Mahmoud Messadi, ou la quête de l’absolu

Après l’article retraçant le parcours de l’écrivain et homme politique tunisien décédé le 16 décembre (voir J.A.I. n° 2293), Chedli Klibi revient sur son oeuvre littéraire.

Publié le 3 janvier 2005 Lecture : 2 minutes.

Homme de pensée, Mahmoud Messadi est avant tout un grand écrivain. Il écrit une prose superbe, souvent poétique, dans une langue rigoureusement ciselée avec un art tout parnassien. Une langue qui rappelle celle d’Abou-I-Faraj al-Asbahani, du Xe siècle. Il répugne à utiliser cet arabe moderne forgé par une pléiade d’auteurs du Proche-Orient. Il veut redonner aux mots leurs acceptions originelles, les enserrer dans une syntaxe sobre,
contractée et pure, sans fioriture. La phrase messadienne est souvent constituée de blocs de granit, pétris d’essences d’idées et d’émotions maîtrisées, portées à incandescence. D’où cet hermétisme qui rebute tant les lecteurs orientaux. Même le maître de la critique littéraire en Égypte, Taha Hussein, avoue avoir relu plus d’une fois un des livres les plus importants de Messadi, Le Barrage, avant de commencer à en entrevoir, dit-il, la « philosophie ». Ce qui explique mais en partie seulement que l’uvre de Messadi soit pratiquement inconnue du grand public arabe.
Quand il était professeur, Messadi dédaignait le plus souvent l’ordinaire des moyens pédagogiques, qu’il laissait à d’autres, pour se consacrer à ce qu’il considérait comme l’essentiel : éveiller des consciences, former des esprits, apprendre à ses élèves, et plus tard à ses étudiants, les voies par lesquelles ils pouvaient se chercher eux-mêmes et construire leur personnalité. Il enseignait à voir et à regarder, à sentir et à penser. Tout le reste était, à ses yeux, secondaire.
Dans les programmes des terminales, appelées autrefois classes de rhétorique, il avait ses auteurs préférés, auxquels il consacrait le plus clair de l’année. Car il avait sa conception de la littérature. Il ne concevait l’écriture littéraire que comme l’expression sincère, tumultueuse, de l’angoisse devant la condition humaine. Tout autre préoccupation est indigne de la littérature et la détourne de sa vocation essentielle.
Aussi avait-il, dans sa jeunesse, une conception tragique de l’existence. Abandonné à lui-même, l’homme est, tel Sisyphe, contraint à une entreprise vouée à l’échec : la quête de l’absolu. L’existence de l’homme est un combat pour construire sa propre éternité ambition constamment contrecarrée par des forces implacables.
L’homme est-il ainsi condamné à la déréliction ? À l’âge de raison, le combat de Messadi va s’incarner d’abord dans la lutte syndicale et, plus tard, dans l’édification d’une
nation et l’enracinement dans une communauté de culture et de civilisation. La fougue libertaire va, peu à peu, s’apaiser, pour donner son essor à une sagesse, toute d’équilibre et d’adhésion. Une sagesse qui porte l’homme à tisser, de responsabilités et de foi, son destin reconnu.
On le voit, Messadi, maniant une langue merveilleusement authentique, se rattache, par son propos, aux grands courants littéraires en France et en Europe. Il est le premier et peut-être l’un des rares à avoir réussi cette coordination de l’Orient, dans sa majesté ineffable, et de l’Occident, en ce qu’il a de plus fort, la recherche de soi à travers l’absolu.
Les uvres maîtresses de Messadi remontent à sa jeunesse affranchie, où il luttait contre toute forme de sujétion. Ce sont celles-là qui resteront, parce que les plus vivantes et celles où il a su, mieux que personne, faire résonner dans les consciences.
C’est cette uvre majeure qui probablement traversera les ans, mais reliée à l’apaisement qui a couronné son grand Voyage titre d’un de ses plus beaux récits allégoriques.

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