Ce que recommande Mbeki

Dans le rapport qu’il a transmis à Olusegun Obasanjo et Kofi Annan, le médiateur sud-africain identifie quatre domaines d’action prioritaires. Extraits.

Publié le 24 décembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Thabo Mbeki réussira-t-il là où d’autres, notamment ses pairs francophones, ont échoué ? Il est sans doute trop tôt pour l’affirmer, mais force est de constater que, des rebelles au chef de l’État, les acteurs politiques ivoiriens ne tarissent pas d’éloges sur les « talents » de négociateur du président sud-africain, sur le « professionnalisme » dont il a su faire preuve tout au long de sa récente médiation dans la crise ivoirienne. « C’est le leader de la nation Arc-en-Ciel, le digne successeur de Nelson Mandela, souligne le chef de la rébellion, Guillaume Soro. Et, rien que pour cela, nous lui devons du respect. » « Thabo Mbeki est venu me voir. Il m’a parlé comme on parle à un homme, avec respect, confie, pour sa part, le président Laurent Gbagbo. Il était chez moi le 9 novembre, lorsque l’armée française a tiré sur de jeunes manifestants devant l’hôtel Ivoire. Il s’est fait une idée in vivo. »
De fait, les uns et les autres semblent apprécier le style direct, aux antipodes des moeurs empesées du marigot d’Afrique francophone, la franchise et le « cartésianisme » de Mbeki, qui s’est rendu deux fois, en l’espace d’un mois, en Côte d’Ivoire (à Abidjan, mais aussi à Bouaké, fief de la rébellion), et qui a reçu à Pretoria l’ensemble des protagonistes de la crise, dont la première dame de Côte d’Ivoire, Simone Gbagbo, également présidente du groupe parlementaire FPI (Front populaire ivoirien, au pouvoir), et l’ancien Premier ministre Alassane Dramane Ouattara. Au terme de ces entretiens et des deux visites sur le terrain (la seconde fois, il était accompagné de hauts responsables de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, de l’Union africaine et de l’Union européenne, histoire de s’imprégner des multiples facettes de la crise ivoirienne), Mbeki a remis au président en exercice de l’Union africaine, le Nigérian Olusegun Obasanjo, un rapport de mission de douze pages, dans lequel il a soigneusement consigné ses observations, assorties d’une « feuille de route », qu’il a pris le soin, au préalable, de faire approuver par ses interlocuteurs ivoiriens.
Dans ce rapport, également transmis au président du Conseil de sécurité des Nations unies et dont Jeune Afrique/l’intelligent a obtenu copie, le médiateur sud-africain identifie d’emblée quatre domaines d’action prioritaires : vote des lois prévues dans le cadre des Accords de Marcoussis (janvier 2003) et d’Accra III (juillet 2004) ; démarrage du processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration des combattants rebelles ; reprise des activités du gouvernement de réconciliation nationale ; instauration d’un climat permettant à l’ensemble des forces politiques et sociales de s’exprimer librement. Extraits.

1 – Le volet législatif
« L’Accord de Marcoussis est rédigé de telle sorte qu’il donne lieu, par endroits, à des interprétations divergentes, écrit Thabo Mbeki. La principale préoccupation des partis d’opposition, c’est que, bien souvent, les élus du FPI vident les projets de loi de leur substance quand bien même les textes ont été approuvés en Conseil des ministres. Ce ne sera désormais plus le cas, puisque tous les membres de l’Assemblée nationale se sont engagés à voter les projets de loi qui seront élaborés dans le cadre de notre feuille de route. À preuve, à notre demande, le président Laurent Gbagbo a présenté aux députés la version amendée de l’article 35 de la Constitution [sur l’éligibilité des candidats à la magistrature suprême, NDLR], alors que nous étions encore à Abidjan. »

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2 – Le processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR)
« L’Accord de Marcoussis indique que le processus de DDR devrait débuter aussitôt le gouvernement de réconciliation nationale mis en place. L’Accord d’Accra III a même fixé au 15 octobre 2004 la date de démarrage. Aucun de ces objectifs n’a été atteint […]. Nous pensons que l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire – Onuci – devrait veiller à la sécurité des Forces nouvelles (rébellion) dès que le processus de cantonnement des combattants commencera. Pour garantir le succès du DDR, en tenant compte du degré élevé de suspicion entre les différents acteurs politiques ivoiriens, il serait indiqué d’augmenter l’effectif militaire de l’Onuci et de renforcer son mandat. Au fur et à mesure que le DDR progresse, le gouvernement de réconciliation nationale devrait étendre son autorité à l’ensemble du territoire ivoirien. »

3 – Le gouvernement de réconciliation nationale
« Tous les membres du gouvernement ne siègent pas au Conseil des ministres. Le climat général d’insécurité qui prévaut dans le pays, en particulier à Abidjan, dissuade certains d’entre eux de faire le travail pour lequel ils ont été nommés. Cette situation a des répercussions fâcheuses sur l’activité gouvernementale. Elle met ces ministres dans l’incapacité de soumettre certains projets de lois à l’Assemblée nationale. Tout le monde doit donc retourner en Conseil des ministres. […] Le gouvernement doit fonctionner comme une équipe, qui applique un programme commun, et cesser de fonctionner comme une fédération de partis politiques. Les ministres ne doivent plus recevoir des instructions des états-majors politiques. […] Le président et le Premier ministre se sont engagés à travailler ensemble à changer cet état des choses. »

4 – La création d’un climat propice à la libre expression des forces politiques et sociales
« Le sentiment d’insécurité est général. À Abidjan, certains redoutent les activités des Jeunes patriotes ainsi que d’autres milices. Dans le nord du pays, les militants du FPI et d’autres partis politiques sont bannis et ne peuvent pas exprimer leur sensibilité. […] Cette situation d’insécurité est aggravée par la libération illégale de quelque 4 000 prisonniers de droit commun lors des violences de début novembre. Ces derniers seraient responsables de la recrudescence des actes de violence et de vandalisme à Abidjan. […] Certains de nos interlocuteurs ont également évoqué les médias de la haine, l’apologie de la xénophobie, l’interdiction de certains journaux proches de l’opposition et de la rébellion. Le président Gbagbo nous a expliqué qu’aucun journal n’avait été officiellement interdit, mais que les bureaux de certains journaux avaient été saccagés lors des manifestations violentes de novembre à Abidjan. Notre mission a été informée que certains de ces journaux étaient de nouveau en vente. Le président Gbagbo s’est engagé à faire en sorte que la situation à la Radiotélévision ivoirienne (RTI) retourne à la normale. Il a toutefois fait remarquer que les émissions de la RTI étaient toujours brouillées dans les zones tenues par les Forces nouvelles, qui disposent de leur propre système de communication auquel leurs compatriotes du Sud n’ont pas accès. Le président Laurent Gbagbo s’est également engagé à demander aux Jeunes patriotes de quitter la rue. Il a tenu sa promesse. Le Premier ministre estime qu’il faut désarmer les milices. L’Onuci, pour sa part, a accepté de reprendre ses patrouilles conjointes avec les militaires ivoiriens. »
Dans son rapport, Thabo Mbeki a, par ailleurs, soulevé l’épineuse question de la nécessité ou non de soumettre à référendum l’article 35 amendé. « Notre opinion, écrit-il, c’est que le référendum pourrait jouer un rôle important dans le processus d’unité nationale et de réconciliation. […] Nous avons beaucoup insisté sur ce point lors de notre rencontre avec les députés FPI : une fois l’article 35 amendé, ce serait de la responsabilité de tous les parlementaires de faire campagne, lors du référendum, pour son adoption par le peuple. Bien entendu, la même observation s’applique aux autres leaders politiques. »
Le président sud-africain termine son rapport par une série de recommandations (approuvées, dit-il, par l’ensemble de la classe politique). Si le plan Mbeki est respecté, l’ensemble des textes législatifs devraient avoir été votés dans deux mois. Le DDR devrait démarrer fin décembre 2004 pour s’achever au plus tard en avril 2005. Tout le monde devrait reprendre sa place en Conseil des ministres entre Noël et le jour de l’an, et l’administration entamer son déploiement sur l’ensemble du territoire dans un délai de un à trois mois. Si tout va bien…

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