia Telecom, très probablement en tandem avec Oger, MTN, Tecom et Vivendi, soit deux européens, un africain et un du Golfe.

Quel prix ? Quel rôle pour l’acquéreur ?
Dans de telles enchères, les évaluations faites par le vendeur comme par les candidats sont des secrets particulièrement bien gardés. Néanmoins, et selon un expert familier du marché des télécommunications dans le monde, la cession de 35 % de TT devrait rapporter entre 1 et 2 milliards d’euros. Dès l’acquisition de 35 % du capital, et bien que l’État tunisien continuera à être majoritaire, le nouveau partenaire privé au sein de TT sera associé à la gestion. Il aura la possibilité de nommer un directeur général adjoint et des cadres de son choix aux postes de gestion technique et commerciale.
Le nouveau partenaire peut, en effet, apporter rapidement des améliorations en matière commerciale et d’organisation en vue d’optimiser les performances. À terme, il pourrait aussi aider l’ex-détenteur d’un monopole public à accomplir sa mue pour devenir un prestataire de services de meilleure qualité. Il devrait aussi contribuer à instiller dans le haut management le sens de l’anticipation. Cela permettrait à TT d’avoir davantage de réactivité dans un environnement de plus en plus concurrentiel, où le seul arbitre est l’Instance nationale des télécommunications. Plus tard, avec la prise de contrôle de la majorité du capital de TT dont il est assuré, le nouveau partenaire aura toute latitude pour gérer la compagnie dans le cadre du cahier des charges convenu avec l’État tunisien, qui passera au statut d’actionnaire minoritaire.

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