Lionel Jospin

Plus de deux ans après son échec à la présidentielle de 2002, l’ex-premier ministre français pourrait faire son grand retour.

Publié le 24 décembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Etre ou ne pas être est, paraît-il, une des questions essentielles que se pose l’humanité. Être sans trop paraître sera encore en 2005 la stratégie de Lionel Jospin. Car cet homme, qui fut le dernier chef de gouvernement socialiste, n’a renoncé en rien, quoi que disent certains. Et il se pourrait fort bien qu’en 2007 il soit encore candidat à l’élection présidentielle française. Ce serait sa troisième tentative. La première fois, en 1995, il réussit une performance honorable face au vainqueur, Jacques Chirac. La deuxième, en 2002, constitua, en revanche, une défaite cinglante. Non seulement il perdit, mais il ne parvint même pas à être présent au second tour, devant laisser la place à l’extrémiste de droite Jean-Marie Le Pen pour un hallucinant face-à-face avec le président sortant Chirac.
Au fond, Lionel Jospin, plus de deux ans plus tard, n’a toujours pas totalement tiré les conséquences de son échec. Il reste convaincu que celui-ci est davantage affaire de circonstances, telle la présence de nombreux candidats de gauche, que le désaveu de ses propositions. Comme il l’avait fait durant la campagne présidentielle, il défend absolument son bilan de Premier ministre. Il juge que les Français lui rendront un jour hommage et sauront reconnaître le bien-fondé de ses principales réformes comme les 35 heures, la mise en place du Pacs (Pacte civil de solidarité), et l’instauration de la parité dans la vie publique.
Il est vrai que les chances de Jospin ne sont pas négligeables si l’on en juge d’après les sondages. Pour les sympathisants socialistes, il reste la personnalité de gauche la plus apte à battre la droite et la plus à même de représenter la gauche. Soixante et un pour cent le considèrent comme un excellent ou un bon candidat (sondage Ipsos-Le Figaro), tandis qu’une autre enquête (BVA-Libération) le préfère, comme postulant à l’Élysée, aux autres ténors du PS. « Si lui n’est pas candidat, nous n’avons aucune chance », tranche son ami Claude Allègre.
Aujourd’hui, le voilà donc considéré comme un recours, ce qui ne lui déplaît pas. Pour en arriver à cette situation de fantôme omniprésent dans les esprits, il a suivi une tactique soigneusement organisée. L’a-t-il vraiment décidée ? S’est-elle imposée au fil du temps ? En tout cas, son état d’esprit a beaucoup évolué. Au soir de sa défaite, blessé, vexé, il annonce qu’il « se retire de la vie politique ». Plus tard, il convient qu’il demeurera un militant. Ensuite, il décide d’apparaître. Il soutient des candidats à diverses élections. Il se rend au congrès socialiste de La Rochelle assurant, faisant allusion à sa maison de l’île de Ré : « J’étais trop près pour rester loin. » Quand il estime nécessaire de remettre de l’ordre dans la boutique socialiste, quand il juge qu’il peut être « utile », un de ses mots clés, il intervient sur des sujets divers – la politique du gouvernement, le mariage homosexuel, la Constitution européenne. Même la forme traduit l’inflexion qu’il donne à sa présence, de plus en plus active. Il se contente, d’abord, de publier des textes dans des journaux. Puis il accepte qu’un de ses propos publics soit diffusé en direct sur Internet, mais refuse que la presse soit physiquement présente. Puis il fait distribuer son discours à l’occasion d’un meeting où les journalistes sont présents. Aujourd’hui, il avoue reprendre du « plaisir » en politique, notation importante dans sa psychologie. « Le plaisir, vient-il de déclarer, c’est la clé d’explication de mon comportement au cours de ces derniers mois. » Et encore : « Je suis guidé par le plaisir de rester un socialiste fidèle à son parti et qui veut l’aider quand il pense que c’est utile. » Sans doute se refuse-t-il toujours à annoncer son retour. Sans doute reste-t-il encore facilement irritable, volontiers distant, cassant, presque hautain, vis-à-vis des reporters, dont la tâche est de suivre ses activités. Mais il accepte maintenant de leur parler, et il fait preuve de davantage de gentillesse. « Au fond, il est le meilleur candidat possible et il le sait, dit un de ses proches. Mais il entend se placer au-dessus de la mêlée et tracer les lignes qui doivent guider l’action des socialistes. Le temps de son retour n’est pas encore venu. Mais, pour nous, c’est un garant. »
Au PS, ce ne sont pourtant pas les autres candidats qui manquent. Laurent Fabius, en dépit de son échec au référendum interne des socialistes sur la Constitution européenne, ne démord pas de son objectif : être candidat à l’élection présidentielle. Il estime qu’un « non » au référendum national proposé par Jacques Chirac le remettrait en selle. De toutes les façons, il considère correspondre à une attente de l’électorat et il entend continuer à se « gauchir » afin de se débarrasser de l’image de Giscard de gauche, voire de Juppé de gauche, qui lui est encore fréquemment associée. Dominique Strauss-Kahn, qui s’est moins dévoilé, et Ségolène Royal, ambitieuse, travailleuse, populaire, comptent également parmi les prétendants, la seconde pouvant espérer que son sexe soit un avantage si les socialistes étaient enclins à proposer une candidature surprenante. Encore ne faut-il pas oublier François Hollande, compagnon de Ségolène Royal, qui vient d’entrer dans la cour des grands et qu’un hebdomadaire, Le Point, qualifie d’homme de l’année. Le chef du PS,c’est surtout l’homme qui a su maintenir l’unité du parti tout en triomphant dans la bataille du référendum socialiste et gagner les trois élections – les cantonales, les régionales et les européennes – qui ont ponctué la vie politique française en 2004. Courtois mais ferme, stratège et rassembleur, habile sans être pour autant adepte du compromis à tout prix, diplomate sans mollesse, il a avoué, il y a quelque temps, de plus hautes ambitions. Ce jour-là, celui que Laurent Fabius surnomma un temps « Fraise des bois » pour souligner que l’homme n’avait guère de stature confia, sous forme de boutade, qu’il lui faudrait passer « à l’étage supérieur » et qu’« être premier secrétaire n’interdit rien ». Il ne se déclara pas, bien évidemment, mais il accrédita, par petites touches, l’idée qu’il pouvait être désigné par les militants comme l’homme capable de les représenter dans l’élection présidentielle. En fait, son désir est bien plus fort qu’il ne l’avoue, son ambition plus accrochée qu’il ne le prétend.
Lionel Jospin feint de ne pas s’inquiéter de ces activismes, jugeant que chacun de ses camarades – de ses rivaux ? – a un défaut dans sa cuirasse. Du dernier, dangereux ne serait-ce que parce qu’il contrôle le parti, il rappelle volontiers que celui-ci lui doit sa carrière : Hollande est en effet un « bébé Jospin ». Jospin en est persuadé : Hollande ne lui « manquera » pas. D’autant que certains jospiniens soulignent que les succès du premier secrétaire du PS ne lui ont toujours pas permis d’acquérir une stature présidentielle. Hollande reste considéré, chez une majorité de sympathisants socialistes, comme un candidat moyen ou mauvais ; il se situe derrière des hommes comme Jospin, Lang et Strauss-Kahn. Bref, c’est un bon organisateur mais qui doit encore gagner ses galons d’homme d’État. Voilà ce qu’on entend dans la « jospinie ». Ce que l’ancien Premier ministre ne dit pas non plus, tout en en étant convaincu, c’est qu’il conserve un grand ascendant sur François Hollande.
Pourtant, beaucoup de responsables socialistes affectent de ne pas croire au retour de Jospin. Ils estiment que ses bons scores dans les sondages s’expliquent davantage par sa notoriété que par une réelle envie de le voir figurer dans la course présidentielle. En même temps, hypocrites, ils se félicitent qu’il soit présent dans le débat, ils jurent que son apport est essentiel. En fait, aucun n’en veut et leur intérêt est de le banaliser. Aussi se gardent-ils bien, par exemple, de commenter les interventions de Jospin. D’autant que sa présence les empêche d’user d’un droit d’inventaire de son action à la tête du gouvernement et de tirer les véritables leçons de la défaite de 2002. Aussi restent-ils prudents. C’est que les éléphants ont de la mémoire et ne s’aventurent pas à la légère. Surtout par rapport à un homme, véritable épée de Damoclès sur leur tête, qui reste aux aguets et, à l’évidence, pose ses jalons, qui n’annonce jamais son retour mais assure à des militants : « Être élu signifie témoigner, agir, construire. Quand on est ainsi, on a pour objectif de reconquérir. » C’est dire que Jospin va encore hanter l’année 2005.

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