Une production insuffisante !

Le XVIII e Fespaco débute le 22 février à Ouagadougou. Avant la grand-messe, rencontre avec Baba Hama, son délégué général.

Publié le 28 janvier 2003 Lecture : 4 minutes.

Le principal festival de cinéma panafricain, le Fespaco, se déroulera pendant une semaine à Ouagoudougou, à partir du 22 février prochain. Les responsables de la biennale ont dévoilé mi-janvier la sélection des films projetés dans la capitale burkinabè. Parmi les seize films concourant pour l’Étalon de Yennenga, on retrouve plusieurs longs-métrages déjà présentés dans d’autres festivals, notamment à Cannes, voire déjà sortis sur les écrans. En particulier Heremakono du Mauritanien Abderrahmane Sissako, Fatma du Tunisien Khaled Ghorbal, Kabala du Malien Assane Kouyaté, Abouna du Tchadien Mahamat Saleh Haroun, ou Nha Fala du Guinéen Flora Gomes (Guinée-Bissau), déjà évoqués dans nos colonnes. On pourra néanmoins espérer de bonnes surprises grâce à de nombreux inédits, dont Moi et mon Blanc du Burkinabè Pierre Yaméogo, Bedwin Hacker de la Tunisienne Nadia El Fani, ou Promised Land de Jason Xenopoulos, unique représentant de l’Afrique australe.
Parmi les auteurs les plus attendus, peu figurent dans la liste de ceux qui peuvent être primés. Du Burkinabè Idrissa Ouédraogo à l’Algérien Merzak Allouache et du Sénégalais Ousmane Sembene au Marocain Nabil Ayouch, dernier lauréat du Festival avec Ali Zaouia, les « grands noms » du cinéma africain ont préféré présenter leurs oeuvres hors compétition. Pour quelle raison ? C’est une des questions que nous avons posées au délégué général du Fespaco, Baba Hama, à quelques semaines de l’événement.

« Le cinéma africain traîne un boulet : les conditions de production. »

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J.A./l’intelligent :
Comment se porte le cinéma africain à la veille du XVIIIe Fespaco ?

Baba Hama : Si l’on s’en tient à son évolution technique et artistique, c’est un cinéma qui se porte bien et se nivelle par le haut. S’agissant de la maîtrise de l’image, du son, du mixage, du scénario, du jeu des acteurs, les progrès sont évidents. Mais la situation n’est pas totalement satisfaisante, car le cinéma africain traîne un boulet : les conditions de production. Il est très difficile de réunir les moyens de financement.
On constate d’ailleurs que les films en compétition ne seront plus que seize, contre vingt auparavant. Est-ce la conséquence d’une pénurie ?
Il n’y a pas eu beaucoup de films tournés en Afrique noire francophone depuis le dernier Fespaco. Tout au plus une douzaine. Cette léthargie affecte surtout l’Afrique centrale. Mais la situation n’est pas meilleure du côté anglophone. La production est très faible en Afrique australe, où la tendance est à la vidéo, au détriment du grand écran. Au Maghreb, la production de films reste assez régulière. Voilà pourquoi nous avons abandonné l’idée de passer à un rythme annuel.
La sélection pour la compétition officielle qui vient d’être révélée ne fait pourtant pas la part belle au Maghreb…
Pour qu’un film soit en compétition, il faut faire acte de candidature. C’est le règlement. Mais il ne faut en tirer aucune conclusion trop rapide. En 2001, une majorité de films en compétition venait du Maghreb. Ce qui est vrai, c’est qu’on produit dans cette région beaucoup de longs-métrages destinés à une exploitation commerciale rapide, qui n’ont pas de raison de venir au Fespaco.
Ne serait-il pas souhaitable que les films réalisés au Nigeria ou au Ghana en vidéo mais avec un grand succès public, soient projetés au Fespaco ? Nous avons déjà une section Télévision-vidéo, mais il faudrait qu’on la renforce, voire qu’on lui consacre une manifestation spécifique. Car, avec le développement rapide du numérique, ce cinéma représente l’avenir. Il faut y réfléchir. Pour l’instant, on doit constater que les très nombreux films tournés au Nigeria ou au Ghana sont destinés avant tout à la consommation locale. De même que leurs homologues égyptiens, absents pour les mêmes raisons, les réalisateurs de ces pays n’éprouvent pas le besoin de participer à une manifestation internationale comme le Fespaco.
Plus frappant encore : les grands noms du cinéma africain seront présents à Ouagadougou, mais hors compétition. N’est-ce pas regrettable ?
On ne peut pas les forcer à concourir. Certains pensent que la compétition ne présente plus d’intérêt pour eux. D’autres disent qu’il faut laisser la place aux jeunes. Il n’est pas mauvais que le Fespaco épouse la dynamique de son temps et mette en avant la génération qui monte, les réalisateurs qui veulent faire évoluer le cinéma africain.
Le XVIIIe Fespaco a choisi de célébrer les comédiens. Pourquoi les acteurs sont-ils si peu considérés ?
Le Fespaco s’intéresse aux acteurs depuis très longtemps, notamment en décernant des prix d’interprétation. Après avoir mis l’accent sur le rôle de la production, de la distribution et de l’exploitation, il était normal de souligner la contribution des comédiens à la qualité des films. Le star system ne fonctionne pas en Afrique. Pour une raison qu’on a déjà évoquée : la production est insuffisante et irrégulière. Les plus grands acteurs tournent un film tous les trois ou cinq ans. Comment pourraient-ils s’inscrire dans la mémoire collective ? Mais il serait bien que cela change. Et c’est peut-être grâce au petit écran que ce changement pourra se produire. La notoriété des vedettes de séries ou de sitcoms viendra en premier, et le cinéma en profitera…
Êtes-vous parfois inquiet pour l’avenir du Fespaco ?
Je ne crois pas qu’il y ait de raisons d’être inquiet. Le Fespaco représente un moment important pour faire le point sur le cinéma africain et jeter un regard sur son avenir. C’est le seul lieu où l’on peut voir toutes les réalisations, où tout le monde se rencontre. Rien ne dit que la production ne va pas reprendre. Surtout si les professionnels et les politiques font les efforts nécessaires. Il s’agit là d’un enjeu majeur quand tous les toits se couvrent d’antennes satellite. Produire des images issues d’Afrique reste crucial. Et si ce défi ne peut être relevé par chaque pays isolément, il faut unir ses forces et promouvoir des initiatives régionales.

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