Justice transitionnelle en Tunisie : qui financera l’indemnisation des 10 000 victimes identifiées ?

L’Instance vérité et dignité (IVD) a publié fin novembre une décision-cadre portant sur les critères de réparation et de réhabilitation des victimes des violations des différents régimes qui se sont succédé de 1956 à 2013. Si cette mesure concerne 10 000 bénéficiaires, son financement fait débat.

Audience publique de l’Instance vérité et dignité à Tunis, le 14 janvier 2017. © Capture d’écran/Instance Vérité Dignité/YouTube

Audience publique de l’Instance vérité et dignité à Tunis, le 14 janvier 2017. © Capture d’écran/Instance Vérité Dignité/YouTube

Publié le 6 décembre 2018 Lecture : 2 minutes.

L’Instance vérité et dignité (IVD) presse le pas, car sa mission prend fin le 31 décembre. Mais avant de communiquer son rapport final, elle a publié fin novembre une décision-cadre portant sur les critères de réparation et de réhabilitation des victimes des violations commises par les différents régimes qui se sont succédé de 1956 à 2013. Un document qui identifie les bénéficiaires, soit 10 000 personnes, selon la présidente de l’Instance Sihem Ben Sedrine, et fixe les barèmes pour leur indemnisation par le biais du Fonds El Karama (dignité en arabe).

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10 millions de dinars à trouver

La gestion de ce fonds spécial, créé dans le cadre de la loi de finances 2014, est confiée à une commission sous tutelle de la présidence du gouvernement. À sa création, Ennahdha avait assuré qu’il serait approvisionné par des dons. Quatre ans plus tard, il s’avère qu’il est alimenté par une contribution des finances publiques, et qu’il devra débloquer en premier lieu près de dix millions de dinars (3 millions d’euros) en faveur des victimes. Un montant inscrit au projet de loi de finances 2019, mais dont l’État ne dispose pas et qui mettrait encore plus à mal le déficit public.

Certains prisonniers politiques amnistiés en 2011 ont perçu 24 millions de dinars de dédommagements

Néanmoins, pour les islamistes, c’est une affaire de principe, alors que les anciens opposants de gauche – dont Hamma Hammami – ont renoncé à tout dédommagement, arguant qu’ils n’entendaient pas monnayer leur militantisme. La situation autour des indemnisations demeure ambiguë, dans la mesure où certains prisonniers politiques bénéficiaires de l’amnistie générale de 2011 pour la plupart des islamistes – ont perçu des dédommagements à hauteur de 24 millions de dinars et ont été réhabilités. Mais selon la loi, la justice transitionnelle, en tant que procédure exceptionnelle, est libre de ses décisions et ne prend pas en compte la chose jugée.

Suspension des budgets jusqu’en 2021

À quelques mois des élections législatives de 2019, Ennahdha, qui a perdu une partie de son électorat comme beaucoup de formations politiques, cherche à retrouver son audience. Les indemnisations sont une opportunité pour le parti de renouer avec ses bases. Avec l’appui du Bloc démocratique, il a remporté le premier tour de la première « bataille du Fonds El Karama » : la commission des Finances de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a en effet rejeté les propositions de suppression du fonds, tout en suspendant les budgets qui lui sont alloués jusqu’en 2021. Deux revendications des groupes parlementaires Nidaa Tounes, de la Coalition nationale et Al Horra.

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Mongi Harbaoui, député de Nidaa Tounes, a estimé jeudi 6 décembre sur les ondes de Shems FM qu’il « serait plus judicieux d’investir ces sommes au profit de familles nécessiteuses et de régions démunies ». Mais Nidaa a décidé de ne pas s’en tenir au vote de la commission des finances, et compte faire invalider cette décision par le tribunal administratif.

Le sujet des indemnisations est source de polémiques depuis plusieurs mois. Mabrouk Korchid, ancien ministre des Domaines de l’État et des Affaires foncières, avait, avant de quitter son poste, refusé le principe d’indemnisations puisées dans les caisses de l’État – et qui auraient concerné non pas 10 000, mais 62 000 personnes.

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