Chimamanda Ngozi Adichie a le mal du pays

De Nsukka, sa ville natale, jusqu’au Connecticut, où elle vit aujourd’hui, la jeune écrivaine nigériane raconte son histoire et la genèse de son premier roman, l’une des meilleures surprises de 2004.

Publié le 3 janvier 2005 Lecture : 4 minutes.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Chimamanda Ngozi Adichie et Kambili, le personnage de son livre L’Hibiscus pourpre*, n’ont rien de commun (voir J.A.I. n° 2279).
« Kambili et moi sommes vraiment très différentes, reconnaît l’auteur. Elle est timide, solitaire, pleure facilement, alors que moi, à son âge, j’étais un vrai boute-en-train. À l’école, j’étais constamment entourée d’une horde de copines, raconte-t-elle de sa voix étrangement virile. Notre seul point commun, c’est d’avoir toujours été la meilleure élève de la classe. »
On la croit volontiers. Chimamanda, malgré sa petite taille, a une présence incroyablement forte, une assurance qui semble innée. Venue à Paris faire la promotion de son livre, un roman bouleversant sur la fin de l’innocence, la violence domestique, l’intolérance religieuse et l’émancipation, Chimamanda se raconte. La jeune écrivaine, qui a fêté ses 27 ans le 20 septembre, a vécu au Nigeria jusqu’à l’âge de 19 ans. Puis elle s’est installée aux États-Unis.
À Philadelphie, où elle mène des études de philosophie et de communication, la jeune femme consacre ses soirées à faire du baby-sitting pour payer son loyer. Son enfance, elle la décrit aujourd’hui comme heureuse, car, « petit, on ignore qu’on est heureux ».
À cette époque, la vie de Chimamanda tournait autour de l’école, de ses amis et de l’église. Le fait que la pierre angulaire de L’Hibiscus pourpre soit la religion n’est donc pas un hasard. « Je crois profondément en Dieu et, pour moi, la religion doit être au service de choses positives comme l’amour ou la justice. Je n’aime pas qu’on s’en serve pour dire que c’est Dieu qui ordonne aux femmes de se couvrir de la tête aux pieds et autres choses de ce genre. C’est incroyable de voir à quel point la religion peut transformer les gens. Au Nigeria, j’ai vu, comme le père de mon personnage Kambili, des gens devenir très fondamentalistes et faire des choses complètement folles au nom de la religion. »
Fille de professeurs d’université, Chimamanda a grandi sur un campus à Nsukka, la ville de l’État d’Enugu où elle est née, aux côtés de ses trois soeurs et de ses deux frères. « J’étais la cinquième, une position confortable, car l’aîné en Afrique a beaucoup de responsabilités. » Lorsqu’elle ne joue pas au chef de bande – « un tyran gentil », indique-t-elle -, la fillette hante les rayons de la bibliothèque pour enfants de la ville. Des heures durant, elle s’évade dans la lecture et vagabonde en pensée dans les rues londoniennes ou dans la brumeuse campagne anglaise. « Dès que j’ai su lire et jusqu’à l’âge de 11 ans, je dévorais exclusivement des romans écrits par des auteurs anglais. J’étais fascinée à un tel point par le monde des Blancs, si éloigné du mien, que lorsque j’ai commencé à écrire, à 8 ans, mes histoires mettaient en scène non pas des personnages africains, mais des personnages anglais ! Je n’ai commencé à lire des livres d’auteurs nigérians qu’à 11 ans, et cela a changé ma vie. C’est à ce moment-là que j’ai compris que, moi aussi, je pouvais écrire sur mon monde et ma culture. »
Une chance pour nous, car on serait passé à côté de son très beau roman, qui a figuré un temps sur la liste du Booker Prize 2004. Une reconnaissance pour Chimamanda, heureuse de constater que son livre « a été pris au sérieux », mais aussi une victoire, car la jeune femme n’a pas ménagé ses efforts pour se faire éditer et trouver un agent. « Je voulais par-dessus tout publier un roman. Mais j’ai commencé par écrire des nouvelles, car aux États-Unis, pour avoir un agent, il faut impérativement avoir publié des nouvelles dans des magazines. »
Chimamanda envoie d’abord ses textes à d’importants magazines comme The New Yorker, Paris Revue, Harper’s. Ses tentatives se soldent par un échec. La Nigériane se tourne alors vers des publications moins prestigieuses : celles des universités. Nouveau refus. Chimamanda persévère, écrit d’autres textes, se ruine en frais postaux jusqu’au jour béni où la revue Iowa, emballée par une de ses nouvelles, accepte de déroger à sa règle en publiant le texte d’une inconnue.
« Après cela, j’ai repris confiance en moi et j’ai envoyé d’autres nouvelles, qui ont été acceptées. C’est seulement à partir de ce moment que je me suis mise à la recherche d’un agent », raconte-t-elle. Un véritable parcours du combattant. Une trentaine d’agents déclinent sa proposition avant qu’elle en trouve un qui accepte de la prendre sous son aile.
Remarqué aux États-Unis, encensé en Grande-Bretagne, L’Hibiscus pourpre s’est déjà vendu en France à plus de douze mille exemplaires. Au Connecticut, où elle vit aujourd’hui, Chimamanda rédige son deuxième roman, dont le contexte est le Nigeria des années 1960. « Beaucoup de travail, précise-t-elle, car l’histoire se passe dans l’ancienne république du Biafra, et je dois me documenter. »
Une certaine façon peut-être, pour cette exilée volontaire, de rester au plus près de ses racines. Celle qui avoue avoir le mal du pays rêverait d’avoir un pied sur chaque continent. Enseigner un semestre aux États-Unis et vivre le reste de l’année au Nigeria. Car si Chimamanda apprécie la vie au pays de l’Oncle Sam pour le confort, « le fait qu’il n’y ait jamais de coupures de courant, que la poste fonctionne et que les trains soient à l’heure », elle trouve aussi que cette terre manque de magie et « d’âme ». Cette âme dont elle a tant besoin pour se ressourcer et épanouir son moi, telle une fleur d’hibiscus gorgée de soleil. « Même si rien ne fonctionne au Nigeria et si les lignes téléphoniques tombent souvent en panne, j’y suis heureuse parce que c’est chez moi. »

* L’Hibiscus pourpre, éd. Anne Carrière, 420 pages, 21 euros.

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