Dans le sillage des Académiciens

Équipe nationale ivoirienne, Beveren en Belgique, Arsenal en Angleterre… Partout où ils évoluent aujourd’hui, les anciens élèves de l’Académie MimoSifcom, créée à Abidjan par Jean-Marc Guillou, font merveille.

Publié le 3 janvier 2005 Lecture : 4 minutes.

Abidjan, le dimanche 5 septembre. Les fans de ballon rond garnissent copieusement les tribunes du vieux stade Houphouët-Boigny. Cet après-midi, les Éléphants ivoiriens affrontent, dans le cadre des éliminatoires du Mondial 2006, le Soudan. Le sélectionneur français Henri Michel, en poste depuis cinq mois, aligne une équipe uniquement composée d’expatriés. À la pointe de l’attaque, une star, Didier Drogba, l’ex-Marseillais et actuel avant-centre du club londonien de Chelsea. Autour de lui, quatre Académiciens : Abib Kolo Touré (Arsenal, Angleterre), Boka (Strasbourg), Gilles Yapi dit « Gyapi » (Nantes) et Aruna Dindane (Anderlecht, Belgique). Drogba, légèrement blessé, quitte le terrain à la pause et cède son poste à un… Académicien, Bakary Koné dit « Baky ». La Côte d’Ivoire écrase son adversaire : 5 à 0 ! Aruna réussit un doublé. Il est la vedette du match qu’il survole de sa classe. Kolo se révèle intraitable en défense. Boka irrésistible sur le flanc gauche. Gyapi confirme ses qualités de playmaker, et Baky, qui rend vingt-six centimètres à Drogba, démontre que le poids et la taille ne brident pas le talent. Auraient pu aussi prendre part au festival offensif des Éléphants au moins cinq autres Académiciens : Didier Zokora « Maestro » (Saint-Étienne), Yaya Touré et Arsène Né (Metalung Donetsk, Ukraine), Marco Né et Badian (Beveren, Belgique).
Les Académiciens, ce sont ces fameux lutins d’Abidjan qui, dans l’après-midi du 7 février 1999, toujours sur la pelouse du stade Houphouët-Boigny, avaient fait merveille : ils avaient donné une leçon de foot à la redoutable équipe de l’Espérance de Tunis (3-1) et remporté haut la main la Supercoupe d’Afrique. Cinq années plus tôt, tous avaient rejoint le centre de formation pour jeunes footballeurs – l’Académie MimoSifcom -, créé en partenariat avec l’Asec Mimosas par l’ancien international français Jean-Marc Guillou.
« Au départ, affirme Guillou, c’était un défi technique soutenu par une réflexion simple : qu’est-ce qui fait qu’un joueur devient bon ? Réponse : il faut qu’il le soit quand il est petit. D’où une première démarche : recruter pour l’Académie des éléments qui, très jeunes, manifestent déjà des dons. Ensuite, pour devenir un bon joueur, il est indispensable de jouer beaucoup. D’où – deuxième principe – la nécessité d’organiser un entraînement ludique qui multiplie les séances, en les entrecoupant de nombreuses pauses. Troisième fondement : bâtir, au niveau de l’encadrement, un environnement sain. Et rassembler les meilleurs éléments sous la direction d’éducateurs confirmés.
« Mon but est de transmettre un double message. Au niveau footballistique, il s’agit de pratiquer un jeu intelligent et cohérent en respectant tout ce qui fait la beauté de notre sport et ses vertus ; au niveau pédagogique, il convient de former des garçons honnêtes, travailleurs, sociables et tolérants. À l’Académie, les règles de vie sont claires : on ne triche pas, on ne ment pas et on ne vole pas. Le défi humain est indispensable pour réussir le défi technique. »
« L’Académie MimoSifcom, reconnaissait en octobre 1999 Me Roger Ouégnin, le président de l’Asec, est un véritable ballon d’oxygène pour le football ivoirien. Elle a démontré qu’avec un travail méthodique et sérieux on peut former une élite africaine capable d’affronter les meilleurs Européens. Elle a déjà fourni une pléthore de jeunes internationaux et permis à l’Asec de se faire connaître partout en Afrique et dans le monde. »
Fin 2001. Guillou et Ouégnin « divorcent ». S’ensuit une impitoyable guerre juridique que les instances de la Fifa trancheront, au plan sportif, en septembre 2003. L’Académie quitte l’Asec. Rebaptisée « Académie Jean-Marc Guillou », elle transite par Bingerville et Bassam avant de s’installer non loin de Jacqueville, sur un nouveau site baptisé « Terre promise ». Jean-Marc Guillou cherche un débouché européen pour ses « enfants ». Il opte pour la Belgique, où le nombre de joueurs extracommunautaires n’est pas limité, et se tourne vers le KSK Beveren. Un club qu’il sauve de la liquidation financière et où il fait signer, dans un premier temps, quatre Académiciens. Ils sont douze aujourd’hui.
À Beveren, Guillou mène une expérience unique en Europe. Son équipe joue avec une moyenne de huit à neuf jeunes Ivoiriens dans une région considérée comme xénophobe. Au début de l’aventure, c’étaient la désaffection et les quolibets au stade Freethiel. Aujourd’hui, à chaque match, plus de cinq mille Flamands accourent. Ils avouent adorer « le beau football » des Académiciens, leur jeu spectaculaire. Ils se déplacent à Bruxelles pour encourager leur équipe, finaliste de la Coupe de Belgique. Et quittent le stade en scandant : « Nous sommes tous noirs à Beveren ! » Le club dispute aujourd’hui la Coupe de l’UEFA, dont il a franchi le premier tour. Le 2 décembre dernier, il s’est incliné à domicile devant le Benfica Lisbonne (0-3).
Mais quel meilleur passeport que le talent ? C’est lui qui a permis à l’artiste du dribble Aruna Dindane de s’imposer à Anderlecht, le richissime club de la banlieue bruxelloise, et d’être élu, en juin dernier, meilleur footballeur professionnel de Belgique. Encore lui qui, en quelques mois, a fait d’Abib Kolo Touré le pilier défensif du prestigieux Arsenal, de Gyapi l’animateur offensif du FC Nantes, de Baky l’artilleur de Lorient, de Yaya Touré le métronome de Metalung Donetsk, et de Kalounho (frère de l’Auxerrois Kalou Bonaventure) le chouchou de l’entraîneur Ruud Gullit à Feyenoord Rotterdam…
Jamais, avant l’éclosion des Académiciens, autant de joueurs professionnels ivoiriens de haut niveau n’avaient foulé les pelouses d’Europe. Jamais sélectionneur des Éléphants n’avait disposé d’un effectif d’une telle richesse. Par vanité, Robert Nouzaret, le prédécesseur d’Henri Michel, n’a pas su en tirer profit. Son actuel successeur semble, lui, conscient de son bonheur, mais tarde à se libérer de certaines influences. Il pourrait regretter sa politique de demi-mesures. Entourer Didier Drogba d’une véritable ossature d’Académiciens (ils parlent, sur le terrain, le même langage), c’est à coup sûr déblayer la route du Mondial 2006. Rater le rendez-vous allemand serait un lamentable gâchis pour le football ivoirien.

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