Simone Gbagbo

Référendum, désarmement, présidentielle… l’épouse du chef de l’Etat ivoirien monte au créneau. Comme à son habitude.

Publié le 24 décembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Y aura-t-il un référendum sur l’article 35 de la Constitution, des sanctions onusiennes, une élection présidentielle, le désarmement… en 2005 ? Simone Gbagbo sera présente sur tous ces sujets au cours de l’année cruciale qui s’annonce. À la différence de ses homologues africaines, la première dame de Côte d’Ivoire n’a pas attendu l’arrivée de son mari au pouvoir pour naître à la politique. Députée d’Abobo (une agglomération de la banlieue d’Abidjan), vice-présidente du Front populaire ivoirien (FPI, au pouvoir) et présidente du groupe parlementaire du FPI à l’Assemblée nationale, l’épouse de Laurent Gbagbo est une figure politique de premier plan. Son nom reviendra dans les discussions de l’ONU, vers le 10 janvier. Le Conseil de sécurité devrait, dans les jours qui précèdent ou qui suivent cette date butoir, finaliser la liste des personnalités ivoiriennes passibles de sanctions (interdiction de voyage et gel des avoirs) pour obstruction au retour de la paix dans leur pays. « Le Conseil se penchera inévitablement sur le « cas » de la première dame, indique un diplomate africain membre de l’organe onusien. S’il y avait une seule personnalité à sanctionner, ce serait Simone Ehivet Gbagbo perçue aujourd’hui aux Nations unies comme l’un des principaux obstacles à la paix. »
Pour le couple Gbagbo, 2005 est l’année de tous les défis, mais aussi celle de tous les dangers. C’est le 22 octobre prochain qu’expire le mandat de Laurent Gbagbo, et rien, en l’état actuel des choses, ne laisse présager l’organisation d’élections à cette date. Comment les Gbagbo géreront-ils cette échéance cruciale ? Comment feront-ils face à la réaction d’une communauté internationale tout ou partie braquée contre eux ?
Ces perspectives incertaines ne semblent guère inquiéter Simone Gbagbo, restée imperméable aux mises en garde et menaces de poursuites judiciaires depuis l’éclatement de l’insurrection armée, le 19 septembre 2002. Car Simone, comme l’appellent ses compatriotes, incarne « l’aile dure » du camp présidentiel. Si son époux a quelquefois transigé sous la pression de la communauté internationale, elle a toujours opposé, elle, un niet catégorique aux accords de Marcoussis, « une impasse absolue ». Elle aurait même violemment tancé l’ex-Premier ministre et président du FPI, Pascal Affi Nguessan, coupable à ses yeux d’avoir signé en janvier 2003 « ce document qui consacre de facto un coup d’État constitutionnel ». Après l’adoption par le Parlement, le 17 décembre, de la révision de l’article 35 de la Constitution (relatif aux conditions d’éligibilité à la présidence de la République), nul doute que Mme Gbagbo militera en 2005 pour le « non » au cas où la modification de la Loi fondamentale serait soumise à référendum.
Forte d’une légitimité acquise depuis les années de clandestinité, Simone a une influence à nulle autre pareille auprès de son président de mari, auquel elle n’hésite pas à s’opposer. Une journaliste de l’Agence France-Presse l’a appris à ses dépens. « Vous avez bien de la chance d’être là. Moi, je ne vous aurais jamais reçu », lui a-t-elle lancé, alors qu’elle était en entretien avec le chef de l’État.
Ainsi est Simone Gbagbo, curiosité politique contemporaine, première dame atypique, réputée autoritaire, cassante, rugueuse, « dure »… Dénommée « Xena la guerrière » (l’héroïne d’une série télévisée) par les uns, lady Macbeth ou Catherine de Médicis, deux femmes au caractère bien trempé, par les autres, elle inspire respect, crainte, voire terreur.
Visage plutôt lourd, menton volontaire, regard tranchant, voix forte et imposante, elle n’a rien ou presque à voir avec les premières dames abonnées chez les grands couturiers et les bijoutiers de luxe. Habillée toute l’année en tissus traditionnels ivoiriens, elle préfère consommer local. Et tout dans sa façon d’être est à lier à son parcours – pas toujours balisé, loin s’en faut. Simone n’a pas été épargnée par la vie, partagée depuis son adolescence entre le féminisme, la lutte politique clandestine, la prison… Elle a perdu sa mère en venant au monde, le 20 juin 1949. Fille d’un gendarme, elle a été ballottée d’une localité à une autre de la Côte d’Ivoire avec ses dix-huit frères et soeurs, au gré des affectations de leur père. Piquée dès le collège par le virus du militantisme, elle adhère à la section féminine de la Jeunesse estudiantine catholique (JEC-F), qu’elle dirigera de 1967 à 1971.
Alors qu’elle prépare un doctorat de 3e cycle en littérature orale à l’université d’Abidjan (sujet de sa thèse : « Le langage tambouriné chez les Abourés »), elle inonde le campus des idées de Patrice Lumumba et de Nkwame Nkrumah, chantres du marxisme corrigé au goût du continent.
À partir de 1972, sous le nom d’emprunt d’« Adèle », elle est la seule femme à participer aux réunions de « l’Organisation », un mouvement clandestin, embryon du futur FPI. L’année suivante, alors qu’elle a trois filles (Patricia, Marthe et Antoinette), elle rencontre « Petit Frère », nom de code de Laurent Gbagbo, divorce et épouse ce jeune professeur d’histoire. Le couple donnera naissance à des jumelles : Gado et Popo.
Accusé d’activités subversives par le régime de Félix Houphouët-Boigny, Laurent est contraint de s’exiler en France, de 1982 à 1988. « Adèle » prend la direction du FPI, toujours clandestin, qu’elle cumule avec sa fonction de secrétaire générale adjointe du Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur (Synares) et son combat de féministe contre la polygamie et pour les droits de la femme.
Après l’ouverture démocratique décidée par Houphouët-Boigny en 1990, elle est élue députée d’Abobo en 1996, puis réélue en 2001.
Simone Gbagbo est une femme de tête, mais aussi de foi. Catholique de naissance, elle est passée à l’évangélisme de type anglo-saxon, après un grave accident de voiture qui a failli leur ôter la vie à elle et à son mari, en 1996. Elle s’est tirée de ce drame avec la conviction que leur couple est « élu » de Dieu. « Depuis le 19 septembre 2002, indique un ami français du couple, elle se croit investie d’une mission : défendre les chrétiens de son pays contre l’agression des musulmans du Nord. » Elle n’a ainsi pas hésité à déclarer le 21 décembre 2002 devant la Congrégation des femmes musulmanes de Côte d’Ivoire que les musulmans et les Nordistes sont les soutiens de la rébellion. Soupçonnée de distiller « l’ivoirité », cette idéologie raciste et violente dirigée contre les Ivoiriens du Nord et les étrangers vivant dans le pays, Simone enfonce le clou. « L’ivoirité ne me dérange pas. Chacun a son origine. La revendiquer n’est pas pécher », affirmait-elle en juillet 2001.
En fait, Simone s’encombre peu de précautions oratoires et masque mal le fait d’être très économe de son estime pour ses compatriotes originaires du nord du pays, les Dioulas. Elle ne porte pas non plus dans son coeur l’ancienne puissance coloniale, qu’elle accuse d’avoir sinon fomenté, du moins soutenu la rébellion. « La France n’a qu’à rester tranquille et se mêler de ses affaires, devait-elle asséner. Elle nous a causé assez de problèmes comme ça. »
Simone a d’ailleurs soigneusement évité l’Hexagone depuis le début de la crise, préférant se rendre en Israël dont elle soutient la lutte, convaincue en bonne évangéliste que le messie viendra le jour où le peuple juif vivra en paix sur la Terre promise. Plus par option que par commodité, elle a également tenu à inscrire ses jumelles Gado et Popo dans des écoles américaines et non françaises.
L’épouse de Laurent a le courroux tenace et la vengeance implacable. On la soupçonne de nombreuses atteintes aux droits de l’homme, depuis l’éclatement de la rébellion en septembre 2002. Son ancien aide de camp Anselme Séka Yapo, alias Séka Séka, serait le chef des escadrons de la mort qui ont sévi à Abidjan au début de la crise. Son beau-frère, Michel Legré, a été mis en examen dans l’affaire de la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, enlevé à Abidjan le 16 avril 2004.
Mais on ne prête qu’aux riches, et Simone l’est de ses engagements politiques et de ses convictions religieuses. Ils ne seront pas de trop pour affronter 2005 et ses périls.

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