[Édito] Libreville Parano

Alors qu’Ali Bongo Ondimba est au Maroc pour y poursuivre sa convalescence, le théâtre d’ombres qu’est devenu la scène politique gabonaise se révèle dans la capitale, où la guerre des clans bat son plein.

Ali Bongo Ondimba à Londres en octobre 2018. © Paul Grover/ SIPA

Ali Bongo Ondimba à Londres en octobre 2018. © Paul Grover/ SIPA

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Publié le 2 décembre 2018 Lecture : 5 minutes.

Ali Bongo Ondimba a donc quitté Riyad ce 28 novembre dans la soirée. Dans l’avion qui l’emmenait à Rabat, où l’aile d’un hôpital militaire a été spécialement aménagée pour sa convalescence, avaient pris place son médecin personnel, deux autres médecins, marocains ceux-là, dépêchés par Mohammed VI, ainsi qu’une équipe saoudienne.

Rabat a finalement été préféré à Londres, pourtant choisi à l’origine, grâce à un intense lobbying du roi et après d’âpres discussions dans l’entourage du chef de l’État gabonais.

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Ce dernier se remet peu à peu de l’AVC qui l’a frappé le 24 octobre. Il semble avoir toute sa conscience et s’exprimer sans difficulté notable. Mais il faudra un jour faire la lumière, toute la lumière sur l’absence d’Ali Bongo Ondimba et sur les tensions qui enflamment les coulisses du pouvoir, à Libreville.

Dans le cas du Gabon, la situation a très vite tourné à l’ubuesque

Les problèmes physiques des chefs d’État et la vacance, même temporaire, du pouvoir qui s’ensuit puisqu’ils sont presque toujours soignés à l’étranger (ce qui, par parenthèse, en dit long sur la confiance qu’ils accordent à leur propre système de santé) sont, partout ou presque en Afrique, nimbés du plus épais secret. C’est l’ultime tabou.

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Dans le cas du Gabon, la situation a très vite tourné à l’ubuesque. « Malaise », « fatigue passagère » puis « sévère », « opération »… Les services de la présidence s’en sont longtemps tenus à une communication minimale – homéopathique, si l’on veut –, tandis que la machine à rumeurs s’emballait. Passe encore que les makayas se soient perdus en conjectures et aient inondé les réseaux sociaux des thèses les plus folles.

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Mais comment justifier les confidences « de source sûre » lâchées par nombre de présidents africains, avant de trouver un écho complaisant à Paris ? La plupart du temps, elles annonçaient la fin du séjour terrestre d’ABO… Quand on ne sait pas, ou que l’on n’est pas très sûr, ou que l’on a fâcheusement tendance à prendre ses désirs pour des réalités, mieux vaudrait s’abstenir de tout commentaire, non ?

Pendant plusieurs semaines, personne au Palais du bord de mer, non plus qu’au gouvernement, n’a été en mesure de dire de quel mal souffrait réellement le « patron », comme ils disent, ni même s’il était toujours de ce monde.

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Seuls les membres de sa famille proche (Sylvia, son épouse, Noureddine, son fils) ainsi que ses deux aides de camp, son responsable de la sécurité, le fidèle et mutique « Monsieur Park », et un membre du protocole, présent à Riyad, connaissaient la vérité. Mais de ce côté-là, bien sûr, rien n’a jamais filtré.

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À tous les étages, ce ne sont que rivalités impitoyables, coups de Jarnac et chausse-trapes

Pendant ce temps, le Premier ministre et son gouvernement tentaient de gérer comme ils pouvaient les affaires courantes au milieu d’un océan d’incertitudes. Soudain propulsé en pleine lumière, le vice-président s’interrogeait sur la nature de son rôle et de ses prérogatives, en regardant passer les trains. Les services de sécurité veillaient au grain, non sans de brusques accès de paranoïa.

Quant à l’opposition, elle hésitait : devait-elle s’engouffrer dans la brèche ou faire preuve de mesure et d’un minimum de respect ?

Plus grave, cette longue période sans son ni image du président a donné lieu, entre ses collaborateurs, à des affrontements dont il est difficile, de l’extérieur, de mesurer la violence.

Depuis son élection en 2009, la vie dans l’entourage du chef n’a certes jamais été un long fleuve tranquille. Qui ne se souvient pas des homériques passes d’armes entre Maixent Accrombessi, l’ex-directeur de son cabinet, et Laure Gondjout, la secrétaire générale de la présidence ?

Encore n’est-ce là que la partie visible de l’iceberg. À tous les étages, ce ne sont que rivalités impitoyables, coups de Jarnac et chausse-trapes. On se dispute le contrôle des finances ou de la communication… On joue des coudes pour occuper une place proche du soleil…

C’est le combat de tous contre tous

ABO a parfois donné l’impression de ne pas être très désireux de mettre un terme à cette incessante lutte des places. Mais son absence donne à ces conflits une ampleur inquiétante. On ne voit pas tous les jours un ministre de la Défense menacer de démissionner sans raison apparente. Ni un directeur de cabinet empêché, manu militari, de se rendre auprès du chef de l’État. C’est le combat de tous contre tous.

Quand ils ne s’opposent pas aux civils, les « sécurocrates » n’hésitent pas à s’affronter entre eux. Quant à la famille proche, elle ne semble plus avoir son mot à dire. La famille élargie, dont une partie ne porte pas forcément ABO dans son cœur, elle, se préoccupe surtout de préserver ses intérêts.

L’accès au président ayant été subitement coupé (comme ses portables personnels), c’est un « beau-frère » qui joue les missi dominici entre Libreville et Rabat. Des directives présidentielles sont transmises sans que l’on sache si elles émanent vraiment d’ABO. Les rumeurs de coup de force vont bon train. On se croirait dans un roman de Gérard de Villiers, le créateur de SAS, l’érotisme et les « croupes callipyges » en moins.

Le pays, lui, ne peut plus se permettre de naviguer à vue

Dans cette ambiance de fin du monde, la paranoïa devient la norme. Seule Marie-Madeleine Mborantsuo, la présidente de la Cour constitutionnelle, ne montre aucune fébrilité. Elle communique comme si de rien n’était et se pose en arbitre, au-delà même des questions strictement constitutionnelles et de la définition des prérogatives des uns et des autres en l’absence du chef de l’État.

>>> À LIRE – Gabon – Marie-Madeleine Mborantsuo : « Je ne défends pas les intérêts de la famille Bongo »

Cela en dit long sur le théâtre d’ombres qu’est devenue la politique gabonaise ! Le pays, lui, ne peut plus se permettre de naviguer à vue.

Après la présidentielle catastrophique de 2016, il semblait récemment avoir retrouvé un semblant de sérénité et s’être remis en ordre de marche. Nouvelle épreuve aujourd’hui. Et, cette fois, l’opposition n’y est pour rien…

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