Tempête dans la solitude

Publié le 28 janvier 2003 Lecture : 4 minutes.

J’espérais ne pas avoir à vous parler, cette semaine encore, de la guerre contre l’Irak. Je pensais et j’ai écrit, avec d’autres, que son spectre s’éloignait, que la paix avait encore ses chances et que nous avions devant nous deux mois de répit, au cours desquels les opposants à la guerre pouvaient sauver la paix.
Mais tout se passe comme si George W. Bush et ses proches collaborateurs avaient subitement décidé, en cette fin de janvier 2003, de passer outre aux oppositions et « d’y aller ».
Le ministre de la Guerre met la dernière main aux ultimes préparatifs militaires et dit qu’il sera prêt dans les quinze jours ; le président multiplie les signes d’impatience : ayant fait une « fixation » sur Saddam Hussein, il répète chaque jour qu’il est fatigué d’attendre, qu’il va aller « le » chercher… Sa conseillère, Condoleezza Rice, parle de « début de la phase finale… ».
De son côté, l’autre « partant », Tony Blair, fait ce qu’il peut pour justifier sa participation à la guerre et y préparer une opinion publique de plus en plus rétive (voir « Focus » p. 25)
Il me semble que ces hommes politiques, qui ne sont pas des débutants, se sont dit ceci.
« L’opposition à la guerre gagne chaque jour du terrain, même chez nous ; de proche en proche, peuples et gouvernants sont contaminés ; si nous ne déclenchons pas les opérations dans les toutes prochaines semaines, nous ne pourrons plus le faire.
« D’autre part, les économies de nos pays et celle du monde dans son ensemble souffrent de l’incertitude, peu propice à l’investissement ; le prix du pétrole est depuis des mois gonflé d’un « risque de guerre » de 4 à 5 dollars par baril.
« Il nous faut donc soit renoncer, démobiliser et rapatrier les troupes pour détendre l’atmosphère, soit frapper vite et fort, éliminer le dictateur et sa clique, remporter une victoire aussi rapide, complète et spectaculaire que possible.
« Nos adversaires et ceux de la guerre seraient alors confondus, le monde entier verrait que nous avons eu raison et que nos dénigreurs avaient tort.
« Nous n’aurons même pas besoin de nous glorifier de notre politique, ni de vilipender celle des pacifistes, car le meilleur des communicateurs est le succès… »
S’ils en sont arrivés à cette conclusion, comme l’indique plus d’un signe, ils déclencheront la guerre fin février ou début mars(*)
D’ici là, le 27 janvier, les inspecteurs de l’ONU auront remis au Conseil de sécurité leur premier (et dernier ?) rapport, George W. Bush aura prononcé, le 28, son discours sur l’état de l’Union et se sera entretenu, le 31, à Washington, avec Tony Blair : trois occasions que le président américain et ses adjoints saisiront pour développer leurs arguments en faveur de la guerre.
L’allié de Bush, le général Ariel Sharon, aura été réinstallé au pouvoir en Israël et les réticences de l’autre allié régional, la Turquie, se seront émoussées.
Tous les préalables auront été réunis…
Déclenchée douze ans après la fin de la première, cette deuxième guerre du Golfe sera en quelque sorte un deuxième (et dernier) round : le premier n’ayant été gagné qu’aux points, le deuxième n’a de sens que s’il se termine par un « K.-O. ».
Peut-être est-ce le moment et le lieu de relever deux paradoxes.
– En 1991, bien qu’auteur d’une agression caractérisée, Saddam Hussein était assez populaire, en tout cas dans le monde arabo-musulman, et encore respecté par ses pairs : avant d’ouvrir le feu, le secrétaire d’État américain James Baker rencontrait à Genève son envoyé Tarek Aziz ; le secrétaire général des Nations unies de l’époque faisait antichambre à Bagdad pour y rencontrer le maître du pays ; François Mitterrand et Mikhaïl Gorbatchev lui dépêchaient des émissaires de haut rang pour le supplier d’assouplir sa position.
Affaibli et sur le point d’être liquidé, le même Saddam ne suscite plus, en 2003, qu’agacement, et on ne lui demande plus que de s’exiler pour éviter la guerre.
Du côté des Américains, l’évolution est inverse : leur initiative de 1990-1991 a regroupé autour d’eux l’ONU et une coalition de plus de cinquante pays situés sur les cinq continents, tandis que leur croisade de 2002-2003 ne rallie personne et ne recueille que des échos défavorables, au point qu’on pourrait l’appeler « tempête dans la solitude »
Ici intervient un deuxième paradoxe : ce sont les anciens ennemis des États-Unis, le peuple russe et son président Vladimir Poutine, qui montrent le plus de compréhension à leur endroit, tandis que les alliés traditionnels de l’Amérique se désolidarisent d’elle… (voir encadré et graphique).
Le proche avenir nous dira si ce « changement d’alliances » est aussi solide et affirmé qu’il le paraît.

* Le Conseil de sécurité est présidé par l’Allemagne en février, mais par la Guinée dès le 1er mars.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires