Querelles de voisinage

Tunisie-Algérie. Depuis l’indépendance algérienne, les relations entre Ben Bella et Bourguiba sont plus que tendues…

Publié le 28 janvier 2003 Lecture : 3 minutes.

J’ai passé quarante-huit heures à Alger après le discours du président Bourguiba et le déclenchement de la crise tuniso-algérienne. De nombreux camarades m’ont posé la question : « Mais enfin, que se passe-t-il ? Pourquoi cet éclat ? Pourquoi le rappel de l’ambassadeur ? » Comment comprendre la soudaine éruption d’une crise qui aura mis six mois à mûrir ? De juillet, date de l’indépendance algérienne, à décembre, date du complot. C’est une longue histoire, celle de Ben Bella et de la Tunisie. Parmi tous les responsables algériens, Ben Bella se distingue en adoptant à l’égard de son voisin de l’Est une attitude fraîche, voire hostile. Les symptômes se sont accumulés : dès sa libération, le prisonnier d’Aunoy, avec ses compagnons, s’est envolé de Rabat vers Le Caire, brûlant l’étape de Tunis, où l’Algérie en guerre avait sa base opérationnelle et diplomatique. Quand il y vint, ce fut pour un éclat oratoire. Lors de la crise entre le GPRA et lui-même, Ben Bella comprit mal que la Tunisie respectât la légalité algérienne de l’époque et ses engagements envers l’équipe de Ben Khedda, plutôt que de parrainer sa conquête du pouvoir. Vint la bataille pour gouverner qu’il livra et gagna. La politique du président Bourguiba fut clairement et loyalement celle de la main tendue. En retour, le gouvernement d’Alger réservait aux avances tunisiennes un accueil dont la chaleur était très relative. À peine au pouvoir, Ben Bella a reçu, venant du Caire et de Tripoli, des lieutenants de Ben Youssef qui recommencèrent à parler opérations, conquêtes et « révolutions », comme il se doit. Voilà le fond de la crise. Voilà ce que Tunis n’a pas admis. Des éléments subversifs, des condamnés à mort, accueillis, honorés par l’Algérie voisine et amie. Cela devient plus grave encore lorsque des conspirations en Tunisie trouvent des antennes et des collaborations chez les exilés d’Alger, pour ne pas dire plus. On répond à Alger que Ben Bella est très attaché à ses amitiés anciennes, qu’il a été lié à Ben Youssef et que ces gens qu’il reçoit aujourd’hui, il les a connus à Tripoli et au Caire. Les Algériens disent encore : « Nous ne pouvons pas extrader ou expulser des hommes que nous considérons comme réfugiés politiques. Nous avons trop été nous-mêmes réfugiés politiques, durant ces dernières années, pour ne pas nous montrer intraitables sur ce plan. Notre terre sera ouverte à tout homme persécuté pour ses opinions et pour ses idées. Notre Constitution a mentionné cela. » Certes, mais un réfugié politique peut-il être un comploteur qui manigance des renversements et des assassinats politiques ? D’ailleurs, cette notion de « réfugié », si on l’admet, peut se prêter à des interprétations telles qu’elle en devient redoutable. Voyons le cas présent : Il est acquis que les youssefistes d’Alger ont largement participé au complot de Noël en Tunisie. L’un des conspirateurs (condamné à mort depuis), après avoir réussi à s’échapper, est allé naturellement se joindre à leur groupe. De toute évidence, il s’agit là d’hommes décidés par tous les moyens à s’attaquer à la Tunisie et à son régime. Quels sentiments, quels principes, quelles amitiés peuvent justifier cela ? Si nos pays maghrébins et africains s’engagent sur cette pente de l’interventionnisme, les « yeux fermés » sur la subversion du voisin, il y a pour tous le chaos au bout du chemin. C’est un jeu à la fois tentant, facile et odieux : l’exploit des adjudants de Lomé, assassins d’Olympio, devrait faire réfléchir. J’ai eu l’impression à Alger que le gouvernement et les amis de Ben Bella étaient conscients de tout cela. Aucun de mes interlocuteurs, responsables ou simples militants, n’a cherché à défendre le principe de conserver à quiconque la liberté de semer le trouble et la rancoeur entre deux pays que tout appelle à s’unir et à coopérer. Ben Bella peut et doit aujourd’hui réexaminer, à la lumière des récents développements et de la réalité tunisienne, sa politique à l’égard de Bourguiba et de son peuple.

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