La mort de Boumedienne

Publié le 24 décembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Jeudi 5 octobre 1978. Le vol régulier Alger-Moscou est prévu à 9 h 15. Les rares passagers attendent patiemment dans la salle d’embarquement quand ils voient trois limousines noires s’immobiliser devant la passerelle. L’homme qui prend place dans l’avion n’est autre que Houari Boumedienne, accompagné de Ahmed Taleb Ibrahimi, ministre et médecin. Curieusement, il n’y aura pas de cérémonie officielle pour saluer le départ du raïs. Pourquoi tant de secret autour d’un voyage présidentiel ?

Depuis son retour le 24 septembre de Syrie, où il assistait à une réunion de chefs d’État arabes, Boumedienne se plaint de maux de tête continus. La douleur est si forte que ses audiences sont limitées. Des dirigeants étrangers débarquent à Alger sans pouvoir le rencontrer. C’est le cas du vice-président du Vietnam Nguyên Huu Tho, ami de longue date du président. L’incident intrigue. Le raïs serait-il dans l’incapacité de gouverner ? Les rumeurs commencent à se répandre.
Boumedienne aurait été victime d’un empoisonnement lors de son séjour en Syrie. Le Mossad l’aurait contaminé avec le flash d’un appareil photo. L’hebdomadaire britannique Sunday Express, citant une source française, affirme qu’il a été déposé par de jeunes officiers. Boumedienne est malade, tout simplement. Les médecins détectent une hématurie, caractérisée par des traces de sang dans les urines. Malgré les soins, le mal persiste. Dès lors, on décide de l’évacuer sur Moscou. Pourquoi l’Union soviétique et non la France ou la Suisse ? Parce que les amis russes cultivent la discrétion. Le jeudi 5 octobre, Boumedienne s’envole donc vers Moscou. Son dernier voyage.
Là, le président est pris en charge par les meilleurs spécialistes, qui évoquent la maladie de Waldenström, une infection rare du sang découverte par un chercheur suédois qui lui a donné son nom. La dernière semaine du mois d’octobre, le secret est défloré : Boumedienne est officiellement malade. À Bagdad, le ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Bouteflika, l’admet, quoique en termes diplomatiques : « Le président a éprouvé le besoin de prendre du repos, car il était complètement exténué », affirme-t-il. En URSS ? Drôle d’endroit pour prendre des vacances ! Personne n’est dupe. Les diplomates à Bagdad savent que Boumedienne est souffrant. Le 14 novembre, le quotidien El-Moudjahid annonce en une : « Le président est de retour à Alger. » Affaibli et amaigri, Boumedienne est contraint au repos. Le samedi 18 novembre, il plonge dans le coma. Du coup, l’hôpital Mustapha d’Alger est transformé en bunker alors qu’une gigantesque opération médicale internationale est mise en place. Les sommités de la médecine mondiale se rendent au chevet de l’illustre malade.
Non loin de la grande salle où se retrouvent les médecins se tiennent d’autres réunions, plus secrètes, mais tout aussi décisives. Les membres du Conseil de la révolution, instance mise en place par Boumedienne au lendemain du coup d’État contre Ben Bella en juin 1965, se concertent. Il y a là Chadli Bendjedid, commandant de la région militaire d’Oranie ; Abdellah Belhouchat, chef de la première région militaire de Blida et coordinateur du ministère de la Défense ; Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères ; et Ahmed Bencherif, ancien patron de la gendarmerie. Tous des prétendants à la succession.

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Le vendredi 24 novembre, petite lueur d’espoir : le raïs émerge du coma. Il faut tout tenter pour le sauver. Quelqu’un suggère le nom de Jan Gosta Waldenström, médecin chef de l’hôpital de Malmö. Son diagnostic ne tardera pas : les chances de Boumedienne sont infimes. Mais, comme il l’avouera à un journaliste de Paris Match, « les choses peuvent tourner. La vie n’a peut-être pas encore dit son dernier mot ». Cependant, à Bouteflika, Waldenström tient le langage de la franchise : « Il n’y a rien à faire. »
Le 28 novembre, Boumedienne sombre à nouveau dans le coma. Un journaliste de Jeune Afrique écrira : « Durant quarante-huit heures, les praticiens croient encore à une possible récupération. Mais, à peine entrouvertes, les portes de l’espoir se sont refermées. » Mercredi 27 décembre 1978, Houari Boumedienne décède à 3 h 55 du matin. Il avait 46 ans. Les Algériens sont sous le choc. Ils seront des milliers à assister à son enterrement le vendredi 29 décembre, au cimetière d’Elia, près d’Alger. Habillé d’un manteau noir, Abdelaziz Bouteflika prononce l’oraison funèbre. Un signe que la succession est réglée à son profit ? Contre toute attente, Bouteflika sera disqualifié de la course à la présidence. Les militaires ont préféré Chadli Bendjedid.

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