Françoise Verny

L’éditrice française est décédée le 13 décembre à Paris

Publié le 3 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

« J’ai un côté orgiaque, je l’avoue. J’ai usé et abusé des autres, de l’alcool et des cigarettes. Mais quand j’ai eu des ennuis de santé, je n’ai pas eu le sentiment de payer la note, je l’ai vécu comme une effroyable injustice. J’aurais préféré un vrai coma éthylique et la mort enfin. C’est ma seule angoisse : je veux crever proprement », confiait l’éditrice Françoise Verny à L’Événement du jeudi, en 1998. La grande prêtresse de l’édition ne taquinera plus le goulot de sa bouteille de whisky : elle est morte le 13 décembre dans un hôpital parisien. Elle venait d’avoir 76 ans.
« Papesse », « ogresse », « mamma », « bulldozer », « aimant à auteurs », Françoise Verny méritait tous ses surnoms. Aimée des uns, détestée des autres, elle était devenue une star dans un métier où, souvent, les meilleurs restent dissimulés dans l’ombre des manuscrits qu’ils reçoivent, lisent, annotent, corrigent, acceptent, refusent, jettent en pâture au public avec l’espoir de dénicher la perle rare qui donnera naissance à un best-seller et/ou marquera l’histoire de la littérature. Sa renommée, Françoise Verny la doit aux talents qu’elle a accompagnés. D’une certaine manière, les « nouveaux philosophes » (Bernard-Henri Lévy, André Glucksman…) et les romanciers Lucien Bodard, Françoise Mallet-Joris, Alexandre Jardin, Cyril Collard, etc., ont émergé grâce à sa capacité de flairer « l’air du temps ». Pourtant, jeune fille, elle rêvait seulement d’être comédienne.

Née le 20 novembre 1928 à Neuilly-sur-Seine de parents médecins, Françoise Delthil éprouve tôt un vif appétit intellectuel doublé d’un besoin d’action. Engagée à 15 ans dans les rangs du Parti communiste français elle a menti sur son âge et distribue L’Humanité à la sortie du métro Villiers , elle fait ses études au lycée Jules-Ferry de
la place Clichy. Fervente catholique fascinée par la Résistance, elle épouse l’ancien
résistant et déporté Charles Verny avec qui elle rejoint l’Algérie en 1954, quand la
guerre commence.
De retour en France, elle rencontre le philosophe Gaston Bachelard, qui préside alors le jury d’entrée à l’École normale supérieure de Sèvres. Mais une fois l’agrégation en poche, elle tourne le dos à l’enseignement. Elle lui préfère le journalisme, d’abord aux Informations catholiques internationales, puis à L’Écho de la mode. En 1961, après un passage éclair à L’Express où elle occupe un temps le poste laissé vacant par Françoise Giroud, elle prend la direction de la rédaction du Nouveau Candide.
Physique imposant et ingrat, cheveux noirs peu soignés, ton péremptoire mais esprit ouvert, Françoise Verny rencontre son destin en 1964. Elle propose une collection littéraire aux éditions Grasset, « Les aventuriers de Dieu ». Refus de l’éditeur de la rue des Saints-Pères, qui l’engage néanmoins comme directrice littéraire. L’aventure dure dix-huit ans, entre auteurs populaires (Linda de Souza et sa fameuse Valise en carton) et philosophes médiatiques.

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En 1982, « la Verny » déménage pour la rue Sébastien-Bottin, siège des éditions Gallimard. Son « poulain » Yann Queffélec, le fils du romancier Henri Queffélec, reçoit le prix Goncourt en 1985 pour Les Noces barbares. Elle décèle « immédiatement ce que les
autres ne veulent pas savoir sur eux-mêmes, détectant sur le champ leurs vulnérabilités, leurs désirs cachés », écrit un autre « pape » de l’édition, Philippe Sollers, en faisant
d’elle un personnage de roman (l’Olga Maillard de Portrait du joueur). Françoise Verny dit ne pas aimer le mot « écurie », mais les auteurs qu’elle chaperonne sont dressés pour le succès. Les autres peuvent avoir droit à un « Chéri, j’vais te dire, tu as une toute toute petite écriture », plus violent qu’un coup de cravache.
En 1986, après avoir échoué à marier Gallimard et Gaumont, nouvelle aventure chez Flammarion comme directrice du développement audiovisuel. La dame s’intéresse aussi à la télévision, pour laquelle elle réalise des émissions et signe des téléfilms. Ses Mémoires, parues en 1990 sous le titre Le Plus Beau Métier du monde, contribuent à fignoler une légende de matrone tendre portée sur l’autodestruction. « Je suis une mère maquerelle qui lit la Bible », disait-elle. La Bible, elle faisait plus que la lire. Sa foi s’exprimait dans des livres de confession parfois impudiques comme Dieu existe, je l’ai toujours trahi ou Pourquoi m’as-tu abandonnée ?
Conseillère pour Grasset et M6, diminuée par la maladie, Françoise Verny a fait une brève apparition en 2001 dans le film de Jean-Luc Godard Éloge de l’amour. Sa voix, usée par plus de cinquante Gitanes par jour, semblait déjà venir d’outre-tombe.

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