Alpha Oumar Konaré

Le président de la Commission de l’Union africaine a sa feuille de route : la Côte d’Ivoire, le Darfour, la République démocratique du Congo…

Publié le 24 décembre 2004 Lecture : 6 minutes.

On ne le voit pas dans les médias, ou très peu. Pourtant, il est présent derrière la plupart des initiatives africaines en matière de paix, d’intégration, de développement durable, de lutte contre la pauvreté… Alpha Oumar Konaré, président de la Commission de l’Union africaine, est le nouveau deus ex machina du continent. Non qu’il tienne entre ses mains la destinée des peuples, mais il a su s’investir pleinement dans la mission qui lui a été confiée le 10 juillet 2003 : imposer l’Union africaine sur la scène internationale par sa capacité à penser et à agir efficacement en vue d’apporter des réponses concrètes et satisfaisantes aux aspirations des peuples d’Afrique. Rien de moins.
Après dix-huit mois consacrés à la mise en place et à la préparation des outils de travail de la Commission, 2005 sera l’année de la consécration pour son président. Il a de nombreux fers au feu, d’importance variée. S’il doit être jugé, il pourrait l’être sur ce qui concerne le règlement des conflits, domaine délicat sur lequel il concentre nombre de ses efforts. Les deux dossiers brûlants sont la Côte d’Ivoire et le Darfour. Pour le premier, en accord avec le président en exercice, le Nigérian Olusegun Obasanjo, Konaré a choisi de faire appel à Thabo Mbeki pour une médiation dite de la dernière chance. Le succès de l’un sera porté au crédit de l’autre. Tout devra se jouer en 2005 : réformes, désarmement, réunification du pays, élections. Sur le choix de l’homme, le président de la Commission n’a pas d’inquiétudes. Mbeki est un habile négociateur, qui a plusieurs tours dans son sac et sait faire preuve à la fois de souplesse et de fermeté. D’aucuns pourraient objecter qu’il y a une « manière » de traiter les problèmes dans les pays anglophones qui peut être inefficace ailleurs. On l’a entendu dire de l’ancien président botswanais Ketumile Masire médiateur de la crise en République démocratique du Congo. À ceux-là, Konaré peut répondre qu’il travaillera en étroite coopération avec Mbeki et mettra à sa disposition sa propre expertise d’ancien chef d’État d’un pays francophone d’Afrique de l’Ouest. Une attitude qui démontre à ses anciens pairs, si c’est encore nécessaire, qu’ils ont eu raison d’élire un homme de sa trempe à ce poste hautement diplomatique.
Second problème sensible : le Darfour, la région ouest du Soudan, ravagée depuis février 2004 par la guerre civile. Le Conseil de paix et de sécurité de l’UA y a dépêché une mission d’observation, protégée par un contingent multinational placé sous le commandement du général nigérian Festus Okonkwo, un homme que Konaré connaît bien et qu’il a fait lui-même rappeler de son poste au Liberia. Désireux de « marquer le coup », pour la première médiation placée directement sous son autorité, le président de la Commission s’est rendu sur place, les 20 et 21 juin 2004. Afin d’amplifier l’effet médiatique de sa visite et piéger le gouvernement soudanais, qui s’obstinait alors à minimiser les effets de la guerre sur les populations, Konaré a passé une nuit dans un camp de déplacés géré par la Croix-Rouge, près d’Abouchok. Il a personnellement engagé les premières discussions entre deux des mouvements rebelles et le pouvoir de Khartoum. À tu et à toi avec le président Idriss Déby, du Tchad, dont la zone frontalière se trouve fragilisée par les incursions des rebelles dans les villages de réfugiés, et avec son homologue soudanais Omar el-Béchir, mais également riche de son expérience des pourparlers avec des rebelles depuis la révolte des Touaregs dans le nord du Mali, achevée sous sa présidence en 1996, Konaré peut se permettre d’être franc et direct, de taper du poing sur la table et de refuser de s’en laisser conter. À N’Djamena (Tchad) d’abord, ensuite à Addis-Abeba (Éthiopie, siège de l’UA), enfin à Abuja (Nigeria), les tractations se sont poursuivies, mais aujourd’hui, elles s’enlisent. En 2005, il faut qu’elles aboutissent. La situation des populations sur le terrain ne souffrira pas une année supplémentaire d’une guérilla qui devient terriblement meurtrière. À Konaré de remonter en première ligne pour obtenir des résultats concrets.
2005 sera aussi une année décisive côté finances. Le Conseil exécutif des ministres de l’UA du 7 décembre a approuvé un budget général de 158 millions de dollars, réparti entre 63 millions de contributions obligatoires et 95 millions de contributions volontaires. S’il engrange suffisamment de succès, Alpha Oumar Konaré pourra se permettre, à l’aube de 2006, de solliciter davantage les État membres qui ont les capacités de se montrer encore plus généreux. Car les moyens financiers sont la clef du succès global de sa mission à la tête de l’Union africaine. On se souvient qu’à la veille du sommet des chefs d’État d’Addis-Abeba, en juillet 2004, c’est un budget total de 600 millions de dollars qu’il réclamait. De l’argent destiné en priorité aux différentes opérations de maintien de la paix, Côte d’Ivoire et Darfour, certes, mais également République démocratique du Congo, Liberia, Burundi, Ouganda, et règlement du conflit entre Nord et Sud-Soudan, ainsi qu’à plusieurs dossiers sociaux comme la lutte contre le sida, la prévention du paludisme, le combat contre la toxicomanie, etc. « Pour compter aux yeux du monde, l’Afrique doit d’abord compter sur elle-même », se plaît à répéter Alpha Oumar Konaré. Elle doit donc se doter des moyens d’agir, sans systématiquement solliciter les bailleurs de fonds internationaux.
Le défi est colossal, mais l’homme a les épaules solides. Né le 2 février 1946 à Kayes, dans l’ouest du pays, il est le cinquième d’une fratrie de quatorze enfants. Un bon départ, dans la vie, pour se forger le caractère. Il entame sa carrière professionnelle par une brève expérience d’instituteur, mais, vite repris par la passion des études, part pour l’université de Varsovie (Pologne), d’où il reviendra nanti d’un doctorat en histoire et archéologie. Nous sommes en 1975. Le président Moussa Traoré, qui cherche de jeunes talents pour remanier son gouvernement, le remarque. Il va le nommer ministre de la Jeunesse, des Arts et de la Culture (1978-1979), puis des Arts, des Sports et de la Culture (1979-1980). Deux ans seulement ? Oui, Alpha Oumar Konaré démissionne pour cause de « désaccords avec le chef de l’État ». De retour à l’université de Bamako, c’est en douceur mais avec persévérance qu’il va travailler au renversement du régime, par le biais de la presse et des divers mouvements associatifs où se rassemblent les intellectuels maliens. C’est chose faite une dizaine d’années plus tard. La méthode Konaré, qu’on pourrait penser fondée sur la morale de La Fontaine : « Patience et longueur de temps font mieux que force ni que rage », est née. En 1992, il est élu à la présidence de la République pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois. Le 8 juin 2002, il passe le relais.
Carrière exemplaire, parcours démocratique sans faute, carrure d’homme d’État laissant derrière lui un bilan honorable, Konaré a des atouts rares, qui devraient servir à sa réussite à la tête de l’Union. Ses principes de base, on les connaît : référence permanente aux cultures, aux langues et à l’histoire africaines, volonté de s’unir dans un espace de droit, de solidarité et de démocratie, restauration et développement de la confiance entre les États et croissance économique. Partant, le président de la Commission a sa feuille de route, un programme ambitieux mais réaliste, établi pour quatre ans et censé conduire les cinquante-trois pays du continent vers l’intégration politique, économique et socioculturelle. Hérite-t-il d’une organisation lourde, bureaucratique et inefficace ? Qu’à cela ne tienne, la méthode Konaré fait merveille, et les fonctionnaires les moins performants sont évincés sans heurts. Se révélera-t-elle aussi efficiente en ce qui concerne les dossiers en cours ? C’est ce que nous dira 2005.

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