Étudiants étrangers en France : « L’augmentation des frais va nous transformer en clandestins »

L’annonce, par le Premier ministre français, de l’augmentation des frais de scolarité pour les étudiants étrangers dès la rentrée 2019, a provoqué un tollé. Outre les primo-arrivants, les élèves extra-communautaires déjà installés sont eux aussi concernés. Entre résistance et envie de partir, ils se confient. Témoignages.

Des étudiants en France (photo d’illustration). © Ludovic Marin/AP/SIPA/2017.

Des étudiants en France (photo d’illustration). © Ludovic Marin/AP/SIPA/2017.

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Publié le 7 décembre 2018 Lecture : 4 minutes.

« L’augmentation de ces frais ne sera imposée qu’aux étudiants qui arrivent en France, et pas à ceux qui y poursuivent déjà leur scolarité. » La déclaration du Premier ministre Édouard Philippe, mercredi 21 novembre devant l’Assemblée nationale française, se voulait rassurante. Pourtant, ce qu’omet de préciser le chef du gouvernement, c’est que, selon les étudiants, ceux déjà installés en France devront bel et bien s’acquitter des nouveaux frais de scolarité lors du passage d’un cycle à un autre (de licence en master ou de master en doctorat).

En effet, les élèves étrangers payaient jusqu’alors les mêmes droits que les Français, soit 170 euros pour une année de formation en licence, 243 euros en master et 380 euros en doctorat. Ce ne sera désormais plus le cas. Dès la rentrée prochaine, ils devront s’acquitter de 2 770 euros en licence et 3 770 euros en master et en doctorat.

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Depuis, les étudiants étrangers et français s’organisent pour bloquer la réforme. Jeune Afrique est allé à leur rencontre, à l’occasion d’un rassemblement de plusieurs centaines d’entre eux devant le siège de Campus France à Paris, jeudi 6 décembre 2018.

« Méconnaissance » du public étudiant

« Mêmes études, mêmes droits ! », lit-on sur la pancarte d’un étudiant. Youcef Fellah, membre du syndicat de l’Union des étudiants algériens de France (UEAF), est à la tête de plusieurs initiatives pour bloquer la réforme – pétition, manifestation, rassemblement… « Cette loi est discriminatoire envers toute une catégorie sociale. Ces augmentations spectaculaires prouvent bien que le Premier ministre méconnaît totalement le public étudiant français. Il parle d’étudiants étrangers majoritairement riches, alors que la plupart sont très fragiles financièrement », commente Youcef.

Selon Campus France, l’accueil des étudiants étrangers coûte chaque année trois milliards d’euros à la France, mais rapporte 4,65 milliards

Cet Algérien de 27 ans, arrivé en France en 2016, critique la stratégie gouvernementale, qu’il juge peu cohérente. Selon Campus France, l’accueil des étudiants étrangers coûte chaque année trois milliards d’euros à la France, mais rapporte aussi 4,65 milliards d’euros. « Alors, faire des économies sur notre dos n’a pas de sens, même pour eux », assène l’étudiant, qui devrait être diplômé en fin d’année d’un master en études juives et hébraïques.

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S’il compte chercher du travail et ne sera pas directement concerné par les augmentations, autour de lui, il affirme que c’est la panique. « Cette réforme va transformer en clandestins les étudiants déjà installés en France et qui n’auront pas les moyens de payer leur deuxième cycle », finit par lâcher le jeune homme.

Partir ou rester ?

Dans un autre groupe, on parle le dialecte tunisien. Certains sont venus ensemble, d’autres se sont rencontrés pendant la marche. Amine et Mohamed sont tous les deux en troisième année de licence. Les deux étudiants devront dès l’année prochaine payer plus cher leur entrée en master.

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Depuis l’annonce, Amine, en licence d’économie et gestion à l’université Paris VIII, étudie toutes les options. « Je n’exclus pas l’idée de rentrer en Tunisie pour mon master, en intégrant Dauphine Tunis [antenne de l’université française éponyme dans la capitale tunisienne]. Les frais d’inscription sont quasiment aussi élevés, mais au moins je pourrais m’assurer une éducation de qualité tout en amortissant le coût de la vie », explique le jeune homme en ajustant ses lunettes carrées.

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Mohamed, arrivé en France depuis seulement trois mois pour terminer son cursus dans l’audiovisuel, ne compte pas faire marche arrière. « J’irais jusqu’à redoubler ma troisième année s’il le faut, le temps de trouver de quoi financer mon deuxième cycle. Si je n’y arrive pas, j’irais en Russie ou en Ukraine », affirme le cameraman en herbe. « Ou au Canada », l’interrompt son ami. « Oui, là-bas les frais de scolarité sont élevés aussi, mais au moins j’aurais bien plus de chances qu’ici de trouver du travail », argumente Mohamed.

Entre optimisme et expectative

Plus loin, deux grandes silhouettes se distinguent dans la foule. Le pas assuré, la regard grave, Alassane, vêtu d’un sweat-shirt bleu, et Kady, parée d’un élégant turban, marchent ensemble contre la hausse des frais de scolarité pour les étrangers. Tous les deux sont des Ivoiriens originaires d’Abidjan.

En dernière année de master, Kady ne sera pas personnellement touchée par la réforme. C’est avant tout pour les autres qu’elle est ici. « On compte sur nous là-bas, explique la jeune femme. Mes petits frères avaient déjà entamé leurs démarches pour s’inscrire à l’université en France. Maintenant, ils attendent à Abidjan que la situation se débloque. Si nous, nous ne parvenons pas à changer la donne, ils vont devoir rester », continue-t-elle.

J’étais choqué. Pour moi, c’est comme si le Premier ministre m’interdisait d’espérer des lendemain meilleurs

Pour Alassane, la question se pose directement. Cet étudiant de 29 ans comptait poursuivre, à la fin de son master, un doctorat en littérature française et francophone à Paris VIII. L’annonce d’Édouard Philippe, il s’en souvient douloureusement. « J’étais choqué. Pour moi, c’est comme si le Premier ministre m’interdisait d’espérer des lendemain meilleurs », témoigne le jeune homme. Pour s’inscrire en doctorat, Alassane devra s’acquitter de 3 770 euros, soit presque dix fois le prix actuel (380 euros). Une fortune pour cet étudiant, qui n’a pu s’installer en France qu’avec l’aide financière de huit membres de sa famille.

« C’est simple, si la réforme passe, je ne pourrais pas continuer mes études. Pour l’instant, je refuse d’y penser. Je reste optimiste », avance-t-il. Avec vingt heures de cours hebdomadaires, l’étudiant affirme ne pas avoir assez de temps pour récolter l’argent nécessaire à son inscription. « Le Premier ministre a justifié ces augmentations par l’amélioration de l’attractivité de la France. S’il veut l’améliorer, il devrait se concentrer sur les conditions d’insertion des étudiants étrangers, plutôt que de chasser les pauvres », conclut le jeune homme, amer.

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