Sous le regard du FMI

Le défi du nouveau gouvernement : réformer en conciliant orthodoxie financière, demandes du patronat et attentes populaires.

Publié le 28 janvier 2003 Lecture : 3 minutes.

Türkish Airlines, la compagnie pétrolière Tupras, la Bourse d’Istanbul, la Loterie nationale, le groupe pétrochimique Petkim et peut-être Türk Telecom… deux mois et demi après sa prise de fonctions, le gouvernement turc tient ses promesses électorales. Le vice-Premier ministre, Abdüllatif Sener, a dévoilé, le 13 janvier, les grandes lignes d’un programme de privatisations qui devrait rapporter quelque 4 milliards de dollars en 2003. Déjà, au cours de la campagne des législatives, le Parti de la justice et du développement (AKP), aujourd’hui au pouvoir, s’employait à conforter son image de mouvement « conservateur de centre droit ». La formation aux racines islamistes prônait ainsi l’intégration à l’Union européenne et la poursuite des objectifs fixés par le plan de redressement du Fonds monétaire international (FMI). Durement frappée, en février 2001, par une crise économique et financière – en un an, la livre turque a perdu près de 60 % de sa valeur par rapport au dollar, le chômage a explosé et la croissance s’est effondrée (- 7,4 % en 2001) -, la Turquie s’était vu accorder par le FMI un prêt de 16 milliards de dollars (environ 15 milliards d’euros). L’obtention des tranches de crédits reste liée à la mise en oeuvre de mesures d’assainissement : réduction des déficits, lutte contre l’inflation, restructuration du secteur bancaire, réforme fiscale et privatisations. Aujourd’hui, l’AKP bénéficie des efforts accomplis par ses prédécesseurs : la croissance devrait atteindre 6,5 % en 2002, et l’inflation, certes très élevée (31 %), est inférieure de 4 points aux prévisions initiales.
L’annonce du programme de privatisation par Abdüllatif Sener a précédé la visite à Ankara, le 16 janvier, d’Anne Krueger, directrice générale adjointe du FMI. Au terme d’une série d’entretiens avec, notamment, le Premier ministre Abdullah Gül et le ministre de l’Économie Ali Babacan, Krueger a salué le programme de privatisations (plus ambitieux que celui du précédent gouvernement, qui escomptait 1,5 milliard de dollars de recettes) et estimé que si la Turquie maintenait le cap, la croissance pourrait atteindre 5 % et l’inflation se stabiliser autour de 20 % en 2003. Elle a également pris acte des mesures visant à réduire les embauches dans une fonction publique notoirement pléthorique, et de l’augmentation des taxes sur le tabac et l’alcool. Mais Anne Krueger s’est inquiétée de la tentation du gouvernement de prendre des mesures socialement populaires, mais peu orthodoxes en matière de discipline budgétaire. Ainsi de l’amnistie fiscale présentée le 16 janvier au Parlement, qui risque d’encourager les contribuables à se soustraire à leurs obligations, et de la décision de revaloriser les pensions de 6 millions de retraités. La visite d’une délégation du FMI au grand complet est attendue entre la fin du mois et début février, le temps que le gouvernement boucle son budget 2003. La marge de manoeuvre s’annonce donc très limitée pour le nouveau pouvoir, soucieux de satisfaire les aspirations d’une population durement touchée par le chômage (2,4 millions de personnes).
Aux mises en garde du FMI se sont ajoutées celles du Tüsiad, le patronat turc. Son président, Tuncay Özilhan, a critiqué la mise en oeuvre d’une « politique économique populiste » et reproché au gouvernement de ne pas avoir clarifié sa position sur l’Irak, mettant fin à l’état de grâce dont la nouvelle équipe avait jusque-là bénéficié. En dépit de leurs demandes réitérées, les États-Unis n’ont en effet pas à ce jour obtenu l’autorisation d’utiliser les bases aériennes et les ports turcs dans l’éventualité d’une opération militaire contre Bagdad. Or le patronat redoute que, dans ce contexte, l’allié américain ne se lasse d’apporter son soutien…
Reste aussi à savoir comment les marchés financiers réagiront au programme de privatisations. Alors qu’ils avaient accueilli très favorablement la formation d’un gouvernement stable disposant d’une large majorité parlementaire, ils s’inquiètent aujourd’hui de ses atermoiements et de l’impact négatif d’un conflit en Irak sur une économie turque encore convalescente.

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