Mahmoud Abbas

Le nouveau chef de l’OLP et candidat unique du Fatah à la présidentielle du 9 janvier est (presque) assuré d’être élu. Et après ?

Publié le 24 décembre 2004 Lecture : 6 minutes.

« Lorsque mon heure viendra, je serai remplacé par mon frère Abou Mazen [Mahmoud Abbas] », avait dit Yasser Arafat à Bill Clinton lors d’une visite à la Maison Blanche en janvier 1999. L’ex-président du Fatah, de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et de l’Autorité palestinienne (AP), décédé le 11 novembre à Paris, savait que Mahmoud Abbas, son « ami de quarante ans », ne pourrait jamais vraiment le remplacer dans le coeur des Palestiniens. Pourra-t-il, au moins, lui succéder à la tête des institutions palestiniennes ? Là aussi, sa tâche sera difficile. Car il devra s’en acquitter dans un contexte peu favorable, marqué par le blocage du processus de paix, l’occupation israélienne, la poursuite des violences entre l’armée israélienne et les extrémistes palestiniens, sans parler des divergences interpalestiniennes, jusque-là contenues, mais qui peuvent, à tout moment, dégénérer en accrochages et règlements de comptes.
Promu chef de l’OLP et candidat unique du Fatah à la présidence de l’AP, après le retrait de son principal rival, Marwane Barghouti, accepté – mais non franchement soutenu – par la plupart des mouvements palestiniens, dont les plus radicaux, comme les Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, groupe armé lié au Fatah, Abbas est (presque) assuré de remporter l’élection présidentielle du 9 janvier. Les six autres candidats, qui sont, pour la plupart, peu connus de leurs compatriotes, ne risquent pas de lui barrer la route de Ramallah.
Cette succession prévisible dépendra cependant de plusieurs paramètres, dont la disposition des Israéliens à redéployer leurs troupes hors des villes de Cisjordanie et de Gaza, afin de permettre aux Palestiniens de prendre le contrôle de la situation sécuritaire dans leurs territoires, et à coordonner avec ces derniers l’organisation du scrutin, notamment pour les électeurs habitant à Jérusalem-Est, conquise et annexée en 1967 par Israël. Les dirigeants de l’État hébreu n’ont pas été avares, ces dernières semaines, de déclarations de bonnes intentions, mais un attentat pourrait, à tout moment, tout remettre en question.
Le succès d’Abbas dépendra aussi, par conséquent, de sa capacité à convaincre les groupes radicaux palestiniens, qui se considèrent en lutte contre les troupes d’occupation israéliennes, d’observer une trêve dans leurs attentats ou un cessez-le-feu provisoire, afin de favoriser une transition paisible, en contrepartie de leur participation aux structures du pouvoir post-Arafat.
Pour être sorti indemne d’une fusillade déclenchée par des activistes hostiles à sa candidature, le 14 novembre dernier, à Gaza, Abbas est conscient des défis qui l’attendent. Il va donc continuer à avancer sur le fil du rasoir, entre les revendications de ses compatriotes, dont les conditions de vie sous occupation sont devenues insupportables, et les contraintes imposées par Tsahal, sans parler des « pressions amicales » des parrains du processus de paix. De cet exercice d’équilibrisme, où il a souvent excellé, dépend l’avenir des institutions palestiniennes. Mais aussi le sien…
Né en 1935 à Safed, en Galilée, Abbas a fui en Syrie avec sa famille lors de la création d’Israël, en 1948. Il a fait ses études à Damas, puis au Collège oriental, à Moscou, où il a soutenu une thèse de doctorat sur le mouvement sioniste, avant de cofonder le Fatah avec Arafat et d’intégrer, à partir de 1980, le comité exécutif de l’OLP. Homme d’appareil et de dossiers, il ne manque cependant pas de flair et de courage politiques. Il fut ainsi l’un des premiers responsables de l’OLP à prôner le dialogue avec l’État hébreu, engageant même, dès 1977, des contacts directs avec des responsables israéliens. C’est tout naturellement qu’il a été pressenti pour faire partie du groupe de négociateurs de paix avec Israël et cosigner, à Washington, en septembre 1993, avec Shimon Pérès, les accords conclus secrètement les mois précédents à Oslo.
Rentré en Palestine en juillet 1995, Abbas a été élu, un an plus tard, secrétaire général de l’OLP. En 2002, il n’a pas hésité à réclamer la fin des attentats en Israël et à afficher son désaccord avec le raïs au sujet de la poursuite de l’Intifada d’Al-Aqsa. Cela ne l’a pas empêché d’être élu, le 29 avril 2003, au poste (alors nouvellement créé) de Premier ministre par le Conseil législatif palestinien (Parlement). N’ayant pu mettre en route sa propre politique – Arafat ayant refusé de lui conférer des pouvoirs essentiels, notamment le contrôle des services de sécurité -, il a fini par démissionner, le 7 septembre 2003. Moins charismatique qu’Arafat et moins populaire que Barghouti, le candidat du Fatah et probable futur président de l’AP ne manque pourtant pas d’atouts.
Dirigeant modéré et pragmatique, Abbas peut compter sur un engagement, à ses côtés, des États-Unis, qui s’inquiètent de la montée des mouvements islamistes dans les territoires palestiniens et voudraient donner un coup de pouce aux modérés, dont il reste le chef de file incontesté. Le président Bush, qui avait déclaré, après sa réélection, début novembre, qu’il entendait utiliser le prestige des États-Unis pour qu’un État palestinien viable voie le jour avant la fin de son second mandat, en 2009, trouvera-t-il meilleur interlocuteur, côté palestinien, que cet homme qu’il avait lui-même soutenu durant les quelques mois où il avait assumé les charges de Premier ministre ?
Abbas peut compter aussi sur l’appui de l’Union européenne qui ne cesse de militer – c’est le mot – en faveur de la reprise des négociations de paix, et particulièrement sur l’engagement personnel du Premier ministre britannique Tony Blair. Ce dernier, qui doit faire face dans son pays aux retombées de la guerre d’Irak, veut montrer que sa priorité va désormais à la recherche de la paix au Proche-Orient. Sa visite, les 22 et 23 décembre en Israël et en Cisjordanie, où il s’est entretenu respectivement avec Sharon et Abbas, entre dans le cadre de la préparation de la conférence internationale sur le Proche-Orient qu’il se promet d’organiser à Londres, probablement en février prochain.
Pour gagner la confiance des États arabes ayant une certaine influence sur la scène palestinienne, Abbas a entrepris une grande tournée dans la région, qui a débuté au Caire, fin novembre, et s’est poursuivie, au cours de la première moitié de décembre, en Syrie, au Liban, en Jordanie, au Koweït, en Arabie saoudite et au Qatar. À Damas, le successeur putatif d’Arafat a rencontré discrètement les leaders des organisations radicales palestiniennes, qu’il a exhortés à observer une trêve avec Israël, essentielle à la reprise des négociations de paix. Premier responsable palestinien de haut niveau à se rendre à Koweït-City depuis l’invasion de l’émirat par l’Irak en 1990, Abbas a tenu, au nom des Palestiniens, à présenter ses excuses « au Koweït et aux Koweïtiens pour ce que nous avons fait », allusion au soutien accordé par l’OLP à Bagdad durant la seconde guerre du Golfe. À Riyad et dans les autres capitales du Golfe, le chef de l’OLP a demandé une aide financière pour la reconstruction des infrastructures palestiniennes détruites par Tsahal.
Un autre facteur plaide en faveur du succès du nouveau numéro un palestinien : il existe aujourd’hui un accord tacite interpalestinien sur le principe d’un « partenariat politique » entre modérés et radicaux en vue de préserver l’unité nationale autour des institutions de l’AP. Une fois élu, Abbas devra cependant faire preuve d’imagination pour mettre au point les mécanismes d’un tel « partenariat ». Car promettre aux islamistes du Hamas et du Djihad islamique, entre autres groupes extrémistes, une place dans la Palestine post-Arafat est une chose, et mettre cette promesse en application en est une autre. Israéliens et Américains s’y opposeraient fermement.
Négociateur habile et patient, Abbas devra donc utiliser ses dons d’équilibriste pour éviter de mécontenter les uns ou les autres. Sa marge de manoeuvre n’en sera que plus réduite. Déjà, des voix s’élèvent en Israël pour l’accuser de marcher sur les pas d’Arafat, tandis que ses appels incessants à la démilitarisation de l’Intifada sont rejetés par les groupes radicaux palestiniens, qui refusent de déposer les armes.
Pour lui comme pour la cause palestinienne, dont il est désormais le symbole et le moteur, l’année 2005 sera donc décisive. Tout peut arriver. Le meilleur, c’est-à-dire la reprise des négociations de paix sur la base de la « feuille de route » avec, à la clé, un État palestinien à l’orée de 2009. Et le pire : la poursuite de la guerre larvée israélo-palestinienne, voire le déclenchement de conflits interpalestiniens.

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