Tunisie : le ras-le-bol des parents d’élèves face aux grèves à répétition des enseignants
Depuis le début de semaine, les enseignants du secondaire boycottent les examens. Une situation devenue intenable, alors que le conflit entre le gouvernement et la fédération syndicale des enseignants du secondaire – affiliée à l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) – se prolonge depuis la révolution de 2011.
Depuis lundi 3 décembre, les enseignants tunisiens bloquent les examens. Résultat : selon le ministère de l’Éducation, seuls 9 700 examens sur 33 900 programmés ont pu se tenir. Un boycott qui a poussé les élèves eux-mêmes à manifester contre le comportement de leurs professeurs. À Nabeul, Sousse ou encore Kairouan, certaines protestations ont dégénéré. Des élèves en colère ont vandalisé les établissements, avant d’être stoppés par la police.
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La mobilisation date de l’année passée. Les enseignants avaient alors décidé non pas d’empêcher la tenue des examens, mais de ne pas remettre les notes du premier semestre. La protestation s’était par la suite intensifiée. Plusieurs grèves ponctuelles avaient été organisées par le syndicat de tutelle, toutes suivies massivement par les enseignants. Une grève ouverte avait notamment été déclarée à partir du 17 avril 2018, entraînant l’intervention du Premier ministre Youssef Chahed. Depuis, des négociations sont en cours, mais leur avancée est jugée insatisfaisante par la fédération syndicale des enseignants du secondaire.
Primes et revalorisations salariales
« Nous avons épuisé toutes les formes classiques de militantisme, et nous sommes obligés d’engager cette escalade face aux tergiversations du ministère », a déclaré mardi 4 décembre Lassaad Yacoubi, secrétaire général de la fédération des enseignants du secondaire affiliée à l’UGTT, lors d’une confrontation télévisée avec le chef de cabinet du ministre de l’Éducation, Mohamed Ben Ali Oueslati.
Les revendications, elles, sont toujours les mêmes depuis l’année dernière. Les enseignants demandent une revalorisation de leurs salaires et l’octroi de diverses allocations, notamment la prime de rentrée scolaire, qu’ils veulent faire passer de 360 dinars (107 euros) à 540 dinars (160 euros). Ils réclament également la rénovation des établissements scolaires, décrits comme « insalubres » par le secrétaire général, et l’augmentation des moyens mis à disposition des enseignants.
Les professeurs souhaitent aussi que l’enseignement soit érigé au rang de métier pénible. Une mesure prévue dans l’accord d’octobre 2011 entre le ministère et le syndicat, qui leur permettrait de prendre leur retraite à 55 ans (au lieu de 60 actuellement). En cas de refus, ils demandent à ne pas être touchés par la prorogation de l’âge de départ à la retraite, censé passer à 62 ans dans la fonction publique en 2020.
En face, le ministère de l’Éducation dénonce des revendications surréalistes et principalement pécuniaires
En face, le ministère de l’Éducation dénonce des revendications surréalistes et principalement pécuniaires. Interviewé sur Mosaïque FM, mardi 4 décembre 2018, le ministre Hatem Ben Salem a concédé qu’il n’était « pas satisfait des salaires des enseignants » – qu’il aimerait doubler ou tripler – , mais que la situation financière de la Tunisie ne permet pas de telles augmentations.
La hausse de la prime spécifique doit, si elle est adoptée, concerner l’ensemble du secteur public, et coûtera à l’État 285 milliards de dinars. Le ministère de l’Éducation a notamment critiqué les méthodes du syndicat. « Aujourd’hui, nous avons un calendrier fixe, qui doit être respecté par tout le monde. Cela dit, il est inadmissible d’impliquer les élèves dans ce conflit », a ainsi déclaré le chef de cabinet du ministre.
Le spectre d’une année blanche
Un nouvel acteur s’organise pour s’opposer aux méthodes des grévistes : les parents d’élèves. Deux groupes Facebook fermés ont récemment vu le jour : « Parents en colère » (474 membres), et « Tous ensemble pour nos enfants (622) – Le groupe des parents d’élèves ».
Kais Ben Salah, le membre fondateur du second, souhaite lancer une nouvelle dynamique et associer les parents au processus décisionnel. « Nous en avons assez de voir nos enfants pris en otage par le syndicat. Les élèves sont devenus une monnaie d’échange entre les enseignants et le gouvernement », explique ce père de famille. « Qu’ils occupent les locaux des administrations, qu’ils manifestent, qu’ils fassent des sit-ins devant le ministère de tutelle ou des Finances ! Il existe tout un tas d’autres moyens d’action, mais qu’ils laissent les élèves en paix », s’emporte-t-il.
L’année dernière, des manifestations de parents d’élèves avaient déjà eu lieu. Une première en Tunisie, où les associations qui les regroupent restent très rares. C’est pour palier ce vide que certains parents cherchent à s’organiser et à s’imposer dans ce bras de fer entre gouvernement et syndicats. « Nous allons commencer par lutter pour le passage des examens, puis nous nous attaquerons à d’autres problèmes structurels du système éducatif tunisien », avance le membre fondateur.
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Ce que dénoncent ces groupes de parents, c’est avant tout l’incertitude constante concernant le calendrier scolaire. Les élèves ignorent pour le moment à quelles dates et dans quelles conditions pourront se tenir leurs examens. La menace d’une année blanche, qui n’a pas été exclue par le syndicat, est toujours présente.
« Certains disent que les examens vont se tenir la semaine prochaine, d’autres pendant les vacances. Ma fille est totalement déstabilisée, elle ne parvient plus à étudier », confie à Jeune Afrique Kais Ben Salah. « Ces grèves à répétition ont un impact réel. Les enfants qui ont passé le bac avant la révolution, ils en voulaient, ils s’accrochaient. Ceux qui le passent aujourd’hui, ils en ont marre, ils sont dégoûtés. (…) Le rapport de confiance et de respect entre élèves et enseignants est en train de se briser. »
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