Le pilote et le cadavre

En décembre 1981, un mystérieux correspondant raconte anonymement à l’historien Alain Decaux sa participation à l’escamotage de la dépouille de l’opposant marocain enlevé en 1965, à Paris. Oublié depuis dans un tiroir, ce document capital est ici publié p

Publié le 24 décembre 2004 Lecture : 2 minutes.

Depuis le premier jour, on sait beaucoup de choses sur l’affaire Ben Barka. Date et lieu de l’enlèvement : le 29 octobre, vers 12 h 30, devant la brasserie Lipp à Saint-Germain-des-Prés, en plein coeur de Paris. Les auteurs du forfait : des policiers français flanqués de truands dirigés par un honorable correspondant des services spéciaux français, tous dûment identifiés. Les seconds rôles qui ont entraîné le leader de la gauche marocaine dans le piège, et notamment ce personnage interlope, mi-agent mi-voyou, dénommé Georges Figon, bien connu des services français, qui devaient tout savoir sur son « suicide à bout portant » (Le Canard enchaîné), le 17 janvier 1966. La destination de la voiture dans laquelle Mehdi Ben Barka est embarqué n’est pas non plus mystérieuse : la villa de Georges Boucheseiche à Fontenay-le-Vicomte, dans l’Essonne.
On sait encore quels sont, côté marocain, les principaux protagonistes de l’affaire : le général Mohamed Oufkir, ministre de l’Intérieur, et le commandant Ahmed Dlimi, patron de la police. Tous deux ont été prévenus, le premier à Fès et le second à Alger, par Antoine Lopez, après que Ben Barka a été « livré » à la villa Boucheseiche. Le lendemain, samedi 30 octobre, ils gagnent l’un après l’autre Paris et sont conduits par Lopez chez le chef des truands.
À partir de là, on ne sait plus grand-chose de science sûre. Mehdi Ben Barka, qui avait 45 ans au moment de sa disparition, est probablement mort, mais dans quelles circonstances ? En l’absence de cadavre, l’affaire Ben Barka, d’abord transparente ou peu s’en faut, tourne au crime parfait.
Or voici que, pour la première fois, un récit évoque ce qui advint de la dépouille de Mehdi Ben Barka. Il ne concerne qu’un épisode bien délimité dans le temps et l’espace. Son auteur est anonyme, ce qui, paradoxalement, renforce sa crédibilité. J’y reviendrai.
Le récit date de décembre 1981. Il a été provoqué par une émission de télévision intitulée Qui a tué Ben Barka ? diffusée le 12 novembre précédent, dans le cadre de la série « L’Histoire en question », d’Alain Decaux. Le récit était destiné au célèbre écrivain, qui sera ministre de la Francophonie dans le gouvernement de Michel Rocard (1988-1991). L’auteur des révélations s’abritait derrière l’anonymat pour ne pas connaître le sort de ceux qui ont été mêlés à l’affaire (« beaucoup sont morts »), tout en souhaitant la divulgation de ses informations (« Je vous donnerai plus de détails et de preuves »). Son voeu n’a malheureusement pas été exaucé. La lettre adressée à Decaux a finalement atterri dans un hebdomadaire parisien de renom. Elle est restée dans un tiroir et n’a jamais été utilisée, sans doute à cause de son caractère anonyme.
Le document qu’on va lire n’est pas difficile d’accès. Il est clair, précis, factuel, circonstancié : toutes ces qualités qu’on exige d’un rapport de police ou de justice.

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