Procès à hauts risques

L’affaire qui passe devant la justice le 6 février à Dakar pourrait remettre en cause la façon dont les audits de certaines sociétés nationales ont été menés.

Publié le 28 janvier 2003 Lecture : 4 minutes.

Le 6 février prochain, le Sénégal devrait connaître le premier procès des audits des sociétés publiques commandités par le gouvernement d’Abdoulaye Wade depuis son arrivée au pouvoir, en avril 2000. Sur la dizaine de personnalités dont la gestion, sous le régime socialiste, a fait l’objet d’enquêtes, Khady Diagne, ci-devant directrice générale de la Société du domaine industriel de Dakar (Sodida), sera la première à se présenter devant les juges pour un procès public. L’affaire, portant sur un détournement de deniers publics, pour une valeur de 24 millions de F CFA, a été appelée le 16 janvier dernier. Le procès a été renvoyé, à la date du 6 février, à la demande de l’agent judiciaire de l’État, qui souhaite « mieux prendre connaissance du dossier ». Pourquoi, de toutes les personnalités auditées, puis arrêtées, l’ex-directrice générale de la Sodida est la seule à être traduite devant la justice, alors qu’elle n’est pas la première à avoir été emprisonnée ? Avant Khady Diagne, beaucoup d’anciens directeurs généraux de sociétés publiques et parapubliques ont été inculpés. Il en est ainsi d’Aziz Tall, l’ancien directeur général de la Loterie nationale sénégalaise (Lonase), d’Ibrahima Gaye, ex-directeur du quotidien national Le Soleil, de Mbaye Diouf, ancien patron de la Société nationale des chemins de fer du Sénégal (Sncs), qui ont tous fait de la prison. Mais aussi de Pierre Babacar Kama, ancien patron des Industries chimiques du Sénégal (Ics). Tandis qu’Ousmane Tanor Dieng, ex-ministre d’État, devait, lui, être seulement entendu dans le cadre des enquêtes sur les conditions d’octroi de licences de pêche.
La quasi-totalité de ces anciens directeurs de société nationale, après avoir été emprisonnés pendant de longs mois, sont sortis, l’un après l’autre. « Les audits ont été pour le pouvoir du président Wade un moyen de chantage politique. Toutes les personnalités auditées n’ont jamais rencontré leurs auditeurs. Il y a trop de coïncidences troublantes dans ces affaires pour qu’on n’y voie pas un moyen de pression utilisé par le nouveau pouvoir contre des adversaires politiques, ou supposés tels, parce qu’ils avaient simplement des responsabilités publiques dans l’ancien régime. » Me El Hadji Diouf, qui tient ces propos, est constitué dans plusieurs de ces dossiers. Il est l’avocat de Mbaye Diouf, de Aziz Tall et de Khady Diagne. Pourquoi, au bout de plusieurs mois d’embastillement, les anciens directeurs ont-ils recouvré la liberté, certes conditionnelle, à l’exception de Khady Diagne ? Me Diouf avance l’exemple de son client Mbaye Diouf pour conforter la thèse du règlement de comptes politiques. L’ex-directeur général de la SCNS, ancien responsable socialiste de la ville de Thiès (70 km de Dakar) était dans cette localité – jusqu’à la présidentielle des 27 février et 19 mars 2000 – le principal adversaire politique d’Idrissa Seck, l’actuel Premier ministre. À l’époque de sa puissance, ses libéralités envers ses camarades socialistes avaient exaspéré l’opposition. Au point que ces derniers, notamment par la voix de leur premier secrétaire Ousmane Tanor Dieng, disaient de lui qu’il est une « oeuvre sociale ambulante ». Mbaye Diouf ne le restera pas longtemps. À la veille des élections législatives d’avril 2001, il est arrêté. Et malgré le dépôt d’une caution de 116 millions de F CFA et la présentation d’un dossier médical, le parquet s’opposera à sa demande de liberté conditionnelle. C’est une fois seulement tout le processus électoral bouclé en mai 2002 que Mbaye Diouf est libéré.
Aziz Tall, l’ex-patron de la Lonase, était, lui, très actif dans la pêche aux voix pour le Parti socialiste. Et lui aussi est resté pendant un an en prison. Arrêté en décembre 2001, il n’a recouvré la liberté qu’en décembre 2002, sous la pression des organisations de défense des droits de l’homme comme la Rencontre africaine des droits de l’homme (Raddho), après la publication dans la presse d’une lettre ouverte dans laquelle il annonçait qu’il n’entendait pas « être l’agneau du sacrifice ». Les adversaires du pouvoir actuel expliquent que si les ex-directeurs généraux ont été libérés, c’est parce que leurs procès risquaient d’être aussi ceux de l’actuel régime et de la façon dont les audits ont été menés. Khady Diagne, qui est la seule à devoir se présenter à la barre, était la moins politisée parmi eux. Dans sa lettre de prison, publiée dans le quotidien Walfadjri, elle nie avoir été proche de l’ancien régime, et soutient qu’elle n’a rencontré que deux fois l’ancien président Diouf. Sans doute ses avocats ne manqueront-ils pas de s’appesantir sur le caractère politique des audits qui a amené certains à dire qu’il y a des prisonniers politiques au Sénégal. Ainsi fait-on référence au cas de la société nationale La Poste. Les nouvelles autorités politiques du pays ont annoncé que cette société avait subi un préjudice de 17 milliards de F CFA, et que le dossier d’audit a été transmis à la justice. Pourtant, les anciens responsables de La Poste n’ont pas été inquiétés.
Est-ce parce que l’un de ces dirigeants, Ousmane Masseck Ndiaye, actuel ministre du Tourisme, est un responsable du Parti démocratique sénégalais ? Et qu’un procès l’impliquant risque d’éclabousser beaucoup de monde ? Des questions qui pourraient être soulevées au cours du procès de Khady Diagne.

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