Sous le signe de la confiance
La visite officielle du Premier ministre algérien Ali Benflis à Paris était l’occasion pour les deux pays de réaffirmer leur volonté de rapprochement. Et de faire en sorte qu’elle se traduise dans les faits.
Longtemps marquées du sceau de l’incompréhension, émaillées de crises majeures et de rapprochements aussi furtifs que maladroits, les relations entre la France et l’Algérie confinent désormais à l’idylle. Mais si la volonté politique d’aplanir les nombreux différends entre les deux pays semble réelle depuis l’élection, en avril 1999, d’Abdelaziz Bouteflika à la présidence algérienne, elle tarde à se traduire dans les faits.
La visite du Premier ministre Ali Benflis à Paris (16-18 janvier) sur invitation de son homologue Jean-Pierre Raffarin ne pouvait donc mieux tomber. À Matignon comme à l’Élysée, Benflis s’est vu réaffirmer « l’appui de la France à la politique de réformes que les autorités algériennes veulent mettre en oeuvre : État de droit, économie, éducation, justice… ». Et une autre visite de marque se profile à l’horizon. Dans son édition du 21 janvier, le quotidien français Le Monde faisait état d’une « visite de travail » du président Bouteflika à Paris, le 5 février, pour un déjeuner en tête à tête avec Jacques Chirac. Il s’agit en fait d’une visite privée et non annoncée. Selon la presse arabe basée à Londres, Chirac aurait l’intention d’organiser une rencontre Bouteflika-Mohammed VI en marge du sommet Afrique-France (19-21 février à Paris)
Arrivé le 16 janvier à bord d’un avion du Groupement de liaisons aériennes ministérielles (Glam) algérien et logé à l’hôtel Meurice, un des plus beaux palaces parisiens, le chef du gouvernement algérien a rencontré, d’une part, les responsables politiques – le président Chirac, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, le ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin et le président de l’Assemblée nationale Jean-Louis Debré – et, d’autre part, des chefs d’entreprise. Avec un double objectif : préparer la visite de Chirac à Alger (du 2 au 4 mars) et inciter les patrons français à miser sur l’économie algérienne (voir encadré).
Avec Raffarin, Benflis a surtout étudié les différents volets de la coopération bilatérale. « En matière d’éducation, de justice et de réformes administratives, nous avons beaucoup à apprendre de la France, qui s’est engagée à nous aider à mener les réformes nécessaires », a indiqué le Premier ministre algérien. Sur le volet économique, la France reproche à Alger la lenteur de la mise en oeuvre des réformes telles les privatisations ou la restructuration du secteur bancaire, d’où la frilosité des investisseurs français. Réponse de Benflis : « Il ne faut pas établir ce lien. Il est vrai que nous avons pris du retard. Mais comparons notre situation à celle des pays de l’Est. Nous évoluions dans un même système et nous nous sommes également dirigés vers l’économie de marché. Mais si le cheminement est le même, les obstacles rencontrés sont sans commune mesure. Nous sortons à peine d’une situation de guerre civile qui ne dit pas son nom. » Et de préciser : « Pourquoi vouloir investir dans des entreprises nationales certes privatisables, mais exsangues, pas ou peu équipées et sans réel intérêt pour un repreneur, alors qu’il y a tant de projets nouveaux à créer ? » En d’autres termes, pourquoi vouloir à tout prix faire du neuf avec du vieux ?
Les sujets abordés avec Chirac – très apprécié en Algérie depuis sa visite, en décembre 2001, à Bab el-Oued, dévasté par des inondations – étaient plutôt d’ordre politique. Des menaces de frappes contre l’Irak au Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), dont Bouteflika est l’un des artisans et le président français l’un des plus fervents apôtres, en passant par la dynamisation du traité de Barcelone (coopération euro-méditerranéenne) et le conflit israélo-palestinien. Sans oublier l’épineux dossier du Sahara occidental sur lequel la position de la France, réputée promarocaine, ne perturbe pas outre-mesure les relations entre les deux pays. « Il n’existe pas de problème sans solution », a simplement soufflé Abdelaziz Belkhadem, ministre algérien des Affaires étrangères, à l’issue d’un entretien avec son homologue Dominique de Villepin…
Sur la question irakienne, les deux pays sont sur la même longueur d’onde. « Chirac et Benflis sont d’accord : trop c’est trop ! rapporte un membre de la délégation algérienne. S’ils trouvent le comportement des Américains insultant, ils ne soutiennent bien évidemment pas pour autant Saddam. Tous deux sont persuadés que Bush ira jusqu’au bout, soutenu par les seuls Britanniques. Ils mettront le pays à genoux. Et Dieu seul sait où cela s’arrêtera… » Au cours de l’entretien, Chirac a déclaré à Benflis que « cette guerre coûtera 100 milliards de dollars, alors que la planète compte plus de 800 millions de personnes qui n’ont même pas de quoi manger ». Révoltant…
Benflis a beaucoup apprécié la prise de position – après quelques atermoiements – du président français contre la guerre. « Le président Chirac marque des points. Et avec le retournement de l’opinion publique internationale et la mobilisation de nombreux pays contre une guerre en Irak, cette position est de plus en plus appréciée », explique ce même délégué algérien.
La situation en Palestine fut également l’objet d’un long échange entre les deux hommes. Benflis a qualifié la politique d’Ariel Sharon de « terrorisme d’État » sans pour autant excuser les attentats suicide visant des civils israéliens, mais en précisant que l’« on a réduit ces gens à cette extrémité-là ».
C’est donc dans un climat de confiance retrouvée que le Premier ministre algérien a effectué sa visite, la première d’un chef du gouvernement algérien depuis 1994 et d’un secrétaire général du Front de libération nationale (FLN), l’ancien parti unique qui dirigea la guerre contre le colonialisme français.
Pour ses grands débuts sur la scène internationale, Ali Benflis est apparu plutôt décontracté et sûr de lui. Présenté comme un personnage relativement effacé, cet ancien avocat a réussi son opération séduction. Pour son pays, bien sûr, mais aussi peut-être pour lui-même, qu’on présente de plus en plus comme le dauphin du président Bouteflika. À un peu plus d’un an de l’élection présidentielle de 2004, on s’interroge, à Alger comme à Paris, sur sa stature d’homme d’État. On lui prête des ambitions. Mais l’homme de confiance de « Boutef », celui qui mena sa campagne victorieuse de 1999 puis assuma la direction de son cabinet avant d’hériter du poste de Premier ministre, réputé fidèle et intègre, caresse-t-il l’espoir de succéder au « boss » ? Ses succès à la tête du FLN lui en donnent les moyens. Si Bouteflika ne se représente pas, il deviendra de toute évidence son successeur le plus probable, en l’absence de réels concurrents. Mais si le président décide de briguer un autre mandat, Benflis pourra-t-il – et voudra-t-il – se poser en rival ? Ceux qui le connaissent assurent que c’est impossible. Mais les hommes politiques français qui l’ont reçu à Paris, Chirac en tête, sont bien placés pour savoir que la loyauté ne tient qu’à un fil, celui de l’ambition… Reste qu’à 58 ans Ali Benflis n’est pas pressé. En 2009, date de la présidentielle suivante, il n’aura que 65 ans, l’âge de Bouteflika lorsqu’il accéda à la magistrature suprême.
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